Escalade outdoor : une histoire derrière chaque spit

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Escalade outdoor : une histoire derrière chaque spit

De l'autorisation à l'édition d'un topo, comment se passe l'équipement d'une falaise ?
article Petzl
Texte :
Anne Jankeliowitch
Photos :
Damien Largeron
Vous n’en pouvez plus et trépignez d’impatience à l’idée de vous ruer dehors pour grimper enfin en toute liberté ? Le matos rassemblé, vous avez trouvé quelques infos sur le web, un compagnon de cordée et quelques jours de libre ? Il n’y a plus qu’à sauter dans la voiture, marcher un peu, et tout est là. Place au plaisir. C’est facile et gratuit. Vraiment ? Repassons le film en arrière pour voir comment ces points sur lesquels nous clippons nos dégaines et ces relais dans lesquels nous installons rappels et moulinettes sont arrivés sur le rocher…

photos de l'article par Damien Largeron : équipement d'une nouvelle voie au Rocher du Midi "Midi les zouzous" (équipée entre l'automne 2019 et le printemps 2020 - Chartreuse) par Laurent Thevenot et Antonin Cecchini

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Une falaise vierge 

Rewind. On déclippe, on relove la corde, on part à reculons sur le sentier et on remonte dans la voiture qui démarre en marche arrière. Rembobinage rapide jusqu’à la case départ. Nous revoilà au même endroit, vierge de tout équipement, quelques années auparavant. C’est là que commence l’histoire, celle d’une falaise qui se retrouve un jour dans le champ de vision d’un équipeur. Soit parce qu’il est du coin et a toujours rêvé d’y équiper des voies d’escalade, soit parce qu’il arpente inlassablement des régions entières pour dénicher de nouvelles trouvailles. Première rencontre donc, sous la forme d’un coup d’œil, parfois un coup de foudre, et des rêves de belles lignes qui germent aussitôt. L’équipeur va alors voir plus près pour évaluer si ses spéculations peuvent tenir leurs promesses.

Parfois c’est la déception, le rocher est mauvais ou sans intérêt, l’accès est impossible… L’affaire est classée. Et parfois, le potentiel se confirme, avec des bonnes surprises : une fissure qu’on n’avait pas remarquée, un bombé qui se révèle superbe, quelques colo dissimulées sous le lierre…

L’équipeur sent alors le perfo qui le démange. Mais l’histoire n’en est qu’au préambule. Pas mal de rebondissements attendent notre découvreur motivé…

Autoriser l'équipement

L’étape suivante consiste à identifier le propriétaire des lieux. Hé oui, il n’existe pas de falaise, de bloc, de grande voie sur un terrain qui n’appartient à personne. Où que nous soyons en train de grimper, nous sommes toujours soit sur une propriété privée, soit sur un terrain communal ou domanial (donc appartenant à l’Etat, comme les terrains de l’ONF). Et cela a son importance… Car pour équiper des voies d’escalade, il a fallu obtenir l’autorisation du propriétaire.

C’est donc soit l’équipeur lui-même, soit la structure qui le représente et défend les intérêts de l’escalade (le club d’escalade local, ou la fédération, ou une association d’équipeurs) qui enfile sa casquette de fin diplomate et explique le projet à des interlocuteurs variés qui n’y connaissent parfois rien à l’escalade, plus ou moins réticents ou méfiants. Il se retrouve généralement autour de la table avec les élus locaux, des privés, les associations naturalistes comme la LPO (Ligue de Protection des Oiseaux), parfois les représentants du Parc national, de Natura 2000, ou d’une fédération de chasse, selon l’endroit où se trouve le rocher… Il s’agit de composer avec tous ces intérêts divergents pour obtenir l’autorisation d’équiper, assortie souvent de consignes pour le stationnement des véhicules et les accès, ou de mesures de protection des espèces de faune et de flore sensibles qui vivent là, et cette étape de concertation peut durer des mois. Il arrive que la demande se heurte à un refus, mais heureusement pour nous, dans de nombreux cas elle aboutit à un feu vert.

