C’est l’histoire d’une pratique dont les années sont comptées. La controverse pourra le contredire mais la glace supporte de moins en moins ce sempiternel réchauffement climatique couplé ponctuellement à de sévères coups de chalumeau. Le ski d'été sur glacier en France glisse tout doucement vers sa fin. Les épitaphes sont forcément écrites après la mort mais plutôt que de ressasser cette finitude, replongeons-nous, façon « brèves de glacier », dans un passé pas si lointain pour retracer la géohistoire d’une époque semblant révolue.
En 2020, lors de la première rédaction de cette anthologie du ski d’été en France, nous écrivions tristement : « alors que la saison de ski d'été 2020 démarre dans des conditions particulières avec neige abondante et dispositifs sanitaires, « Pour qui sonne le glas(cier) ? », ce jeu de mots détourné du livre d’Hemingway comme accroche de l’article, colle parfaitement avec ces visions de dépouilles que renvoient les webcams avec vue sur nos glaciers alpins en ce mois d’août 2019. Quelques bâches linceulées complètent un décor mortuaire, une entropie totale et irrémédiable. La saison de ski d'été en France s'est arrêtée abruptement. Alors que le glacier du Pissaillas à Val d'Isère avait fermé le 15 juillet sous une salve de flocons tardifs, les stations de Tignes et des Deux Alpes ont dû stopper précipitamment leur saison estivale : le 25 juillet à Tignes pour une (courte) saison qui devait s’étendre initialement jusqu’au 4 août, le 7 août aux Deux Alpes qui se voyait tenir jusqu’à la Saint-Aristide. Pour la première fois, depuis l’équipement en remontées mécaniques du glacier du Mont de Lans, la station iséroise n’a pas pu respecter sa date prévisionnelle de fermeture tout comme Tignes n’avait pas été capable d’ouvrir en septembre 2018 et 2019 comme traditionnellement ».
Depuis 2020, les périodes d’exploitation se sont encore raccourcies. L’an dernier, le mois d’août n’a pas été franchi et Val d’Isère a rejoint la longue liste des sites à l’arrêt. Après avoir raboté son domaine glaciaire avec le démantèlement des téléskis de Rosolin et Champagny, Tignes évoque maintenant sans tabou la fin de l’exploitation estivale de son joyau. Qu'il est loin le slogan « Le ski 365 jours par an ». Le projet d’arrêt du téléski de la Girose va mettre fin sous peu à l’exploitation du glacier éponyme sur la Grave. Comme le chante un célèbre parolier français, voilà, c'est fini …ou presque.
Cette nouvelle version enrichie de l'anthologie du ski d'été en France compte maintenant cinq chapitres en plus de cet article introductif. Elle vous emmènera aux origines du ski d’été. Un nouveau chapitre entier est consacré aux domaines flirtant avec la ligne frontière franco-italienne. Nous avons retrouvé la trace de skieurs estivants dans le Vercors, le Chablais et même dans les Pyrénées. Enfin, des photos ou anecdotes complètent généreusement les articles de 2020.
Mais, avant de vous plonger dans l’histoire illustrée du ski d’été, nous avons interviewé Marius Mayer, professeur à la Fachhochschule de Munich et spécialiste du tourisme dans les grands sites glaciaires alpins. Il nous donne sa vision de l’évolution du ski d’été en France et en Europe. Les liens sont multiples et permettent de consulter (en anglais) les articles de Marius Mayer sur le sujet.
Marius, la pratique du ski d'été en France est-elle révolue ? (La station des 2 Alpes a annoncé qu'elle n'ouvrira pas durant les mois d'été, la Grave va supprimer son unique téléski et Tignes a démantelé l'an dernier la moitié de son domaine skiable). La dynamique négative est-elle la même chez les pays voisins ? Dans combien de temps, parlera-t-on de cette pratique au passé ?
