Sinon, voici un exemple qui abonde dans l'autre sens. Son auteur ne saurait être suspecté de gauchisme, ni même de vouloir ratisser des voix : il a été président de l'entreprise évoquée, et ce à l'époque de son plus fort développement.
ELECTRICITE : POUR QUI LA CONCURRENCE ?
(Paru dans la revue « Mines la Revue des Ingénieurs » n° 452, mi-avril 2011)
M. BOITEUX de l’Institut
On aura beau retourner le problème dans tous les sens, rien ne permettra d’échapper au paradoxe de la situation dans laquelle la France s’est mise pour son alimentation en électricité.
Sous diverses pressions – et tout spécialement celle de Bruxelles – l’Etat français a décidé, au tournant du siècle, de confier au jeu de la concurrence et aux disciplines du marché la « régulation» du secteur de l’électricité. Peu avertis ou mal informés, les milieux industriels y ont généralement poussé, persuadés que la compétition allait enfin faire baisser les prix du kWh.
En fait et comme la poule qui a couvé un canard, le gouvernement français se trouve confronté, dix ans après, à une situation impossible : on avait ouvert les frontières et livré l’électricité à la concurrence pour faire baisser les prix ... et, ces prix, il faudrait aujourd’hui accepter de les laisser monter considérablement pour jouer normalement, et en tous lieux, le jeu du marché européen.
Quel est le criminel qui a ainsi sabordé l’accès tant désiré de la France électrique aux disciplines du marché ? ... ces disciplines vantées par les nouveaux gourous du libéralisme,[1] et soutenues par les autorités de Bruxelles. Ce criminel, c’est EDF. Son crime ? Etre trop bon marché. Des circonstances aggravantes ? Ce résultat a été obtenu (malgré tout ce qu’on raconte pour sauver les apparences) sans la moindre subvention de l’Etat[2]. Nationalisée certes, l’entreprise EDF n’en était pas moins une entreprise au sens plein du terme, avec ses comptes et ses résultats vérifiés par expert comptable. Et l’énorme programme nucléaire que ses concurrents lui envient aujourd’hui, c’est par emprunt ou autofinancement qu’elle l’a financé, sans que l’Etat français, donc le contribuable, y ait mis un sou. Pas un sou non plus en provenance du consommateur puisque, hors certains très gros clients qui sont des cas d’espèce liés à des problèmes de financement, les tarifs d’EDF étaient (hors taxes) parmi les moins chers d’Europe : le « client » n’y a donc pas contribué non plus.
Et c’est là que git le scandale : bien que nationalisée, EDF était une entreprise efficace, qui a su faire les bons choix au bon moment[3], et surmonter les handicaps hérités de son statut. Et surtout, elle a su rendre son personnel fier de la Maison à laquelle il appartenait[4] ; ce qui vaut tout le reste, et n’est pas si facile.
C’est ce scandale que, Bruxelles aidant, on a réussi à remplacer par un autre scandale : puisque, grâce notamment à son programme nucléaire (auquel, je le répète, ni le contribuable, ni le client n’a apporté un sou[5]), EDF a des coûts de production notablement moins élevés que ceux du marché européen où peuvent s’approvisionner ses concurrents, on va obliger ladite EDF a subventionner lesdits concurrents pour leur permettre d’être enfin compétitifs.
On marche sur la tête.
Cela dit, comme, dans ce secteur de l’électricité, tout le monde est maintenant obligé de marcher sur la tête, un dialogue peut utilement s’établir entre les uns et les autres, placés dans la même position.
Et, c’est vrai, puisque le gouvernement français, après avoir ouvert l’électricité française à la concurrence européenne, en refuse absolument les conséquences, il faut bien trouver une solution de « second best » (c’est de l’anglais et best ne veut pas dire ici bête mais meilleur ...).
Finie donc la régulation par le marché. Le pouvoir fait retour à l’Etat et c’est lui, ou son délégué, qui va fixer souverainement le prix auquel EDF sera tenu de brader sa production à ses concurrents. Ceux-ci ne manqueront pas de faire appel à des firmes de conseil et de relations publiques pour obtenir de l’Etat les meilleurs prix. EDF devra donc en faire autant de son côté. Et régnera enfin la concurrence, puisque ce sera la meilleure équipe de relations publiques qui gagnera.
Mais était-ce bien entre firmes de relations publiques que l’on recherchait les heureux effets de la compétition ? En tout cas, c’est là de la vraie concurrence, sans qu’on ait exigé de l’une des équipes, plus prospère, qu’elle subventionne l’autre avant la confrontation. Pas encore en tout cas.
[1] J’ai enseigné les mérites de la concurrence dans les années soixante, à une époque où c’était méritoire, et je ne vise ici que les gourous, pas l’économie de marché.
[2] C’est absolument incontestable depuis le milieu de la décennie 70, et on rappellera ici que cela reste vrai aussi pour le passé lointain si l’on considère que les prêts du FDES, étant rémunérés, apparaissaient eux aussi comme des emprunts, vus d’EDF.
[3] On citera la méthodologie des choix des investissements et de la fixation des tarifs dans les années cinquante, le passage dès 1970 (des pionniers !) de l’analogique au numérique, le changement de filière nucléaire à la même époque etc ...
[4] Certains diront que ce n’était pas étonnant, avec tous les avantages qu’il avait. D’une part, c’est beaucoup moins vrai qu’on le croit pour le personnel non cadre, et complètement faux pour les cadres. D’autre part, «ça ne vous regarde pas » : seule compte la compétitivité du prix de vente. Qui pense au salaire de l’ouvrier qui l’a emballée quand il achète une brosse à dent ? Ce qu’on veut, c’est que celle-ci soit bon marché à qualité égale. C’était le cas pour l’électricité.
[5] On rappellera ici, pour répondre aux critiques faciles qui ne manqueraient pas de surgir encore, que si EDF a quand-même bénéficié de la garantie de fait de ses emprunts, elle l’a payé très cher par des voies détournées.
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