I - L'HISTOIRE
L'histoire de la crêpe ou de la galette commmence sans doute il a 7000 ans avant Jésus-Christ , lorsque lassé de manger de la bouillie , l'homme eut l'idée de la faire cuire sur les pierres du foyer . La crèpe ou la galette ne sont donc à l'origine que la forme primitive du pain . D'ailleurs , presque toutes les civilisations connaissent la galette , qu'elle soit à base de blé , de maïs , d'orge ou d'une autre céréale .
Les Ecossais du début de la guerre de 100 ans connaissaient aussi la crêpe . Le Wallon Jean Le Bel qui sera repris par Froissart décrivait ainsi les alliés un peu rustiques du Roi de France en guerre contre l'Angleterre : " Li Escot (les Ecossais) sont durs et hardis durement et fort travaillants en armes et en guerre . A ce temps ( au temps de Robert Bruce ) ils admiraient et prisaient assez peu les Anglois , et encore font-ils au temps présent ...Quand ils veulent rentrer en Angleterre , ils sont tous à cheval fors ( à part) la ribaudaille ( la piétaille) qui les suit à pied . Chevaliers et écuyers sont bien montés sur bons gros ronsins , et les autres communes gens sur petites haquenées . Et ne mènent point de charroi pour ( à cause ) les diverses montagnes qu'ils ont à passer , et ne mènent nulles pourvéances ( provisions) de pain et de vin , car leurs usages sont tels en guerre et leur sobriété , qu'ils se contentent bien assez longuement de chair cuite à moitié , sans pain , et de boire eau de rivière , sans vin .
" E t n'ont que faire de chaudières ni de chaudrons , car ils cuisent bien leurs chairs ( viandes) au cuir des bêtes mêmes , quantd ils les ont écorchées , et savent bien qu'ils trouveront bêtes à grand foison au pays là où ils veulent aller [...] .
" Chacun emporte , entre la selle et le pommeau une grande pierre plate , et derrière lui une besace pleine de farine , en cette entente ( intention) que , quand ils ont trop mangé de chair mal cuite ,que leur estomac leur semble être vide et faible , ils jettent cette plate pierre au feu et détrempent un peu de leur farine d'eau , et quand cette pierre est chauffée ils jettent de cette claire pâte sur la chaude pierre et en font un petit tourtel ( crêpe) en manière d'une oublie de béguine et le mangent pour conforter l'estomac . Par quoi n'est point merveille s'ils font plus grandes journées que nulles autres gens ."
Les noms utilisés en Bretagne rappellent bien l'origine primitive de cette galette puisqu'on la cuit sur une galétière , une galétoire , une pierre ou une tuile . Quand au nom de crêpe , si certains y voit une origine latine , lié à l'aspect irrégulier de sa surface , j'ai plaisir à penser qu'il y a plutôt un lien avec le mot arabe khobz ou gheubeuz qui désigne ce pain rond et souple qui sert au Proche -Orient à manger sans utiliser de couverts et que les Grecs ont apporté chez nous sous le nom de Pita .
II .LA MATIERE PREMIERE
Pour tout le monde , la galette ou la crêpe bretonne , c'est d'abord la crêpe ou la galette de sarrasin . Le sarrasin ou blé noir (Ed du en breton ) appartient à la famille des polygonacées comme la rhubarbe ou l'oseille. Mais , à cause de sa culture et des façons de l'apprêter , le sarrasin est considéré comme une céréale .
Au XIIème siècle , les Croisés rapportèrent le sarrasin du Proche-Orient . Sa culture se diffusa lentement et l'on pense que le sarrasin apparût en Bretagne au XIIIème siècle . Dans le Livre d'Heures de la duchesse Anne il est appelé " blé de Turquie " . Facile à cultiver sur des terres légères et friand d'un climat humide et tempéré , et bénéficiant d'une faible imposition , le sarrasin se développa rapidement et intervint dès lors quotidiennement dans la préparation des bouillies et des galettes . En Bretagne , on peut donc dire que c'est l'arrivée du sarrasin qui a permis le développement de la crêpe ou de la galette .