Sans que le moindre point ait encore été posé, des passionnés d’escalade ont déjà consacré pas mal d’heures à lancer le « dossier », et en passeront encore plus à le faire avancer et à le suivre dans la durée… François Petit, fondateur de la société des salles d’escalade Climb Up, et amoureux de la grimpe outdoor comme au premier jour, rappelle, dans une lettre ouverte récemment publiée sur le web, leur rôle souvent oublié :

"En tant que falaisiste, ancien athlète de haut niveau et président de Climb Up, un des acteurs de l'escalade indoor, je souhaite exprimer ma gratitude à l’égard des centaines de bénévoles de la FFME, des responsables fédéraux et des comités territoriaux, de la FCAM, et des nombreux clubs sans lesquels rien ne serait possible sur le terrain. Leur engagement quotidien va nous permettre de continuer à vivre notre passion dans des patrimoines naturels exceptionnels."

Équiper

Commence alors pour l’équipeur le chapitre le plus sympa évidemment : l’ouverture à proprement parler. Seul, ou avec d’autres équipeurs (ou des potes patients), il passera là tant de jours qu’il ne les comptera même plus, dans le froid ou en plein cagnard, venant parfois pour rien. Il fera au petit matin ou en pleine nuit la marche d’approche qu’il connaîtra par cœur, chargé de kilos de cordes statiques, de matériel de remontée sur corde, de points inox et de relais chaînés, de son perfo, de ses accus, de son ravitaillement ou son bivouac s’il compte rester sur place… Il scrutera la falaise dans ses moindres détails, lisant les prises que l’érosion a sculpté sur le rocher, imaginant les mouvements et déduisant la voie naturellement possible. Il installera ses cordes stat, et armé de son perfo, ira placer les points d’assurage.

Bien sûr chaque équipeur a sa « patte », sa manière d’équiper, son style, qui est même pour certains « reconnaissable ». Et tous ne sont pas aussi talentueux. Il y a le savoir-faire, les bonnes pratiques, l’ouverture du bas ou du haut… Et cela ne consiste pas seulement à placer une ligne de spits et un relais au bout ! L’emplacement d’un point se détermine par rapport à la sécurité, à un éventuel pas difficile avant ou après, à la meilleure position pour clipper, à la nature du rocher à cet endroit-là, à la position qu’aura la dégaine une fois clippée dedans, au degré d’engagement que l’on souhaite donner à la voie, en pensant à un éventuel pendule du second dans les traversées en grande voie… Sérieux, est-ce qu’on se doute de tout ça quand on clippe une dégaine dans un point ?

Témoignages

Antonin Cecchini, 26 ans

Aspirant guide (il sera diplômé cette année), il travaille l’autre moitié de son temps dans le marketing sportif, notamment pour Petzl. Tout jeune équipeur, il vient de faire ses premières armes avec “Midi les Zouzous“, une voie de 300 m en 7b max au Rocher du Midi (Chartreuse), en compagnie de Laurent Thevenot.

« Il y a dix ans, j’avais participé à un stage de trois jours organisé par le Comité FFME 69 où j’avais découvert l’équipement, les différentes techniques, la purge, les manip de corde. Depuis, j’avais jamais vraiment eu l’occasion d’équiper une ligne à moi, mais je suis resté attiré par le côté “ouverture“, le fait de passer quelque part où jamais personne n’est passé avant toi… Avec Laurent on fait beaucoup de couennes en falaise, mais on aime aussi la grande voie, alors on avait envie de se lancer dans le projet d’en équiper une. On a pensé au Rocher du Midi parce qu’on a beaucoup parcouru cette paroi dont on a fait pratiquement toutes les grandes voies, donc on était en terrain connu et on a eu le temps de décider où on voulait passer avec notre ligne. Ce qui nous tenait à cœur, c’était qu’elle devienne une classique répétée, donc dans un niveau abordable pour un bon grimpeur… J’ai aussi beaucoup échangé avec Philippe Mussatto, un grand équipeur qui a beaucoup ouvert sur cette face. On a repéré par le haut le tracé approximatif, et ensuite on a tout ouvert du bas, sauf la dernière longueur. L’ouverture du bas nous a paru un choix évident, parce que le fait de grimper dedans permet d’éviter des erreurs dans l’itinéraire. Et pour des équipeurs pas très expérimentés comme nous, c’était mieux aussi pour placer les points au meilleur endroit par rapport au mouvement. »