Dans un article analysant l'impact de l'été chaud de 2022 sur les domaines skiables glaciaires dans les Alpes, nous comparons le nombre de jours d'exploitation dans les domaines skiables glaciaires pendant le semestre d'été entre 2011, 2018 et 2022 à l'échelle alpine. A l'échelle des Alpes, le nombre de jours d'ouverture des domaines skiables sur glaciers durant le semestre d'été a diminué de 45 % entre 2011 et 2022 (-61 % en France). Les journées de ski d'été pendant l'été météorologique et l'été calendaire ont diminué encore plus fortement, respectivement de 63 % (France -55 %) et de 70 % (France -72%). En termes d'opérations de ski d'été, les Alpes orientales, moins élevées, avec leurs glaciers généralement plus petits, ont pris de l'importance par rapport aux Alpes occidentales qui offrent, en théorie, de meilleures conditions naturelles. En France, le recul est donc plus important que dans les autres pays alpins. La fin du ski d'été en France dépend surtout des décisions des exploitants : comme on le voit depuis des années à Val d'Isère, il est possible de proposer du ski d'été de juin à mi-juillet, même avec une très petite surface de glacier et des dépôts de neige issus de l'enneigement artificiel. Cela devrait également être possible aux 2 Alpes et à Tignes, où l'altitude est plus élevée et les glaciers plus grands - d'autant plus que, contrairement à de nombreuses stations de ski sur glacier autrichiennes, on n'y travaille encore pratiquement pas avec l'enneigement (de dépôt) et peu avec les dépôts de neige. Même dans les stations suisses de haute altitude comme Zermatt, Saas-Fee et le Stelvio italien, il sera certainement possible de skier en été pendant quelques années encore, très certainement de juin à mi-/fin juillet. Cela dépendra surtout de la volonté et des possibilités des exploitants, ainsi que de l'évolution de la demande.
Quels souvenirs ou symboles, garderons-nous du ski d'été ? La fin d'une antinomie, ski et été ?
C'est une question à laquelle doivent répondre les personnes qui ont proposé et pratiqué le ski d'été, c'est-à-dire les opérateurs, les clients et les observateurs. Je pense que l'on se souviendra d'une époque d'insouciance (symbolisée peut-être par les photos iconiques de jeunes et jolies personnes faisant du ski en maillot de bain court - un topos fréquent de la publicité pour le ski d'été), une époque où tout semblait techniquement et économiquement possible, où l'on ne se souciait pas ou peu des conséquences négatives de ses propres actions en tant que touriste et exploitant ; une époque où les glaciers étaient encore plus ou moins en équilibre, car ils avaient tellement de neige toute l'année que l'on pouvait même skier en plein été. C'est pourquoi cette antinomie entre le ski et l'été n'est qu'apparente, car skier sur les zones nourricières de glaciers raisonnablement stables est beaucoup moins contre nature que de skier sur des bandes de neige artificielle blanche en automne ou au début de l'hiver lorsque la neige est insuffisante. Si cela n'est pas possible, les glaciers n'ont pas non plus d'avenir à long terme, et nous avons entre-temps atteint cette situation en raison du réchauffement climatique.
En quoi la fin du ski d'été est-elle un marqueur du changement climatique ? Les stations doivent-elles construire un après-ski d'été ou était-on sur une pratique de niche dynamique dans les années 70/80 qui s'est peu à peu marginalisée ?
Oui, de mon point de vue, le déclin du ski d'été est un indicateur touristique clair du réchauffement climatique, depuis le début des années 1980. Assez parallèlement à l'amorce de ce réchauffement rapide, le déclin a également commencé, les conditions d'enneigement se sont dégradées en été (ce qui a détérioré l'offre), la demande a diminué, les premiers domaines ont été fermés ou ont déplacé leur centre d'intérêt saisonnier. Comme nous l'avons déjà écrit plus haut, si l'on n'a plus de neige/de névé pour skier dans les zones nourricières des glaciers, ces derniers n'ont pas non plus d'avenir à long terme. D'un autre côté, il ne faut pas oublier que le déclin du ski d'été n'est pas exclusivement dû au changement climatique - le changement climatique est cependant une raison indirecte pour beaucoup de ces autres influences comme la baisse de la demande, etc. Jusqu'à présent, la plupart des destinations ont bien résisté au déclin du ski d'été et se sont adaptées, par exemple en misant sur les excursionnistes en été (ou aujourd'hui sur le VTT à basse altitude). Dans de nombreuses destinations, le ski d'été n'a jamais été un véritable succès économique, mais plutôt un facteur d'image. Cela signifie que oui, le ski d'été a été une niche qui a été très tendance pendant un certain temps, mais cette tendance est passée depuis longtemps et c'est pourquoi cette pratique est aujourd'hui encore maintenue en vie principalement par des équipes d'entraînement/compétition.
