Cairn (23 déc.) disait:
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Déjà propriétaire de la société locale de remontées mécaniques, l’ancien basketteur porte un projet de complexe hôtelier qui attise les tensions. Critiqué pour son envergure et son « anachronisme », il est défendu par la municipalité. Ces infrastructures d’ampleur agitent de nombreuses autres stations de moyenne montagne, dont l’avenir est remis en question par le réchauffement climatique.
Avec ses vieilles maisons en pierre et ses rues bordées de sapins, Villard-de-Lans a l’allure typique d’un village du Vercors. Hors saison, la quiétude règne dans ce bourg de 4 200 habitants. L’hiver, aux premières chutes de neige, un ballet de voitures traverse le centre-ville pour rejoindre les pistes de ski, situées à 3 km. Mais depuis quelques mois, la tranquillité du village est surtout troublée par un projet qui cristallise les tensions. Sur le vaste parking de La Côte 2000, au pied des remontées mécaniques, un complexe hôtelier d’une centaine d’appartements devrait voir le jour dans les prochaines années. Soutenu par la municipalité, il est vivement critiqué par une partie des habitants et par certains élus, qui en dénoncent l’envergure. Derrière ce projet à 96 millions d’euros, un homme : Tony Parker, l’ancienne star de la NBA et du basket français, propriétaire de la station via sa société Infinity Nine Mountain.
Située à quarante-cinq minutes de Grenoble, Villard-de-Lans est la plus grande station du Vercors. Avec ses pentes douces entourées de sapins, elle attire majoritairement une clientèle familiale et de proximité. C’est ici que se déversent chaque mercredi les cars remplis de jeunes skieurs venus de la vallée. Ici aussi que nombre de Grenoblois ont chaussé les skis pour la première fois. Mais à 1 100 m d’altitude, les effets du réchauffement climatique se font ressentir depuis plusieurs années. Précipitations aléatoires et manque de neige ont compliqué les conditions d’exploitation. L’hiver dernier encore, la neige s’est fait attendre et le chiffre d’affaires a baissé de 30 %. La hausse des coûts de l’énergie affecte par ailleurs le budget de fonctionnement de ce domaine, qui réalise entre 7 et 10 millions d’euros de chiffre d’affaires selon les années.
« Une station vieillissante »
C’est dans ce contexte que Tony Parker décide en 2019 de racheter la société d’équipements de Villard-de-Lans et de Corrençon-en-Vercors (SEVLC), propriétaire des remontées mécaniques. Une transaction à 9 millions d’euros qui marque la fin d’une époque : celle des frères Huillier, des figures locales, résistants pendant la Seconde Guerre mondiale et fondateurs de la station dans les années 1950. Quatre ans après, Arnaud Mathieu, le maire (divers centre) de Villard-de-Lans se souvient encore « de l’enthousiasme et du soulagement » suscités par le rachat. « Le ski, ça représente plusieurs centaines d’emplois directs et indirects ici », appuie-t-il. Alors que les conditions d’exploitation du domaine skiable sont de plus en plus incertaines, la rentabilité de l’opération repose sur la possibilité de construction au pied des pistes. « Dans une station vieillissante dans laquelle des investissements sont nécessaires, l’immobilier est un vecteur de croissance », explique le maire. Le projet de l’Ananda Resort, un complexe hôtelier haut de gamme de 700 lits avec piscine, commerces et activités indoor, dont les contours ont plusieurs fois évolué, est dévoilé en septembre 2022. Avec un objectif : attirer dans la station une clientèle d’affaires et de loisirs qui pourrait fréquenter ce resort 4 étoiles pour de longs séjours. En parallèle, un autre programme d’une centaine de logements, prévu dans le village voisin de Corrençon-en-Vercors et porté par le promoteur Federaly, associé au sein d’Infinity Nine Mountain, est également envisagé. « Notre but, c’est d’avoir une exploitation “quatre saisons” et de faire découvrir le territoire. Il serait inconscient aujourd’hui de proposer quelque chose qui ne soit en lien qu’avec le ski », martèle Marie-Sophie Obama, ancienne basketteuse et présidente déléguée de la société créée par l’ancien no 9 des Spurs de San Antonio.