Pour un site de couennes, l’équipement prendra de quelques jours à plusieurs semaines. Pour une grande voie, l’ensemble de l’équipement s’étale parfois sur plusieurs années, lorsque le travail n’est pas terminé mais que la belle saison, elle, a remballé soleil et bonnes conditions jusqu’à l’année suivante ! Même Antonin s’est fait surprendre par la (dé)mesure de l’entreprise…

« J’avais envie d’ouvrir une grande voie aussi pour me rendre compte de travail que c’est d’équiper une grande voie, de la nettoyer, de la rendre grimpable pour les gens qui viendront la répéter… J’ai été servi ! On a mis neuf jours pour l’ouverture, et encore, notre voie ne fait que 9 longueurs, avec une marche d’approche assez courte de 1h30, ce qui est relativement rapide par rapport à d’autres faces plus reculées. Mais on s’est rendus compte de la mission que ça pouvait être d’équiper une grande voie par exemple aux Gillardes, où elles font le triple de la nôtre ! Là-bas, on met déjà une journée pour parcourir les voies en grimpant, alors accomplir le travail d’ouverture, avec toutes les galères qui vont avec, c’est un chantier colossal ! »

Et le chantier est d’autant plus long qu’on est, comme Michel Piola, un amoureux inconditionnel du travail (très) bien fait…

Michel Piola, 61 ans

Avec 47 années d’équipement derrière lui sur tous les continents, ce prof de sport, guide de haute-montagne et auteur de nombreux topos-guides, à l’éthique irréprochable, a toujours accordé le plus grand soin à la qualité de ses ouvertures.

« Un équipeur qui fait mal le boulot peut mettre en danger la vie des autres. Et en particulier s’il se procure du matériel de qualité médiocre pour dépenser moins, ça s’est vu. Equiper en scellements inox, et en titane en bord de mer, ça me semble la base aujourd’hui. Une voie bien équipée, c’est une voie avec des points de bonne qualité, qui durent dans le temps, et qui a été nettoyée. Evidemment, ça prend plus de temps, et ça coûte plus cher ! Mais la pérennité d’un site et sa sécurité sont à ce prix. »

Nettoyer et sécuriser

À ce stade-là, l’équipement de la voie est en place. Cool, on peut commencer à grimper alors ?

Presque ! Il reste à faire un petit « nettoyage ». Le rocher ou la falaise bruts ne sont pas naturellement configurés pour l’escalade ! Un magnifique bac sert de jardin japonais à une touffe de mousses, ici un arbuste fera un parfait piège à corde au moment du rappel, là une fissure remplie de terre est inexploitable, et quelques cailloux ou blocs branlants ne demandent qu’à tomber. Le travail consiste donc à purger la voie de tout ce qui pourrait blesser le grimpeur ou gêner la grimpe, et lui donner son vrai visage de voie d’escalade. Parfois, il faudra aussi stabiliser un pierrier au pied des voies, scier une branche dangereuse, aménager une petite terrasse pour l’assureur… Tout cela représente encore beaucoup d’heures sur place, comme l’explique Michel :

« Nettoyer proprement une voie, c’est une vraie technique, qui nécessite au moins cinq outils différents, comme une barre à mine, des brosses, un piolet, un grattoir… Il faut purger tous les blocs, gratter le fond des fissures, enlever les mousses et les lichens. Dans certaines voies que j’ai équipées à Chamonix, j’ai mis huit jours de nettoyage pour une longueur ! Mais avec le nettoyage, une voie jolie devient magnifique, et une voie magnifique devient exceptionnelle. »

