slow_rideuze disait: et la lune ça marche
Eh bien, il est descendu bien bas, le niveau, des gens qui sont estampillés "scientifiques" sont superstitieux.
Quelques "autorités" :
La Lune est au Jardin...
« [...]
elle nous renvoie aussi parfois l’image de notre bêtise. »
Jean-Louis Heudier dans
Le Livre de la Lune
La tradition est présente depuis longtemps chez les jardiniers, et c’est la presse qui la popularise le mieux en l’habillant des atours de « Bonne Mère Nature ». Les conversations avec les gens proches de la nature en témoignent : la Lune influence les plantations, il faut vérifier sa position et sa phase avant toute entreprise au jardin. Quant aux citadins, dans la plupart des cas il se rangent naïvement aux côtés de ceux qui pratiquent (ceux de la campagne) et qui « savent »…
Pour notre part, habitants des villes ou des champs, curieux mais sceptiques, nous ne nous laisserons pas « conter fleurette ». Si les fleurettes poussent bien sous la Lune, elles nous semblent pourtant bien loin de communiquer avec elle.
Présence et séduction
La Lune scande le temps humain. Elle a longtemps fasciné par son alternance d’apparitions et de disparitions. Sa capacité à se transformer lui avait octroyé autrefois des pouvoirs dans l’imaginaire populaire, par ignorance de ses mécanismes. De nos jours, l’homme a décrypté ses mouvements et ses cycles mais les croyances lunaires sont désormais solidement enracinées dans la culture humaine.
La Lune est aussi l’astre le plus proche et le plus présent de notre ciel. Elle est ainsi propice à une véritable intimité avec l’être humain, nourrissant les rêves des poètes, l’émerveillement des enfants, le plaisir des observateurs. Ainsi, aucun conte pour enfants n’omettrait d’installer la Lune comme facteur d’apaisement, aucun décor romantique n’oublierait de l’accrocher au firmament. Le double mécanisme, croyance ancienne et intimité chaleureuse, s’il n’en est probablement pas la cause, renforce pourtant la pérennité des comportements irrationnels.
Plus complexe qu’il n’y paraît
Mais en toute objectivité, ce qui caractérise vraiment la Lune, c’est la complexité de ses mouvements, parce qu’elle évolue dans un système à trois corps (Terre-Lune-Soleil).
Ses phases sont les phénomènes les plus apparents et ne sont plus un mystère. Mais elles constituent la part la plus simple à comprendre, puisqu’il s’agit de l’éclairage du Soleil variant selon la position des trois protagonistes.
Le plus complexe, ce sont les perturbations gravitationnelles dues à l’influence de la Terre et du Soleil. La durée de révolution de la Lune autour de la Terre se situe autour de 27 jours, mais les inégalités sont nombreuses et la durée en sera différente selon qu’on la mesure entre deux phases, ou par rapport aux étoiles, ou bien entre deux passages au même noeud [1], ou entre deux passages à son périgée ou apogée [2], ou par rapport au point vernal [3]. Cinq types de révolution cohabitent.
Enfin, la Lune étant un astre massif, presque aussi massif qu’une des lunes de Jupiter [4], et la Terre ralentissant sa rotation (à cause du phénomène des marées), elle cherche à échapper à son emprise et s’éloigne de nous à raison de 2 m par siècle.
Ces inégalités impossibles à appréhender par l’intuition forment un contraste saisissant avec l’évangélisme affiché par les adeptes des influences lunaires. Ils avancent une cohésion des forces de la Terre et du ciel, dont la Lune serait messagère, c’est-à-dire un concept simple, global, accessible à tous, mais sans explication, et donc vide. Vu sous cet angle ésotérique, le lien avec le ciel est de peu d’utilité, car ce type de savoir ancestral est fortement erroné.
