Solu les kneckes!!
Comme vous avez pu le lire sur le forum, un accident s'est produit fin Mai dans le couloir Dagobert (versant alsacien du Hohneck):
Victime de cet accident, j'ai décidé de raconter cette expérience pour plusieurs raisons:
-répondre aux sollicitations allant dans ce sens (cf lien ci-dessus)
-donner des renseignements aux skieurs et skipasseurs qui parcourent ces couloirs.
-tirer et faire partager les enseignements d'une telle expérience.
Sur ce dernier point, je tiens d'ailleurs à préciser que l'expérience ne se limite pas à l'accident en lui-même mais va bien au delà (réeducation ...)
Voilà pour les préliminaires , passons donc au récit. Ah, non, j'ai encore quelque chose à préciser: je ne ferai pas mystère des personnes étant avec moi ce jour là puisque celles-ci ont déjà répondus à vos différentes questions.
Nous sommes donc le 21 Mai. Il est 8 heures, je me lève, ouvre les volets (et merde, il pleuvote, il fait froid). Tant pis, on verra, ça peut encore changer, depuis le temps qu'on a prévu cette sortie (des membre du team "DTC" pourraient même se joindre à nous), il n'est donc pas question de l'annuler.
Je rejoins donc snow_badger afin de covoiturer ensemble vers le sommet du Hohneck. Il est à peu près neuf heures lorsque nous arrivons au parking situé à côté de ce furoncle de restaurant. Pas un chat, pas étonnant me direz vous vu le temps: il fait 3 degrés, il y a du vent mais heureusement il ne pleut pas. Toujours pas de Hagi ni de Aubertda à l'horizon (pour Hagi, on ne se fait pas trop de soucis, il doit surement être au dépôt de verre histoire de jeter les cadavres de la veille )
9H20: Hagi arrive, suivi peu de temps après par Aubertda.
Cette jolie troupe enfin au complet se prépare: veste, pantalon de ski, gants, bonnets. Vu la saison et les purges qui se sont déjà produites dans les couloirs, nous n'emportons pas de trilogie (arva, pelle, sonde pour les non initiés). Il en est de même pour les crampons, piolets, baudriers: de toute façon, nous n'en avions pas à cette époque.
Une fois équipés, nous nous dirigeons vers le sentier des couloirs (avec pour la plupart d'entre nous une certaine excitation), où le vent se fait quasi inexistant. Nous arrivons sur la langue de neige en groupe de deux (l'un derrière l'autre), de sorte que l'ordre de descente se dessine naturellement. Pour ma part, je m'élancerai en deuxième position. A première vue, la neige paraît un peu plus dure qu'il y a 10 jours auparavant lorsque j'étais venu skier avec skijeff68:
/forums/enmontagne/stations_ski_france/vosges/sujet-69254.html
Hagi s'élance en premier, avalant cul sec ces quelques mètres de bonheur. Arrivé au bas du couloir (ou du moins au bas de la limite skiable), il crie pour me dire d'y aller.
Je m'élance donc effectuant un premier virage, puis au moment de prendre appui pour le deuxième virage, je ne sais pas trop ce qui se passe, je sens le sol se dérober sous mes pieds, mes fesses touchent la neige. Je pars donc en luge vers le côté droit du couloir. A ce moment précis, je ne panique pas du tout, au contraire, je suis soulagé de ne pas glisser dans la pente. Mon soulagement ne sera que de très courte durée puisque je me vois tomber dans un trou (je ne peux pas vous dire exactement la hauteur, mes collègues se chargeront de vous apporter des précisions) et me cogne la tête contre des rochers. J'avais déjà remarqué 10 jours auparavant la présence de ces sortes de rimayes (trous entre la neige et les rochers causés par la fonte des neiges) mais celles-ci n'étaient pas si nombreuses et se concentraient principalement au milieu du couloir.
Dans ce trou, je ne me souviens de rien si ce n'est de la manière dont j'ai frappé les rochers. A partir ce cet instant tout ce que je vais raconter n'émane pas de moi mais de ce que mes collègues m'ont raconté. Mes collègues, viennent à mon niveau pour récupérer mes skis et prendre de mes nouvelles. Apparemment, je vais bien puisque je suis debout et peux bouger normalement.
Le seul souci c'est que je n'ai pas conscience de ce qui m'arrive. Tel un somnambule, je remonte sur la neige pendant que mes collègues récupèrent mes skis et bâtons. C'est à ce moment que l'accident survient puisque que je dévisse sur la neige, glissant selon Hagi comme un "pantin désarticulé". Rien ne semble pouvoir m'arrêter si ce n'est les rochers et les arbres vers lesquels mon corps se dirige. Tout d'un coup, une de mes chaussures accroche la neige et me fait dévier sur le côté droit où une nouvelle rimaye m'attend.