Attention, même si l’équipeur intervient sur la voie pour rendre l’escalade plus belle et plus sûre, il ne peut pas tout contrôler ni tout garantir. Une falaise est un milieu naturel en perpétuelle évolution, et fréquenté par d’autres que nous… Des chamois qui passent un peu plus haut peuvent faire rouler des pierres, un coup de vent agitant un arbuste peut déloger un caillou, et chaque année, l’action du gel et du dégel fait son œuvre dans les anfractuosités de la roche, rendant instables des blocs ou des écailles sans que cela soit écrit dessus… Autant de dangers incontrôlables et imprévisibles, même avec beaucoup d’attention et un équipement aux normes ! Que reste-t-il comme solution ? S’en protéger avec un casque, quelle que soit la falaise. Même si elle est archi-fréquentée depuis 25 ans, plein sud et qu’on la connaît par cœur, cela ne suffit pas pour garantir l’absence de chute de pierre ou d’aléa naturel. Et remballons nos excuses bidons, aujourd’hui la plupart des casques sur le marché sont légers, confortables, et savent parfaitement se faire oublier.

Etre conscient des risques (quels que soient les soins apportés aux purges et à l’entretien du site) induit un autre réflexe indispensable pour se protéger : prendre une assurance chaque saison, par exemple par le biais d’une adhésion et d’une licence dans un club, pour être pris en charge correctement en cas de pépin… et de se faire plaisir sereinement.

Antonin souligne l’importance d’être aussi acteur de sa sécurité et de celle de tous : « Il faut prendre l’habitude d’être toujours vigilant quand on grimpe sur l’état de ce qu’on clippe, de ce sur quoi on tire… N’importe qui, même un grimpeur qui a un petit niveau, peut avoir une clé dans son sac pour resserrer un spit qui tourne, ou signaler un équipement vétuste, et aider à pérenniser l’équipement en place ».

Pour François Petit, grimper responsable ne s’improvise pas, ça s’apprend, et il est convaincu que c’est la mission des salles comme Climb Up :

"De mon côté, tout comme mes collaborateurs qui sont pour la plupart des falaisistes passionnés, j'ai conscience que nous avons un rôle à jouer. L'an passé, nous avons accueilli 150 000 grimpeurs différents dans nos salles, soit 1,5 Millions d'entrées sur l'année. Dans 2 ans, nous en accueillerons le double. Nous devons réfléchir à des solutions pour sensibiliser nos pratiquants citadins à la préservation de l'environnement et les responsabiliser quant aux risques inhérents à la grimpe en falaise. En leur apportant les connaissances nécessaires pour évaluer les situations à risque, nous éviterons des accidents, ce qui est aussi essentiel pour pérenniser nos sites naturels."

Aménagement

La voie étant praticable, il faut encore l’essayer, on dit même « la défricher » pour une voie dure, et proposer une cotation. Et il faut aussi rendre l’endroit accessible en vue de sa future fréquentation. Selon les lieux, cela se décline de l’aménagement d’un sentier d’approche (parfois son tracé complet, avec ce que cela implique de débroussaillage et de stabilisation) à la pose de mains courantes en corde statique ou en câble. Il y a ensuite toute la signalétique à mettre en place, qui va de quelques cairns au fléchage complet jusqu’aux différents secteurs avec les noms des voies… Ce processus d’aménagement fait généralement intervenir comités FFME et clubs locaux, et implique également la commune et/ou le département. 

La passion pour moteur 

Depuis le début de cet article, on réalise mieux tout ce qui s’est passé avant qu’on se retrouve un jour, la dégaine à bout de bras, écoutant le clic satisfaisant du mousqueton se refermant sur ce point bien ancré dans le caillou pour nous permettre d’y passer notre corde et de continuer… Ce point qui cumule à lui seul des heures de travail entièrement bénévole.

Car le plus beau (ou le plus dingue ?) dans l’histoire, c’est que « équipeur », ce n’est pas un métier, mais une passion. La plupart ont un métier, qui n’a parfois rien à voir avec l’escalade (tous ne sont pas moniteurs d’escalade, ni guides de haute montagne, ni profs de sport, même si les rangs des équipeurs en comptent beaucoup), et quand ils équipent, c’est sur leur temps libre. Une passion dévorante, parfois difficile à vivre pour l’entourage car assez chronophage. Avec pour seule rétribution la satisfaction d’ouvrir une belle voie pour d’autres grimpeurs, qui à leur tour se feront plaisir dedans… Nous, donc.