Un argument qui tombe à l’eau
Leur seul argument un peu concret, c’est la force de gravité. Tout jardinier « lunaire » vous dira que, la force de gravité de la Lune agissant sur les eaux terrestres en provoquant les marées, elle doit aussi être efficiente sur le potager, puisque les plantes sont gorgées d’eau. Pourtant, on peut lui répondre que cette force de gravité est universelle, qu’elle agit tout autant sur la matière solide. Tout objet contenant de l’eau devrait alors déborder, ce qui n’est pas le cas.
Par ailleurs, songeons aux conséquences d’une telle action sur l’eau des plantes ou des êtres vivants, et faisons valoir la réalité : la Lune a beau agir sur les eaux, elle n’a jamais fait, par exemple, grandir nos enfants suivant ses phases, bien que l’organisme du nourrisson soit composé de 75 % d’eau ! La Lune aurait-elle l’amabilité de faire un tri entre les plantes et les humains ?
On peut aussi lui rétorquer que c’est l’action associée de nos deux astres les plus proches qui provoque les marées, comme l’explique Jean-Pierre Verdet dans son dernier livre consacré aux idées reçues (voir bibliographie) : « C’est l’action conjuguée de la Lune et du Soleil qui règle le grand mouvement oscillant des océans, mais le Soleil n’y contribue que pour un tiers. L’attraction luni-solaire déforme l’ensemble de la Terre, la masse d’eau moins visqueuse que la croûte terrestre est plus déformée : certains interprètent ce phénomène en disant que la Lune attire l’eau. Certes, mais elle ne l’attire pas plus que toute masse située dans son champ gravitationnel. »
Si on croit aux influences célestes, on doit donc en déduire que 1/3 des si beaux résultats obtenus au jardin « céleste » est dû au Soleil. Indétectable, l’influence diurne du Soleil sur les plantes ? L’influence lunaire est tout aussi indétectable !
Planète Gaïa
Dans les manuels de jardinage, le langage n’hésite pas à verser dans l’animisme. Pour désigner les rythmes annuel, mensuel, quotidien, un manuel de jardinage (avec la Lune) édité chez Rustica [5] parle de « respiration ». On peut y lire : « La Terre respire selon trois rythmes : une respiration annuelle conduite par le Soleil ; une respiration mensuelle rythmée par la Lune ; une respiration quotidienne, celle de jour et de la nuit. »
On est loin de la respiration de la Terre dont peuvent parler les agriculteurs quand ils font référence au labourage ou à toute activité d’aération de la Terre comme bêcher ou biner. Si la métaphore de la respiration se fait outil pédagogique pour ces agriculteurs, ici elle se déguise insidieusement en aménageant une fusion entre le constat (rythmes relevant de la mécanique céleste) et l’idée de vie. La Terre « respire » et ce sont d’autres astres, Lune et Soleil, qui commandent ce phénomène ! Vous voilà offert sur un plateau le culte de la Terre comme planète vivante et palpitante, Gaïa. En témoigne ce passage dans ce même manuel5 : « Puis, entre midi et 15 heures, un silence se fait. La terre s’intériorise à nouveau, les forces descendent vers les racines. »
Mais la dérive ne s’arrête pas là. La Lune est aussi une capricieuse : elle a ses interdits. À certains moments du cycle lunaire, c’est-à-dire au passage de la Lune aux nœuds (voir note 1), le jardinier doit suspendre tout semis. Pourquoi ? Nul ne le sait. Les manuels édictent l’interdit sans autre forme d’explication. Et s’il prenait au jardinier l’audace de passer outre ? Ses semis seraient stériles ! Vous voilà prévenus : on ne badine pas avec la Lune.