Quoique vivant dans un pays cerné par l'Océan , les habitants de l'intérieur des terres n'étaient pas de gros consommateurs de poisson . La crêpe de sarrasin rentra donc naturellement dans l'alimentation des mercredis ,vendredis et des temps de carême . Puis au fil des siècles elle devint un objet de gastronomie pour les vieux comme pour les jeunes , les pauvres et les riches ; les différences sociales ne se marquant que par différence de farine utilisée ( sarrasin pour les uns , froment pour les autres ) et par la garniture utilisée .
III. CONTROVERSE RECURRENTE : GALETTE OU CREPE ?
En pays Gallo et en France , on dit : sarrasin = salé = galette , froment = sucré = crêpe
En pays Bretonnant , on appelle crêpe ( krampouez en breton ) une pâte de sarrasin ou de froment mais très fine . Par contre , on appelle galette , suivant les régions bretonnantes , des pâtes faites de sarrasin ou de froment mais épaisses : voir la galette de Mûr à base de sarrasin ou de froment et de purée de pommes de terre ; ou bien cette galette épaisse de froment que préparait la mère de Pêr Jakez Helias dans " Le cheval d'orgueuil " .
Il semble que l'appellation galette progresse en zone bretonnante sans doute sous l'influence du tourisme .
IV. LES INSTRUMENTS
La galetière ou pillig fit son apparition au XVème siècle . Elle était en fonte et faisait 70cm de diamèitre . On la mettait dans l'âtre sur un trépied ou trebe . On assurait la cuison avec un feu de bois ou d'ajoncs .
La société Krampouz ,spécialisée dans le matériel pour crêpier en fabrique depuis 1949 fonctionnant au gaz ou à l'électricité . Il s'agit de plaques rondes de 33cm de diamètre pour les particuliers et de 35 , 40 , voire 48 cm pour les professionnels . On peut dire aussi suivant l'endroit : galétoire , tuile , pierre , gachoué ou gaofferoué
On étale la pâte sur le pilig avec un rozell , une raclette ou un rouable .
On retourne la crêpe avec une spatule que l'on nomme aussi, suivant les endroits, viroué, tournette , latte , batte , sklisen , askleudenn , astell , palikell (en vannetais ce qui a donné en gallo de Mûr palitchette ).
La spatule qui ser à plier la crêpe peut être de toutes les formes arrondies , plates ou aigues . Les plus belles qu'il m'ait été donné de voir étaient celles que les hommes taillaient dans un morceau de bois tendre pour en faire un glaive semblables aux épées celtes , bellement décoré de motifs déliés , voire d'un triskell .
La palitchette que j'ai sous les yeux fait 60 cm de long et la lame fait au plus large 7 cm . La pointe en est un peu émoussée car , petits , mes enfants s'en sont servie comme d'une arme d'escrime . La poignée est bien arrondie et fait environ 3 cm de diamètre et tient ainsi bien dans la main de la crépière . Le pommeau a , en gros, la forme d'un as de pique percé en son centre d'un trou qui sert à accrocher la latte à un clou du mur . Autour du trou des motifs s'organisent et l'année de fabrication figure juste en-dessous de ce trou.
Maintenant que l'on achète des spatules de métal à manche plastique dans les grandes surfaces , j'aime me rappeler une palikell vue dans une maison du Morbihan , qui avait la forme d'un cimeterre . Pour la beauté , c'était quand même autre chose !
V. LA FARINE ET LES MOULINS.
Comme le sarrasin échappait aux taxes habituelles et que les terres bretonnes de l'intérieur se prêtaient bien à sa culture , celle-ci se développa rapidement et procura un complément alimentaire appréciable . Mais la farine de sarrasin se conservait mal et il fallait pouvoir en moudre chaque jour les quantités correspondant aux besoins de la famille . Les moulins familiaux faisaient concurrence aux moulins banaux , c'est-à-dire seigneuriaux et ils furent donc our cela interdits et porchassés jusqu'à la révolution. Ils furent au début fabriqués par les paysans et le modèle le plus répandu est connu sous le nom de Charmante qu'on lui a donné mais on ne sait ni où ni quand il lui fut donné .