Celle ci fait environ 3 mètres de haut et 10 mètres de long. Je tombe lourdement, frappant à plusieurs reprises les rochers. C'est à ce même moment que je reprends connaissance, je crois rêver, il fait nuit, je me cogne dans tous les sens ayant juste le réflexe (du judoka) de rentrer la tête dans le menton.
Je m'arrête au fond de la crevasse au milieu d'un ruisseau, mes habits sont mouillés, je perds à nouveau connaissance quelques instants. Lorsque je retrouve mes esprits, je ne sais pas où je suis, ni qui je suis. Par contre, j'ai une image en tête c'est celle d'un homme avec un bonnet péruvien rouge, j'hurle son nom: Pierre O, Pierre O (snow_badger). C'est cette même personne qui viendra me porter secours en premier. Il me prend dans ces bras en disant: "putain Romu t'es un miraculé, un vrai miraculé". Je lui demande ce que je fous ici: "on est dans le Dago, tu as dévissé". Pour moi, c'est le trou noir, je cherche qui sont mes parents, quel jour on est. Bref, je n'ai aucun souvenir, pendant 5 minutes c'est l'amnésie totale. Puis, petit à petit tout rentre dans l'ordre, je suis soulagé.
Quelques minutes plus tard, Hagi et Aubertda vinrent nous rejoindre dans cette grotte d'1m 20 de haut. Hagi et Snow_badger me demandent quelles sont mes blessures. J'ai mal au bras gauche, j'essaie de le bouger mais celui est totalement ballant. Je comprends vite qu'il s'agit d'une fracture de l'humérus. Ensuite, on essaie de me bouger afin de me protéger de l'eau mais là encore j'ai mal à la jambe droite.
On appelle donc les secours (112), en espérant que ça passe, et oui, c'est chose faite on donne le signalement: un skieur au fond d'une crevasse dans le couloir Dagobert, fractures probables à l'humérus et au tibia, crampons et hélicoptères obligatoires. Pendant l'attente des secours, mes collègues s'organisent: Aubertda remonte sur le sentier des couloirs afin de guider les secours. Hagi et Snow_badger tente de creuser la neige sur le côté afin de faciliter ma prise en charge. Vint ensuite un Bressaud qui avait décidé lui aussi de faire le couloir ce jour là. Cette personne m'apporte une couverture de survie (on en avait bien évidemment une avec nous mais avec le choc, on l'a laissé dans le sac à dos) et une pelle à neige pour creuser un passage sur les côtés.
Le temps passe, les secours ne sont toujours pas là (cela fait presque 1h30 que l'alerte a été donnée). Snow_badger m'annonce l'arrivée imminente des pompiers. Le premier à entrer dans la crevasse nous explique qu'il y a eu mauvaise transmission d'infos entre le 112 et les pompiers puisque ces derniers s'attendait à secourir un randonneur.
N'étant pas munis de crampons, ils ont dû descendre dans le Falimont (qui n'était plus enneigé et traverser jusqu'au Dago. Ensuite, l'infirmier se porte à mon niveau afin de me poser une perf qui m'administrera de la morphine pour supporter au mieux l'hélitreuillage.
Pendant que les gendarmes du PGM de Munster préparent les rappels pour me dégager de là, mes collègues et l'un des pompiers que l'on connaissait un peu pour l'avoir déjà vu skier au T**** me racontent des blagues histoire de faire passer le temps et de dédramatiser la situation.
Ce n'est qu'après deux heures et demies 3 heures de temps que je sors de cette crevasse. Je suis harnaché sur une civière, un casque sur la tête et des lunettes vissées sur le visage. C'est grâce à des cordes attachées à des arbres que les secours me font descendre de quelques mètres afin d'atteindre une petite plateforme herbeuse.
Les personnes présentes (secours et amis) se tiennent à l'écart, il ne reste à mes côtés que le gendarme qui sera chargé de m'hélitreuiller ainsi que le médecin. L'hélico approche et se place en stationnaire au dessus de nos têtes, le vent souffle, le médecin monte en premier. Une fois en haut, le mécano nous renvoie le cable. Première tentative raté, il faut recommencer dans un vacarme assourdissant. Cette fois ci, c'est la bonne puisque nous nous élevons au dessus du sol. De là , je me rends compte que vu la chute que je viens de faire, j'ai beaucoup de chance de m'en sortir avec quelques fractures.
Ensuite, l'hélico vole jusqu'à Stosswihr afin de me changer de civière et de récupérer les secours restés dans le couloir. Ensuite, on s'envole direction Pasteur où nous arrivons vers 14h. Je ne manque pas de remercier les gendarmes et les secours. Une ambulance arrive pour me transporter aux urgences. Arrivés sur place, on m'ausculte (t'as mal où.........).
Ensuite direction les radios pour le verdict. Ben moi qui pensais rentrer le soir même, je déchante vite fait lorsqu'on me montre la radio du bras (belle fracture avec un joli déplacement), la radio de la jambe n étant quant à elle la cerise sur le gâteau (quadruple fracture tibia péroné avec déplacement). Il faudra donc m'opérer pour me poser des clous. A ça s'ajoutent aussi des points de suture à l'annulaire, divers hématomes et contusions sur tout le corps.
