Road trip ski en Slovaquie

La route est longue : France, Italie, Autriche et Slovaquie, direction Poprad au centre du pays, dans les Vysoké Tatry (Hauts Tatras), chaîne de montagnes qui est aussi le plus grand et le plus vieux parc national de Slovaquie. La première impression est bonne : il y a de la neige en plaine. De hauts plateaux vallonnés parsemés de conifères s?étendent à perte de vue. Un arrière-goût de massifs jurassiens mais la comparaison s?arrête là : au loin se dressent des sommets immaculés avec des faces abruptes et engagées. Les skieurs Julien Constans, Thibaud Duchosal et William Kocher sont rassurés : ça va envoyer.

La petite station de ?trbské Pleso créée par Andreas Wenzel (vainqueur du globe de cristal et médaillé d?argent aux JO en 1980) sera notre point de chute. La route qui y monte serpente sur sa partie basse dans un univers d?apocalypse. Des milliers d?arbres couchés par la tempête. La station est surprenante : tous les bâtiments sont disséminés dans les sapins, des bâtiments blocs de béton, typiquement soviétiques. C?est du costaud et c?est efficace mais très moche, du coup on se choisi un trois étoiles bourré d?équipements sportifs posé au pied des télésièges. On ne va quand même pas se laisser abattre?

Le contact avec les locaux est assez difficile : l?anglais est très peu parlé, l?allemand et le slovaque oui... mais pour nous c'est pas gagné. On se démerde quand même et les seules lettres qui comptent sont les bons gros "S" dans la poudreuse, langage universel. Dès les premiers runs on se gave, rien n?est tracé. Le seul vrai télésiège de la station te pose au dessus d?une série de petits couloirs se terminant dans les sapins. Le retour se fait en pente douce. Et comme d?hab' dans ces pays on fait figure d?extraterrestres. Les regards sont fixés sur nos fats ! D?ailleurs après quelques jours toute la station parle de nous. Il faut dire que nous sommes les seuls à sortir de la piste ! C?est grandiose, personne pour te piquer ta trace. On voit quand même de ci de là quelques lignes sur les faces opposées. Le ski de rando fait des émules. Normal, on est dans un parc naturel où l?héliski est interdit. Will est le premier à se motiver. Deux bonnes heures de peaux plus tard et il se retrouve au sommet du Patria à gauche du mont Satan qui doit son nom aux deux petites cornes qui forment son sommet. Il nous gratifie d?un très long run tout en fluidité dans un couloir de 600 m en neige de printemps. Cette deuxième journée nous tire le sourire jusqu?aux oreilles. Il y a un potentiel énorme et encore deux autres stations à visiter à quelques encablures de là.

Du coup, tournée générale de Vodka. Puis une autre et une autre? On fini dans une mini boite avec toute l?équipe de foot du Dynamo de Kiev. La vodka continue de couler à flot et le retour à l?hôtel est compliqué, mais pas autant que le réveil. De toute façon, le temps est tout pourri : il neige à fond. C?est de la folie ! Trois jours non stop et un bon mètre de peuf toute fraîche et légère. Ils n?avaient pas vu ça depuis des années. Le manteau est super stable, rien ne bouge. Il ne faut qu?un quart d?heure de grimpette au sommet du télésiège pour atteindre le Strbské Solisko (2300 m) et engager dans de belles faces qui se terminent par de fins couloirs surgavés de poudreuse.
Sur le bas, la végétation reprend ses droits et de jolies barres apparaissent au milieu des sapins. Avec un tel matelas, il y a de quoi se lâcher. Thibaud, Will et Juju se font plaisir et se mettent quelques bons vols, jusqu'à ce que Will s?explose la lèvre à la réception d?un lincoln. Direction les urgences. Peter notre interprète, pote et aspirant-guide nous y emmène. Et là, ça déchire ! Retour vers le passé. Un long couloir froid, quelques néons jaunes, une rangée de banquettes en skaï brun et des gens de partout qui attendent qu?une porte s?ouvre pour s?y engouffrer. C?est un peu l?anarchie. Apres deux bonnes heures d?attente Will est appelé. Il rentre dans une pièce, la porte se referme derrière lui et puis plus rien. On retient notre souffle. Comment vont-ils nous le rendre ? Une demie-heure plus tard, il sort tout neuf avec quatre points de suture dans son sourire.

On va fêter ça dans un bon resto, Peter nous emmène dans les meilleurs coins de Poprad et c?est le choc : la beauté légendaire des filles de l?Est nous explose à la figure. Le pays devient soudain plus accueillant. Tout est assez bon marché pour les gros riches (?!) que nous sommes. Tu divises pratiquement tout par trois, voire quatre, par rapport à chez nous. On se fait simplement plaisir et les après-ski se finissent souvent à Aquacity, on patauge gaiement en nocturne dans des piscines extérieures chauffées à plus de 30 degrés avec la neige qui continue de tomber, une bière à la main.

Dernière étape : Skalnate Pleso, petite station à une vingtaine de kilomètres de ?trbské. Là-bas, une benne monte à 2600 m au sommet d?un pic où est posé un observatoire. Le seul problème, et de taille, c?est qu?il est interdit d?y monter avec des skis ! Parc national oblige. D?âpres négociations s?ensuivent mais rien n?y fait. On ne ridera pas le Lomnicky Stit. Mais bon, la station est intéressante et comme la peuf est au rendez vous, on ride tout ce qui est ridable. Le coin est magnifique, la nature y est protégée et le site regorge de loups et d?ours. Les vallées sont profondes et les pics escarpés. Malgré l?altitude moyenne, on se sent vraiment en haute montagne. Ici tu rides et tu prends le temps de rider. Tu sais que le lendemain, rien n?aura bougé. Avant de partir, notre pote Peter nous invite chez lui et nous prépare un pierrade slovaque dont il a le secret. Tous ses collègues guides nous connaissaient sans même nous avoir vu : c?est sûr, ce n?est pas tous les jours qu?il y aura de nouvelles traces de recep' sous les barres?

Texte et photos : Stéphane Godin