La Charmante est le modèle le plus simple des moulins à blé noir . Il pouvait se fabriquer sans outillage compliqué et se composait de deux parties débitées dans un orme .La partie inférieure ou meule dormante était posée sur trois pieds courts . Un trou vertical était percé en son milieu pour passer une tige en bois ou en métal qui maintenait la meule tournante et en permettait le réglage . La partie supérieure ou meule tournante dont le diamètre était moindre , était elle aussi percée d'un trou central por passer la tige mais évasé en haut en forme de réceptacle pour pouvoir mettre les grains de blé noir . La meule tourne grâce à une poignée de bois placée dessus ou sur les côtés . Sur la partie haute du pourtour de la meule dormante on clouait une bande de bois flexible pour éviter que la farine ne tombe à terre . Ainsi contenue la farine descendait par une entaille ( goulotte) recouverte d'une bande de bois fin et était ainsi recueillie au-dessous dans un récipient . Pour éviter l'usure des surfaces de travail on les garnissait de débris de fonte provenant de poteries cassées. Pour que l'engin soit prêt à fonctionner il suffisait de colmater le trou central de la meule dormante avec du chiffon . Et hop ! Au travail , il n'y avait plus qu'à bosser .
Bien sur , plus tard , on fit appel à des moulins fabriquéspar des artisans ou des petites usines de Bretagne , de Normandie , voire même de Paris . La fin de la culture du blé noir provoqua leur disparition pendant l'entre-deux guerres .
VI. LES CREPES OU GALETTES.
Après avoir étalé la pâte avec le rozell il y a plusieurs façons de procéder :
En pays gallo , on cuit la galette vivement sur la première , on retourne avec la tournette , on beurre , on plie en quatre et on sert chaud ; ou alors on plie en deux, on emballe la saucisse dedans et on sert aussitôt .
La méthode est la même en pays bretonnant , seule l'épaisseur de la crêpe fait la différence .
Je me suis laissé dire que , dans certains coins de Basse-Bretagne , on rajoutait un temps supplémentaire en refaisant faire un tour à la crêpe et en faisant recuire la partie dorée qui fait un pschiiit ... caractéristique , avant de plier la crêpe en deux et on obtient ainsi une crêpe bien " krazet "! Chez les pauvres le beurre était remplacé par le saindoux ou par rien du tout . Chez Pêr Jakez Helias , on pliait en deux les crêpes de sarrasin et en quatre celles de froment , en tous cas celles qui étaient beurrées . Mais on pouvait les plier en quatre dans tous les cas .
Dans les pardons et autres solennités où la crêpe joue un rôle avec le café ou le cidre , les crêpes à emporter sont pliées en deux ou en quatre suivant les endroits . La face tournée vers l'extérieur varie aussi suivant les régions .
La crêpe était un produit que l'on pouvait conserver pour les moments où n'avait pas le temps de faire la cuisine ou que le pain manquait . Chez ma belle-mère (quand elle était petite ) on les mettait à sécher sur la planche à crêpes , sorte de claie de bois qui permettait la circulation de l'air et qui était suspendue entre 2 poutres sous l'escalier . La grand-mère d'une vieille copine , ancienne crépière ,lui racontait que , dans son enfance près de Quimerc'h , avant 1900 , on suspendait les crêpes avec du fil de fer sous les poutres du grenier . C'est à peu près ce que racontait son grand-père à Pêr Jakez Hélias dans " le cheval d'orgueuil" . Les crêpes sèches se mangeaient en lamelles , trempées dans un bol de lait . Le grand-père de ma femme les mangeait trempées dans du cidre .
En Haute-Bretagne la méthode était à peu près semblables . On faisait sécher les crêpes sur une grille en bois appelée hèche . L'ensemble des galettes empilées s'appelait une hèchée . Là la galette froide accompagnait les tripes , le pâté ou était servie en lamelles dans le bouillon de viande .
De nos jours on les utilise encore comme des fraîches en les réchauffant , garnies ou seulement beurrées , sur un pilig ou dans une poêle . Certains la mangent froide .
La crêpe est comme le pain et certains la mangent seule pour bien en apprécier le goût , qu'elle soit de blé noir ou de froment .
VII. EN REGARDANT MIEUX
Si l'on observe une crèpe de près on peut constatées que leurs deux faces sont bien différenciées .