Michel Piola, qui a passé des milliers de jours en équipement, n’a jamais perdu cette motivation : « Il faut savoir équiper avec humilité et l’état d’esprit altruiste de créer quelque chose pour les autres. Par exemple, on équipe en-dessous de son propre niveau en pensant aux gens qui eux, grimperont là dans leur niveau. On ouvre pour que la voie soit parcourue, pour que les gens aient envie d’y aller. Pas pour sa gloire personnelle. »

Du temps et de l'argent aussi (surtout)

Toutes ces journées de travail sont donc réalisées bénévolement. En plus d’y passer beaucoup de temps, et beaucoup d’énergie, l’équipeur y passe parfois aussi beaucoup… d’argent !

Des cordes stat à la sellette sur laquelle il est assis pour réaliser son chantier en plein vide, en passant par les dispositifs de remontée sur corde et autres bloqueurs, les sacs de hissage, tous les outils, sans oublier le perfo et les mèches, cela représente déjà un bel investissement…

À cela s’ajoutent les points et les relais, en général achetés aussi sur ses deniers. Pour les équipeurs les plus prolifiques qui ont à leur actif des centaines de voies, entre les broches inox, le sika, les plaquettes ou les goujons, cela fait un beau pactole, qui se compte en centaines voire milliers d’euros. Le summum de l’altruisme !

Michel Piola avoue ainsi avoir dédié des milliers de jours à sa passion. Mais pas moyen de lui faire dire le nombre de spits qu’il a plantés ! « Le nombre de voies importe peu. Ce n’est pas la quantité qui compte, c’est la qualité. Tous les points que j’ai placés, je les ai payés de ma poche, mais je trouve que ce n’est pas si mal qu’un équipeur investisse son temps et un peu de son argent, ça le responsabilise. Et quand les gens achètent les topos d’équipeurs, l’argent revient à ceux qui l’ont dépensé ».

Ceux qui en font la démarche disposent cependant d’autres moyens de se fournir en points, notamment en frappant à la porte la FFME, premiers acteurs historiques et incontournables de la gestion des sites d’escalade et de leur développement, ou de la plus récente association Greenspits, ou de fabricants comme Petzl, convaincus du rôle qui lui incombe dans cette mission partagée. C’était l’option d’Antonin : « On s’est fait prêter des perfos par des copains qui en avaient, et comme je fais partie des athlètes du team Petzl, c’est Petzl qui nous a donné les points. On a réalisé au passage l’investissement énorme que ça représente pour les équipeurs qui très souvent, payent eux-mêmes leurs spits. »

Le topo, point d'équilibre du système

Ultime étape, il reste à « documenter » la voie. C’est-à-dire en réaliser le topo, sorte de coup d’envoi lançant l’existence de la voie.

Même si l’évolution de l’escalade et de la société amènera sans doute des changements prochains dans ce domaine, et qu’il semble inéluctable que les topos soient un jour numériques, l’incontournable topo-papier, bible des voies d’une région ou d’un site donné, garde aujourd’hui encore toute son importance (même dans sa version dématérialisée).

Qu’il s’agisse d’un topo d’équipeur (ou d’équipeurs qui se regroupent), d’un topo de club (parfois plus artisanal, et réalisé là encore bénévolement) qui présente les différents sites de son rayon d’action, ou d’un topo fédéral (qui comme son nom l’indique est produit par un comité territorial FFME en collaboration avec ses clubs et ses équipeurs), il est un peu la clé de voûte qui permet que l’ensemble tienne debout.

D’abord, on y trouve l’historique du site, les consignes à respecter, des infos sur la faune et la flore, des adresses utiles, et toutes les infos pour aller grimper : les accès, parkings, cotations, tracés, matériel nécessaire, longueur de la voie, orientation, nom de l’équipeur et année de l’équipement (précisions qui, loin d’être anecdotiques, donneront à qui sait les interpréter des indications complémentaires sur le style de la voie et de l’ouverture).