Poursuivez votre lecture avec les autres articles de notre saga du ski d'été :
Chapitre I : l'avènement du ski d’été et premiers domaines sur les hauteurs de Chamonix
Chapitre II : les années 70, la course aux 3000 et aux neiges éternelles, les ski 365 jours par an
Chapitre III : le ski d'été dans la Vallée de l'Oisans : le refuge Adèle Planchard, l'Alpe d'Huez, les 2 Alpes et la Grave
Chapitre IV : sur la ligne frontière, domaines skiables entre la France et l’Italie
Chapitre V : utopies, fugacités et perspectives : Val Thorens et autres lieux singuliers
Ce dossier n'aurait pas vu le jour sans l'aide précieuse et généreuse de Roger David, Simon Gabolde, Guillaume Attard, Jérôme Bordier, Guillaume Bodovillé, Jean-Philippe Gaussot, Marius Mayer, Michel Caplain, Christian Hawellek, Romain Guigon, Laurent Touchard (Skivintage), David De Bruyne (Atout France), Pascale Vidonne (ville de Bourg Saint Maurice - Les Arcs), Dorothée Fournier (Laboratoire SENS - UFR STAPS – Université Grenoble Alpes), Lionel Laslaz (Laboratoire Edytem - UMR 5204 CNRS – Université de Savoie), Jacopo Galfrè, Fulvio Allemand (et son incroyable banque d'images), Joseph Rives, André Sacome, Yves Masson, Patrick "Mario" Barra. Qu'ils en soient sincèrement remerciés !
39 Commentaires
Perso c'est le seul point qui me limite d'y aller.
Connectez-vous pour laisser un commentaire
A Val d'Isère il n'y a pratiquement plus de glacier et le ski de fin de Printemps / début d'été se fait sur la neige de l'année. L'an dernier, il n'en restait pas, cette année, oui. Tignes à décalé d'une semaine sa fermeture prévisionnelle (23/07 au lieu de fin juillet / début aout), l'an dernier là aussi le manque de neige couplé à une canicule persistante ont eu raison du ski au 01/07, la suite ayant engendré une importante ablation du glacier (et de grosses crevasses) telle que l'ouverture automnale à été tardive...
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Par contre on perd un peu de ski propre avec le démantèlement de Rosolin, mais c'est pas grand chose.
On a par contre bien perdu avec la fermeture estivale du ts de la Leisse qui offrait une jolie noire.
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Et finira pas ne plus venir... Plus vite que prévu.
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Par contre pas trop ok sur le côté colle, j'ai jamais trouvé qu'elle collait vraiment.
De la pente et ses jolies bosses naturelles, c'était vraiment une piste que j'aimais beaucoup.
Je pense que la fermeture actuelle est aussi due au retrait du glacier.
A part ça ils n'ont pas lésiné sur l'augmentation du prix de l'abonnement journée.
L'année du covid j'y étais allé en juillet et c'était 32 ou 34 euros la journée, de mémoire, maintenant c'est 47 euros. Environ + 150% c'est très fort.
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Et côté tarif je ne savais pas pour cette année mais visiblement ils se grattent la tête comme pour le bike park: de souvenir à l'époque c'était quasiment le même prix que l'hiver, soit un bon 55€ actuel, avant de tomber à 30 il y a 3 ou 4 ans probablement au vu de la faible fréquentation, et donc de remonter à 47 cette année probablement aussi au vu du bouffage de baraque. Pour le bike park ils avaient commencé à 25€ en 2006 avant de tomber à gratos dans l'espoir de rameuter plus de monde, et de remonter à 10€ vers 2015 au vu du désastre économique. Et depuis ils augmentent tranquillou chaque année de 1€ pour être à 18 cette année. Pfou, faut suivre...
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Le ski d'été est un luxe pour notre génération. Les écololos ont bien mis la pression sur le park des 2 alpes à force d'utiliser du durcineige (produit pour durcir les kicks) alors qu'à coté les slalomeurs balancent du fart non conventionnel à tout va. Ils devraient investir dans un pipe au lieu d'envoyer des riders aux U.S, l'empreinte carbonne serait moindre et cela ferai avancer en France un sport olympique.
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Le budjet n'est pas comprable face à ce qu'ils investiisent. Une miette...
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Alors oui investir dans certaines choses cela à un coût, mais à moyen terme ils peuvent probablement y gagner.
Connectez-vous pour laisser un commentaire
On peut certes le regretter et c'est mon cas, et suggérer qu'il reste peut être une place pour les vrais amateurs de ski. Mais absolument pas accuser des stations qui ont déjà tenté par le passé d'incompétence sur le seul argument de ses certitudes personnelles.
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire