Drôle de saison.
Elle a beau s'être officiellement terminée depuis plus d'un mois et demi maintenant, suite à la fermeture anticipée des stations de ski, et la mise en place des mesures de confinement qui ont conduit les amateurs de glisse à remiser les lattes au placard, on a pourtant du mal à tourner la page. Est-ce le fait de s'être vus privés de ski de printemps ? Période qui, pour certains, clôture la saison au rythme des raids en refuge et incursions en haute montagne. Ou est-ce le sentiment déroutant d'avoir attendu toute la saison un hiver qui n'a jamais vraiment réussi à s'installer en basse et moyenne montagne ?
Comme nous vous le présentions dans notre bilan météorologique de l'hiver 2019/20, celui-ci a été exceptionnellement doux. Les chutes de neige se souvent cantonnées à de hautes altitudes, et les flocons ont souvent laissé place aux gouttes lors des fins d'épisodes.
Le bilan annuel des accidents d'avalanches réalisé par l'ANENA se fait sur une saison qui court du 1er octobre au 30 septembre : il reste donc pour le bilan complet de l'année 2020 encore 5 mois à prendre en compte. On peut cependant espérer que le gros des accidents soient déjà derrière nous. En effet, le ski de randonnée et le hors piste rassemblent 83% des accidents mortels (sur la période 1971-2011), et 90% environ de ces accidents ont lieu en hiver ou au printemps. La sécheresse printanière combinée à l'exceptionnelle douceur que nous connaissons depuis le début du confinement ont conduit les limites d'enneigement skiable à remonter largement : entre 1500m et 2000m d'altitude selon les versants. L'arrêt de la pratique 2 mois durant, conjugué à des conditions peu reluisantes devrait limiter le nombre de pratiquants à rechausser après le 11 mai, même si la réouverture des cols permet souvent de donner un nouveau souffle à la saison.
Double avalanche le 11 mars en Belledonne : une avalanche de fonte déclenche un avalanche de plaque. Heureusement, aucun enseveli à déplorer ce jour là. La fiche de l'événement sur Data Avalanche.
En moyenne, depuis le début du décompte en 1971 (date de création de l'ANENA) et en prenant en compte les statistiques de cette saison 2019/20 en cours, on dénombre en moyenne par saison :
Derrière ces chiffres se dressent certes, des réalités très dures : familles endeuillées, enquêtes judiciaires parfois, mais leur étude permet de mieux appréhender l'accidentologie en avalanche, et d'identifier sur le long terme l'incidence de facteurs variés : influence des conditions météorologiques, efficacité des secours par les compagnons et les secouristes professionnels (port du DVA), mesures de préventions (limitation du nombre de skieurs dans une pente) , etc.
Autre rappel : l'analyse de la répartition par pratique sur la période 1971/2011 montre, une large prédominance des accidents qui se produisent en hors-piste ou en randonnée à skis, par rapport aux autres activités lors desquelles se produisent des accidents mortels (alpinisme, entretien de la voirie,etc). Les statistiques sont également largement équilibrées entre ces deux activités.
Enfin dernier rappel : le graphique suivant présente la répartition des accidents d'avalanches mortels par saison sur 3 périodes entre 1981 et 2011. On observe une constante sur ces 3 périodes : la prédominance des accidents mortels ayant lieu en hiver et au printemps. En revanche, on observe une évolution nette qui va dans le sens d'une plus grande mortalité en hiver au profit d'une diminution des accidents mortels au printemps. Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène :
Après un niveau historiquement bas déjà atteint la saison dernière 2018/19, avec 12 accidents mortels pour 13 personnes décédées en avalanche, la saison 2019/20 s'inscrit pour l'instant dans cette baisse. Le décompte en cours est pour l'instant de 11 personnes tuées au cours de 8 accidents d'avalanche mortels.
Le tableau suivant présente la répartition des accidents mortels par classification du risque d'avalanche par les services de Meteo-France. A noter qu'aucun accident n'a eu lieu par risque 1 : on peut se dire que ce résultat semble logique, mais il faut relever que cette saison, de nombreux massifs de basse et moyenne montagne ont durablement été classés en risque 1, en janvier notamment. Les chutes de neige brillant alors par leur absence et la douceur se faisant remarquable.
Autre statistiques qui pourrait peut-être étonner : autant d'accidents par risque 2 que par risque 4 cette saison. Le niveau 2 étant malheureusement celui où notre vigilance vient à baisser plus que d'ordinaire : les conditions étant interprétées comme globalement stable en s'en tenant à une lecture générale du BERA. Néanmoins, le déclenchement de petites avalanches étant toujours possible localement : selon la configuration du terrain, le risque d’ensevelissement demeure bien présent.
Il reste délicat d'essayer de dégager des tendances de ces statistiques. D'une part car les hivers se suivent et ne se ressemblent pas, et d'autre part, le nombre d'accidents mortels cette année étant relativement faible par rapport à la moyenne, il est hasardeux de vouloir donner un sens à un échantillon aussi réduit.
Fin janvier, des chutes de neige se produisent sur la plupart des massifs, et le risque d'avalanche évolue donc en conséquence.
Au mois de février, aucun mort n'est à déplorer cette saison, ce qui est remarquable pour un mois qui se trouve encore en plein hiver météorologique. Néanmoins, le mois de février 2020 aura été particulièrement doux et sec, favorisant ainsi la stabilisation du manteau neigeux durant cette période.
Entre le 25 février et le 7 mars, plusieurs perturbations se succèdent et touchent l'ensemble des massifs française. Le manteau neigeux demeure instable pendant plusieurs semaines.
Quels enseignements tirer de cet hiver 2019/20 ? On l'a répété tout au long de cet article : les données compilées sur une saison ne constituent pas, individuellement, une base suffisante pour pouvoir dégager des conclusions. C'est leur analyse sur le long terme, à l'instar du travail mené par l'ANENA, qui permet d'y voir une tendance. Alors, est-ce à dire qu'il n'est pas possible de tirer de leçons de l'analyse de l'accidentologie sur une saison ?
Tout d'abord, en ce qui concerne la tendance globale du nombre de décès en avalanche par saison, celle ci est en (très légère) baisse. Une dynamique encourageante, si on considère l'essor du freeride fin des années 90, et l'engouement récent ces dernières années du ski de randonnée. De manière générale, les pratiquants sont désormais mieux informés et mieux équipés comme en témoigne le graphique suivant :
Pour revenir à la saison 2019/20, on a relevé dans l'article, ainsi que plus en détail dans notre bilan meteo de l'hiver, de longues périodes sans chutes de neige. Une caractéristique similaire à l'hiver que nous avions connu la saison dernière, avec de longues périodes d'anticyclones en février et mars. Pas de chutes de neige, peu de vent, et donc de transport de neige : le manteau neigeux a donc le temps de se stabiliser : on limite donc le risque de déclenchement d'avalanche. Sur les 8 accidents mortels qui se sont produits cette saison : 5 ont eu lieu par risque 3 ou 4, dans les jours qui ont suivi des chutes de neige plus ou moins conséquentes et ventées. Les 3 jours qui suivent une chute de neige représentent une période à risque, durant laquelle le manteau neigeux demeure instable : la couche de neige fraîche n'a en effet pas encore eu le temps d'assurer sa cohésion avec la neige déjà présente au sol.
Autre élément à noter que l'on rélève : un accident se produisant sur une partie du domaine fermée. Si une piste est fermée, dites vous que les pisteurs le font pour une bonne raison, et que ce n'est pas parce que vous restez sur le tracé de la piste fermée que vous restez en sécurité. Les pentes qui surplombent les pistes sont parfois difficiles voire impossible à sécuriser : en empruntant un itinéraire fermé, vous prenez le risque de déclencher, même à distance de potentielles plaques.
Autre analyse que l'on peut dresser de l'accidentologie de cette saison : le danger reste largement présent par risque 2. Si ce ne sont plus des avalanches de grande ampleur qui sont généralement à craindre lors de ces périodes, il est important de rester vigilant quant au risque de déclenchement de petites plaques friables, tout aussi dangereux. Même une faible quantité de neige mobilisée par un départ d'avalanche peut suffire à ensevelir un skieur selon la configuration du terrain (couloir, concavitéen bas de pente). Il est donc impératif de rester critique quant aux conditions rencontrées et de respecter les règles élémentaires (espacement entre les skieurs, s'engager un par un, etc).
Enfin, on remarque hélas que certains pratiquants ne sont pas équipés du triptyque DVA-pelle-sonde au moment de s'aventurer hors des pistes. Sur l'accident de Vars par exemple, les compagnons de l'enseveli ont réussi à se dégager par leurs propres moyens, mais ont du attendre l'intervention des secours car n'étant pas équipés de détecteurs de victime d'avalanche. Le graphique suivant représente de manière très cartésienne l'impératif d'être chacun au sein d'un groupe secouriste potentiel. Après 18 minutes d’ensevelissement, les chances de survies de l'enseveli ne sont plus que de 30% ! En n'étant pas en mesure de porter secours soi-même, on compte donc sur les secours organisés (sous réserve que le portable passe dans la zone de l'accident). Les 18 minutes sont donc largement entamées, et on hypothèque sérieusement les chances de retrouver son compagnon vivant.
Soyez donc équipés, mais entraînez vous également autant que possible, afin de maîtriser votre matériel au mieux, et ainsi transformer les bons gestes en automatismes afin d'être en mesure, si un accident se présente, de surmonter le stress. Les associations comme l'ANENA dispense des formations de recherches de victime d'avalanche, de même que la Chamoniarde. Les clubs autour de vous (FFME, FFCAM, etc) sont également autant de possibilités de pratiquer. De nombreuses stations sont désormais équipées de parcs DVA pour sensibiliser à leur port et vous aider vous exercer chaque saison. D'autres formations sont également proposées par l'ANENA : "faire sa trace", "suivre la trace", afin d'aménager sa sécurité en progression, et éviter le piège de l'avalanche.
Car en effet, le triptyque DVA-pelle-sonde constitue du matériel de secours. La meilleure situation est celle où vous n'avez pas besoin de vous en servir. Préparez donc scrupuleusement vos sorties, nous avons la chance de disposer d'une multitude d'outils et de ressources pour faire nos choix. En voici quelques un :
Enfin, à partir du moment où l'on évolue sur du terrain à plus de 30 degrés, ou que l'on se trouve dominé par des pentes raides, on accepte de prendre un risque, qui sera plus ou moins important selon les conditions. Le meilleur contre-poids que l'on puisse s'offrir est de se former et de s'exercer soi-même, mais également de sensibiliser ses compagnons et connaissances, de manière à ce que chaque pratiquant soit un secouriste potentiel efficace en montagne.
7 Commentaires
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Bravo pour cet excellent article.
Je le mets en lien sur paysdeneige.fr
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Une coquille traîne : « Enfin, on remarque hélas que certains pratiquants ne sont pas équipés du triptyque DVA-pelle-sonde au moment de s'aventurer HORS des pistes »
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