« Les gens n’arrivent plus à se loger »
Mais chez une partie des habitants du plateau, le projet ne passe pas. Regroupés au sein de l’association Vercors Citoyens, qui revendique 850 membres, ils dénoncent un programme « anachronique », en « décalage » avec le territoire. « La logique est la même que les projets immobiliers qu’on a connu dans les années 1970, avec la construction de lits pour assurer l’activité ski. Mais tout l’environnement a changé. Il ne neigera pas plus parce que Tony Parker est là, alors pourquoi continuer à investir dans ce modèle ? », tempête Mathieu Ferrier, un des membres du collectif, qui s’est installé dans le Vercors il y a quatre ans après une première vie dans la finance. En ligne de mire : les immenses copropriétés plantées au pied des pistes, héritées d’une époque révolue. Aux Glovettes, un grand ensemble construit en 1973 qui compte un peu plus de 900 appartements, la moyenne d’occupation est de 6 semaines par an. Le reste de l’année, la majorité de ces logements restent inhabités. Des « lits froids » qui sont aujourd’hui le casse-tête de la plupart des stations. Chez les élus du territoire, certaines voix s’élèvent également pour dénoncer la « philosophie » du complexe hôtelier. C’est le cas de Chantal Carlioz, maire (divers droite) de la commune de 2008 à 2020 qui avait pourtant travaillé avec les équipes de Tony Parker sur une première ébauche de projet, dès 2019 : « Le programme initial n’avait pas cette ampleur. Là, on parle d’un complexe en circuit fermé, avec des infrastructures qui existent déjà dans la commune et qu’on a du mal à entretenir », regrette l’ancienne vice-présidente du département. « On est sur un programme dix fois moins grand que ce qui se faisait par le passé, répond Marie-Sophie Obama. C’est un projet de territoire, qui permettra de maintenir le niveau d’emplois et donc, derrière, des écoles, des lycées, des routes… »
Dans le village, beaucoup reconnaissent le caractère « sensible » du dossier et la difficulté de prendre la parole publiquement sur le sujet. « Ce qui est clivant, c’est que c’est ressenti comme un projet 100 % touristique, alors que les gens n’arrivent plus à se loger et que le mètre carré atteint 5 000 euros dans certains secteurs », avance un agent immobilier. En 2019, « l’effet Parker » avait déjà fait grimper les prix, avant une explosion du marché lors de la période post-Covid, quand des urbains en quête de nature ont déferlé sur le plateau. Aujourd’hui, certains craignent encore l’envolée des tarifs. « Si on veut concurrencer les autres stations, il faut proposer des choses innovantes, soutient un autre commerçant. On a besoin de se moderniser et de séduire une nouvelle clientèle. » Loin de ne concerner que Villard-de-Lans, le débat qui anime aujourd’hui le Vercors agite de nombreux territoires de moyenne montagne, dont l’économie dépend en grande partie du ski et qui sont confrontés aux effets du réchauffement climatique et à la difficulté de continuer à exploiter le modèle existant. « Ces territoires sont dans une période charnière, dans laquelle il est encore possible de tirer des revenus du ski. La question qui se pose est de savoir ce qu’on fait de ces revenus. Est-ce qu’on poursuit sur la même trajectoire au risque de s’y enfermer ou est-ce qu’on essaie de trouver de nouvelles voies de développement ? », explique Hugues François, chercheur à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et spécialiste de la question de la transition du tourisme en montagne.
Ancien biathlète en équipe de France aux côtés de Martin Fourcade et président de Vercors Citoyens, Loïs Habert veut défendre cette nouvelle vision : « J’ai fait ma vie autour du ski, mais aujourd’hui, les choses vont à une vitesse dingue. J’ai skié sur des glaciers que ne connaîtront pas mes enfants. On ne dit pas qu’il faut mettre la clé sous la porte, ce qu’on demande, c’est un projet plus vertueux, explique l’ancien biathlète, qui a ouvert il y a cinq ans un centre d’hébergement écoresponsable qui accueille toute l’année un public de sportifs. Dans le Vercors, il y a un potentiel énorme pour faire autre chose. » Mais pour le maire de Villard-de-Lans, « il n’est pas question de faire le deuil précoce du ski, alors que les études montrent que l’on pourra exploiter encore une vingtaine d’années ». Pour lui, l’avenir passera par le projet qui divise aujourd’hui sa commune : « Si le projet ne se fait pas et que Tony Parker s’en va, comment assurer les investissements nécessaires au fonctionnement de la station ? On est sur un fil… »
Fin octobre, le conseil municipal de Villard-de-Lans a voté l’échange d’une parcelle de terrain entre la SEVLC et la mairie, permettant à Infinity Nine Mountain d’envisager la construction de son complexe hôtelier sur le parking de La Côte 2000. Le projet devra encore passer les étapes de l’enquête publique et du dépôt de permis de construire, pour un début de chantier qui ne devrait pas intervenir avant 2026. D’ici là, l’association Vercors Citoyens a déjà annoncé sa volonté de s’opposer au projet sur le terrain judiciaire.
Sandy PLAS (Le Figaro)
inscrit le 30/10/05
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