Ensuite (voire surtout !), les bénéfices engendrés par les ventes des topos reviennent soit à l’équipeur, soit au club d’escalade local, soit à l’échelon fédéral local, et servent à financer de nouvelles ouvertures, du rééquipement et l’entretient des voies. Bref, ils sont réinvestis dans les sites naturels. Ainsi, la boucle est bouclée. Pour un Comité fédéral, la vente de topos peut générer jusqu’à 10 000 euros sur une année : des ressources fondamentales pour mener à bien sa mission de gestion et d’entretien des falaises. Acheter le topo est donc la manière la plus intéressante de contribuer, à notre niveau, à l’entretien et au développement des voies d’escalade sur lesquelles nous passons nos meilleures journées de grimpe !

Même si le coût d’un topo est généralement modique comparé à un abonnement dans une salle d’escalade (pour un accès à la falaise, lui, illimité !), la tentation est grande de contourner l’achat, surtout si l’on n’est que de passage. Mais même si le topo servira peu, l’achat permettra toujours de soutenir l’escalade outdoor en général. Et ça, ça nous intéresse.

Pour Antonin, c’est juste logique : « Le sites de couennes sont en quelques sortes “protégés“ par les topos papier, et c’est une très bonne chose, parce qu’entretenir et équiper un site, c’est beaucoup d’argent, alors que le site est en accès libre pour tous. Alors un grimpeur peut payer le prix d’un topo de temps en temps pour participer, surtout sur les falaises qu’il fréquente régulièrement. Débourser quelques euros pour un topo, ça soutient et ça pérennise quelque chose de local dans la grimpe, et c’est important. »

Avant d’acheter un topo, soyez tout de même vigilant, car il s’agit de faire retourner l’argent aux bonnes personnes. Certains topos « vampires » sont ainsi à éviter. Michel nous explique comment les identifier : « Les topos qui couvrent des régions entières ou une grande aire géographique, ou ceux dont le nom de l’auteur ne se retrouve nulle part parmi ceux des équipeurs des voies, doivent alerter. Bien souvent ce sont des topos commerciaux et grand public, parfois même étrangers, et dans ces cas-là rien ne revient aux équipeurs. » 

Des équipements à entretenir 

Nous voilà revenus à l’arrêt sur image en début de cet article. On va enfin pouvoir continuer à grimper !

Place à l’épilogue. Il s’agit maintenant de faire durer les voies d’escalade dans le temps. Or les points métalliques et les relais ne sont pas éternels. On voit d’ailleurs, en grimpant avec attention, qu’ils ne sont pas tous dans le même état. Certains montrent des signes d’usure. Et c’est encore plus vrai sur les falaises en bord de mer, où les embruns accélèrent la corrosion.

Pour que les voies restent sûres et les points d’équipement fiables, pas d’autre solution que de les remplacer quand ils le nécessitent. C’est le rééquipement. Sur les falaises de l’Isère par exemple, 4000 points et 1200 relais posés sur une année sont pour 70% du rééquipement, et 30% des nouvelles voies.

Là encore, bonnes volontés passionnées (grimpeurs et équipeurs) donnent de leur temps et de leur sueur lors de chantiers bénévoles (parfois indemnisés pour certains professionnels) orchestrés par les mêmes acteurs : clubs d’escalade gestionnaires, comités et fédération. Accrochés à une stat, à coups de barre à mine, de meuleuse et de perfo, ils assurent la mise à neuf complète d’une voie, d’un secteur, d’un site entier, en remplaçant des goujons en fin de vie par des scellements inox béton et relais chaînés normés.