Celle qui était au contact du pillig est brune et bien lisse . C'est pour cela qu'on la retourne car le beurre glisse mieux sur une face lisse.
La deuxième face plus pâle est aussi plus irrégulière semblable un peu à la surface de la lune avec des petits reliefs que ma femme , lorsqu'elle était enfant à L'Armor-Plage , appelait des "boutons-krampouezh" .
Si côté face la crêpe ressemble à la lune , côté pile elle ressemble au soleil ou plutôt au symbole cosmique des Celtes la roue solaire , le triscèle des poteries gauloises , le triskell des Bretons .
En elle on retrouve la forme ronde , l'Eau , la Terre (représentée par la farine) , le Feu et le Vent qui sort de la bouche de la crépière qui souffle sur les braises pour attiser le Feu .
Cette ressemblance avec la roue de la Fortune ou avec la pièce de monnaie faisait qu'à la chandeleur pour attirer la "bonne fortune " on devait faire sauter la crêpe avec une pièce d'or dans la main et ainsi transformer la galette de blé en " galette " sonnante et trébuchante (*) . Nulle étude sérieuse n'a encore été réalisée pour connaître l'efficacité de l'Euro à la Chandeleur . Voilà un chantier de plus pour une commission du Parlement Européen.
(*) Vu le poids de la pillig , on peut difficilement imaginer que la crépière faisait sauter sa crèpe avec celle-ci mais plutôt d'un habile coup de latte .
VIII. LA CREPE EN CHANTANT
De nombreuses chansons en français et en breton , comme notamment "la chanson du mendiant breton " recueillie par l'Abbé Abgrall qui disait que c'était après la Duchesse Anne que tout Breton qui se respectait souhaitait avoir une "maison avec un toit de galettes" .
Mais celui qui a chanté le mieux la crêpe de sarrasin , est le barde se Saint Méen , Théodore Botrel ( 1868-1925). Avant de se faire le chantre de la mitrailleuse et de la baïonnette durant la guerre de 14-18 , il a donné avec " les crêpes bretonnes de blé noir " une véritable étude ethnologique du sujet qui nous préoccupe aujourd'hui . Tout y est même si l'on doit regretter quelques erreurs imputables au souci de la rime plus ou moins riche : cidre doux pour les travailleurs !!! et le " sklisen" comparé ( pardon mânes des vieux Celtes pillards des cités helléniques) au glaive court d'un héros grec .
Les crêpes bretonne de blé noir
1-Le soir meurt , la nuit se ferme
Dans le vieux char cahotant
Rallions vite la ferme
Où le souper nous attend
Une odeur exquise y rôde
Fortifiant notre espoir
D'une bonne soupe chaude
Et de crêpes de blé noir .
C'est avec soin extrême
Que Marivonne a jeté
Dans le bon lait lourd de crème
Le sarrasin bien bluté ,
Un coup de " fourch tan "(1) et vite
Au vent de son tablier
L'ajonc flambe et crépite
Illuminant le foyer
2-Et maintenant qu'apparaisse
Sur mon " trebe" sans retard
Le "pillig du"que l'on graisse
Avec un morceau de lard
Pour que l'accorte fermière ,
Vive et précise à la fois ,
Etende la " bass" légère
Avec le "rozel" de bois .
Un brin d'ajonc sec encore
Et dans le gai flamboiement
La crêpe gonfle et se dore
Et palpite doucement
Mais la crêpière l'enlève
Et d'un coup la tourne avec
La " sklisen" pareille au glaive
Large et court d'un héros grec.
3- Hop! au "tad kozh" la première !
Puis tout le monde en aura
On donnera la dernière
Demain au "klasker bara"
Succulentes , Marivonne
Vos crêpes - Régalez-vous
Et tirez-nous à la tonne
Quelques bols de cidre doux
Et , très nombreux de la sorte
Bols et crêpes se suivront...
Et bien qu'au seuil de la porte
Lorsque nos gars sortiront
Quelques un , voyant la lune
Rouler dans la paix du soir ,
La prendront aussi pour une
Large crêpe de blé noir !
Théodore Botrel ( 1868-1925)
inscrit le 05/02/06
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