On m'annonce aussi que je serai placer à ma sortie d'hôpital dans un centre de repos, réeduc. Là, je réponds catégoriquement: non, le repos se fera chez moi à la maison. Leur réponse fut tout aussi catégorique: "à partir de maintenant, nous décidons ce qui est le mieux pour toi donc tu iras en centre de réeduc et c'est tout". D'accord, je ne dis plus rien, j'ai compris, d'ailleurs sitôt arrivé dans ma chambre d'hôpital une infirmière me donne une liste de centre de réadaptation (Trois Epis, Colmar ou Muesberg à Aubure). Je choisirai le dernier car situé en montagne et seulement 15 minutes de mon domicile.
Après avoir subi deux interventions, je suis transféré le 29 Mai au centre de réadaptation fonctionnelle "le Muesberg" à Aubure pour 2 mois et demi de rééducation (à la base le docteur urgentiste me parlait de 15 jours à tout casser)
Arrivé sur place, on me prête un fauteuil roulant (ça fait du bien de pouvoir se balader après une semaine passé cloîtré au lit). C'est sûr, au début c'est pas facile psychologiquement (on se retrouve en fauteuil, il n'y a que des personnes âgées: moyenne d'âge 67 ans) mais bon on s'y fait (surtout quand je vois que certaines personnes ont eu moins de chance que moi: AVC, amputation et que les infirmières et autre soignantes sont très sympas et jolies)
Côté rééducation, j'ai droit à presque 2 heures de kiné par jour, 1 heure d'ergothérapie, de la gym, de la piscine.
Les progrès sont visibles au bout de quelques semaines même si je resterai en fauteuil pendant presque 2 mois.
Aujourd'hui, je marche avec une béquille et continue ma réeduc.
Côté enseignements, ils sont nombreux:
-ne pas fréquenter ce genre d'endroits seuls (je parle pour les couloirs du Hohneck). Bon après, pour ce qui est Forlet et compagnie, c'est vrai qu'il vaut mieux être accompagné mais il est vrai aussi que cela prend une toute autre dimension lorsque l'on est seul.
-pour le matos: selon le rapport des gendarmes du PGM, nous n'avons pas commis d'imprudence (je rappelle ça pour les cons qui n'étaient pas présents le jour de l'accident et qui se sont permis de juger et de faire des commentaires acerbes: personnel à Pasteur, certains de mes potes et d'autres gugus . Niveau matos, certes nous n'étions pas équipés de crabes ni de piochons. Là dessus, les gendarmes pensent que seul le piolet est nécessaire pas le reste. Ceci étant, l'hiver prochain nous seront tous équipés (pour ceux qui ne l'ont pas déjà faits). N'est ce pas Pierre O
-concernant le fait que je reskierai ou pas un jour ces couloirs: la réponse est bien évidemment oui. C'est sûr, dans le Dago je ne pourrai pas y retourner mais la montagne est notre passion, il faut la respecter, la traiter avec humilité, il ne faut donc pas s'arrêter à la première anicroche. Perso, je sais qu'il y a déjà eu des morts dans le Dago, je suis donc bien conscient de la chance que j'ai eu. Cependant, je n'en tire aucune fierté (je trouverai déplacé d'agir de la sorte), je regarde ça avec humilité, respect et passion (je suis heureux de savoir que je pourrai retourner en montagne).
-Toute cette histoire, c'est quand même une belle leçon de vie (se retrouver en chariot, passer 2 mois et demie en centre de rééduc). Putain, je vous jure que ça ouvre les yeux, ça remet les idées en place, on relativise. Certes, j'y pense tous les jours à cet accident mais je suis heureux d'être là, de marcher.
-ensuite, autre enseignement: c'est dans ce genre d'évènement que l'on reconnait ces potes. Je peux vous dire qu'il y a des gens que je connaissais depuis l'âge de 5 ans et qui s'en foutaient de savoir si j'allais bien. Maintenant qu'ils savent que je suis sorti, ils viennent quémander des services: ceux là peuvent aller se faire f*****.
-si un souci vous arrive en montagne,, faites plutot le 17 c'est plus direct (conseil des gendarmes eux mêmes)
D'ailleurs, comme je ne suis pas démonstatif (émotionnelement et sentimentalement parlant) je profite de ce post pour remercier tout ceux qui m'ont soutenus, qui sont venus me voir, m'ont envoyés des cartes, des sms, m'ont appelés.
J'adresse un remerciement spécial à ma famille et à mes amis présents ce jour là: Hagi, Snow_badger et Aubertda
Voilà, vos remarques et questions sont les bienvenues. Je pense que mes collègues pourront eux aussi apporter des précisions
inscrit le 03/01/05
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