Pour les grandes voies, c’est un peu différent des sites de couennes, comme l’explique Michel : « Les grandes voies relèvent du terrain d’aventure, il n’y a pas d’obligation pour l’équipeur, si ce n’est morale, d’entretenir sa voie. Je passe énormément de temps dans mes voies à rééquiper, mais ce n’est pas forcément la règle chez tous les équipeurs. » 

L'escalade au coeur d'un écosystème 

On le voit mieux à la lecture de cet article, si les 2500 sites d’escalade de France qui constituent un formidable patrimoine commun sont là aujourd’hui, et en accès libre pour tous, c’est avant tout parce qu’il y a des grimpeurs qui ont envie qu’ils existent, et qui s’investissent dans toute l’histoire qui précède le jour où l’on met nos mains dans la voie…

En plus des grimpeurs investis, il y a d’autres acteurs de l’ombre qui rendent l’escalade possible : ce sont les collectivités territoriales. Elles sont souvent sollicitées dans le financement des comités locaux FFME et assument les coûts d’aménagement et d’entretien des sites naturels d’escalade. C’est d’autant plus remarquable lorsqu’il s’agit de petites communes isolées pour lesquelles l’escalade amène un peu de fréquentation touristique. Le modeste village d’Orpierre (Hautes-Alpes), entouré de belles falaises, a ainsi tout misé sur la grimpe depuis des années, et sur l’accueil des grimpeurs, avec force dépenses. Mais - c’est la base en économie - la démarche ne fonctionne que s’il y a « retour sur investissement ». Et ce retour, qui l’apporte ? Nous, évidemment. Faire vivre les commerces locaux, dormir au camping, boire un coup sur place, et faire trois courses à l’épicerie du coin, c’est loin d’être anodin. Cela conforte la commune dans son choix de soutenir l’escalade et donne une image favorable de l’activité et des grimpeurs. Et ça, ça peut servir aussi pour l’avenir de l’escalade !


Pour Michel, qui a équipé partout dans le monde, c’est même capital dans certains pays : « À l’étranger, le grimpeur ou l’équipeur européen n’a pas toujours bonne réputation, car il y a eu des abus, des comportements sans aucune considération pour les populations qui vivent là, ou pour l’avenir de l’escalade sur place. Quand un nouveau site majeur et à la mode se développe dans un pays étranger, l’équipement et l’aménagement de la falaise doit être pensé en priorité pour les gens qui vivent là, pour qu’ils en retirent des bénéfices localement. Encore plus que n’importe où en France, on n’est pas chez nous, et tout doit se faire en collaboration avec les grimpeurs locaux, et pas dans un esprit d’aller-retour express pour consommer un peu d’escalade ailleurs. »

Dans les rangs des soutiens financiers, on trouve aussi depuis quelques années des salles d’escalade privées, par exemple Climb Up, comme l’explique François Petit :

"Avec notre Fonds de Dotation Climb Up, nous contribuerons à l'entretien des sites. Nous soutiendrons également des clubs qui font des falaises de leurs communes leurs lieux de pratique et de rassemblement. Leur implication est importante pour conserver le lien avec les collectivités locales et les privés."

Grimper conscient

Pour finir, coup de projecteur sur les acteurs principaux de la suite de l’histoire : nous ! Car une fois qu’un site d’escalade est créé et entretenu, ce qui devient déterminant pour la suite, c’est le comportement des grimpeurs qui fréquentent les lieux.

On n’est ni chez nous, ni chez personne, et comme dans toutes les situations de la vie, civisme et respect, des lieux et d’autrui, sont les règles de base. La bonne séance de grimpe que l’on vient de se mettre ne repose finalement que sur des autorisations fragiles, patiemment négociées. Si l’escalade devient source de nuisances localement, il ne faudra pas longtemps pour que la situation se complique… parfois irrémédiablement. Cela s’est vu souvent.

Alors pour grimper longtemps, grimpons conscients.

Et pour aller plus loin dans votre découverte des falaises, Petzl vous accompagne aussi dans l'utilisation de vos outils d'assurage.
Article sponsorisé, rédigé en partenariat avec Petzl

2 Commentaires

Vincent Amiel Dans cet article, il est fait grand cas de sécurité, d'aménagements, d'institutions et même de fric. En revanche, on n'y trouve mot d'émerveillement, d'écologie ou du nécessaire minimalisme de moyens dans une nature où on est qu'invité.
Un étrange sentiment s'en dégage : le rocher, la falaise ne sont plus des endroits on va se ressourcer mais de vulgaires supports qu'on peut modifier à sa guise !
 

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