Des noms révélateurs
Prenez une carte de la Lune et regardez les larges formations grises qui apparaissent, appelées « mers » (et qui sont en réalité des dépressions remplies de basalte, d’où leur aspect gris foncé ). Sur la partie droite de l’astre, qui correspond à la première éclairée en période de Lune croissante, les mers portent les doux noms de « Mer de la Sérénité », « Mer de la Fécondité », « Mer du Nectar ». Sur la partie gauche, qui correspond à la partie éclairée en période de Lune décroissante, elles portent les noms effrayants de « Mer des Nuages », « Mer des Humeurs », « Océan des Tempêtes ». Ces noms du XVIIe siècle, conservés par tradition, révèlent que la Lune croissante était une Lune positive, et la Lune décroissante négative. On retrouve ces croyances aujourd’hui dans les pratiques du jardinage. Les plantes nobles, dont on consomme les feuilles, doivent être semées en Lune croissante, et les plantes moins nobles, sans doute plus « archaïques », dont on consomme les racines, en Lune décroissante. Le ciel tout entier est marqué de symbolisme dans ses appellations. Mais il n’y a que les astrologues pour prendre ces noms pour argent comptant et faire croire à leur véracité.
Influence météo et Lune Rousse
Le jardinage en fonction des phases lunaires est tout empirique. Or il est soumis à de nombreuses autres influences, souvent oubliées au profit de la Lune, comme l’état du sol, l’exposition, les conditions atmosphériques, qui sont les vraies influences déterminantes pour la croissance potagère. Si ces influences correspondent à un certaine phase de la Lune, ce n’est que fortuit.
La Lune prend d’ailleurs des allures différentes selon la météo, ce qui peut être un guide pour connaître l’état de l’air. Le meilleur exemple en est la Lune rousse. La pleine Lune de fin avril-début mai intervient alors que les journées peuvent déjà être chaudes et les gelées matinales fréquentes. C’est le contraste de température entre la journée et la nuit, et non la Lune elle-même, qui brûle les jeunes plants.
La pleine Lune apparaît alors un peu rougeoyante grâce à l’atmosphère surchargée qui joue le rôle de filtre. Ses molécules absorbent le bleu et le vert, mais laissent passer le rouge. La pleine Lune est d’ailleurs rouge ou rousse à chaque fois que l’atmosphère est saturée de poussières, d’humidité, ou de turbulence de chaleur (en été ), en particulier à son lever, car les rayons lumineux très obliques ont alors la partie la plus longue de l’atmosphère à traverser : l’horizon.
Une alliance efficace
Le jardinage avec la Lune assure son succès grâce à une alliance entre trois concepts : le concept du Tout (l’univers) auquel nous serions liés, l’influence astrale, et le culte de Bonne Mère Nature. Cette pratique a encore de beaux jours devant elle grâce à une forme d’écologie « douce-rêveuse » très en vogue dont le credo est de renouer des liens perdus. Saurons-nous un jour respecter l’environnement, réfléchir à notre place dans la nature, sans tomber aussitôt dans le mysticisme ?
Bibliographie
·Atlas de la Lune, éditions Gründ.
·Le grand atlas de la Lune, Thierry Legault et Serge Brunier, 2004, éd. Larousse.
·Observer les phases de la Lune, Karine et Jean-Marie Lecleire, éd. Lecleire.
·L’univers, Jean-Pierre Verdet, collection Idées reçues, 2005, éd. Le cavalier bleu.
·Dictionnaire de l’astronomie et de l’astronautique, Philippe de la Cotardière, éd. Larousse.
·Le Livre de la Lune, Jean-Louis Heudier, éd. Z’éditions.
·Les influences lunaires, Jean Gunther (SPS 257, rubrique Sornettes sur internet).
[1] Les nœuds lunaires sont les deux points d’intersection du plan d’orbite de la Lune avec celui du Soleil (écliptique).
[2] Périgée de la Lune : point de son orbite le plus proche de la Terre. Apogée : point de son orbite le plus éloigné.
[3] Point vernal : sur la sphère céleste, point d’intersection entre l’équateur et l’écliptique, que le Soleil franchit à l’équinoxe de printemps.
[4] La Terre et la Lune sont souvent considérées par les astronomes comme un système de planètes doubles.
[5] 2005 - Jardinez avec la Lune, 120 pages, éditions Rustica
[6] Sur le web, vous en trouverez une à la page :
astrosurf.com
Article déjà paru dans le numéro d'octobre 2005 (N° 268) de Science et pseudo-sciences, revue de l'AFIS.
Ce message-là n'est pas mal non plus.
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