Quand finira l'hiver 2021 ? C'est la question que nous étions en droit de nous poser jusqu'il y a quelques semaines encore, en plein coeur d'un mois de mai à la météo tourmentée, et malheureusement émaillé de plusieurs décès en avalanches. Depuis la semaine dernière, anticyclone et douceur ont fait leur apparition sur la majeur partie des massifs français, laissant présager peut-être de l'installation de conditions véritablement printanières : voici donc venue l'heure de tirer un bilan provisoire sur l'accidentologie en avalanche de cet hiver 2021.
Pour dresser ce bilan, nous nous appuierons sur les données collectées par l'ANENA au cours de cette saison ainsi que durant les précédentes, et sur le bilan qualitatif dressé par Fred Jarry, formateur – responsable de la base nationale des accidents d’avalanche et conseiller technique pour la formation du grand public. Ce bilan demeure provisoire, car les données sont compilées sur une saison qui court de début octobre à fin septembre. L'accidentologie en avalanche pour l'hiver 2020/21 verra donc son comptage terminée le 30 septembre, et même si on ne le souhaite évidemment pas, le bilan pourrait évoluer d'ici là.
Cette saison a tout d'abord débuté par l'annonce de la non-ouverture des remontées mécaniques. Décision qui a donc, de facto quasiment éliminé le risque de voir se produire des accidents en ski hors piste (41% des accidents en moyenne sur la période 1971-2011). Mais l'une des autres conséquences de cette décision fut le report d'une partie des pratiquants habitués à évoluer en station (piste ou hors piste), vers la randonnée, environnement où le skieur est davantage responsable de sa sécurité (gestion du risque avalanche, paramètres météo, itinéraire,...).
En éliminant la part des accidentés en hors piste, et au regard de la tendance à la baisse de la mortalité des deux hivers précédents, on pouvait espérer que le bilan 2021 se situe en deça de la moyenne (30 décès/an). Hélas il n'en fut rien : on dénombre au 31 mai 39 décès en avalanches sur le territoire français, rappelant ainsi que les hivers se suivent et ne se ressemblent pas, et que l'accidentologie demeure tributaire de la formation du manteau neigeux chaque saison. Cet hiver 2020-21 ayant oscillé entre perturbations neigeuses et plages de beau temps, les conditions ont été favorables à la formation de couches fragiles persistantes tout au long de la saison.
Bien que « l’année avalanche » ne soit pas terminée, à la veille de l’été climatique, l’Association Nationale pour l’Étude de la Neige et des Avalanches (ANENA) dresse le bilan provisoire des accidents d’avalanche de la saison.
La saison 2020/2021 est parmi les plus dramatiques des 50 dernières années. À ce jour, l’ANENA a recensé via ses différents canaux :
- 134 accidents d’avalanche (avalanches qui impliquent au moins une personne emportée) - 221 personnes emportées
- 29 accidents aux conséquences mortelles
- 39 décès
Il s’agit de l’une des années les plus dramatiques depuis la création de l’ANENA (1971-1972) : - 9ème rang depuis 1971-1972 en termes d’accidents mortels
- 11ème rang depuis 1971-1972 en termes de décès
Avec 29 accidents mortels et 39 personnes décédées, l’année 2020-2021 dépasse largement les moyennes annuelles établies à 20 accidents mortels par an et 30 décès par an, depuis 1971- 1972.
La randonnée à skis, exceptionnellement touchée.
Cette saison s’inscrit dans le contexte particulier de pandémie de Covid-19 et de fermeture des remontées mécaniques. De fait, la quasi-totalité des accidents sont survenus alors que les victimes pratiquaient la randonnée à skis.
On compte ainsi 27 accidents mortels et 37 décès en ski de randonnée.
En comparaison, on compte en moyenne sur les vingt dernières années, pour cette activité :Cette année, il y a donc eu près de 3 fois plus d’accidents mortels et de décès en randonnée à ski qu’en moyenne sur les vingt dernières années.
- 9,6 accidents mortels / an
- 13,2 décès / an
Un mois de mai particulier.
Habituellement, la grande majorité des accidents d’avalanche survient en plein cœur de l’hiver : décembre, janvier, février. Cela a encore été le cas cette saison : 19 accidents mortels ont eu lieu au cours de cette période, soit 2/3 des accidents mortels de la saison.
Mais la particularité de cette année vient sans doute du grand nombre d’accidents mortels et de décès recensés au mois de mai : 7 accidents mortels et 16 décès. En moyenne, on compte plutôt pour ce mois printanier 1 accident mortel et 1 décès.
Des victimes aguerries, expérimentées.
D’une manière générale, les accidents d’avalanche touchent plutôt des pratiquants expérimentés et non des novices. Cette année, plusieurs victimes comptent parmi elles des professionnels de la montagne ou des experts.
Les skieurs français, mauvais élèves ?
Le bilan français est exceptionnel, mais il est représentatif de l’hiver dans les Alpes et ailleurs. En effet, les bilans actuels sont également défavorables, par rapport aux moyennes annuelles, en Suisse (27 décès, moyenne de 24 décès), en Italie (26 décès, moyenne de 20 décès) ou encore aux USA (37 décès, moyenne de 23 décès).
Des explications à cette année dramatique ?
Quelques hypothèses peuvent venir expliquer cette dramatique année :
- Des conditions nivologiques globalement instables durant une grande partie de la saison sur les Alpes du nord et les Alpes du sud, de début décembre à fin mai (notamment un mois de mai « hivernal » sur son ensemble). Le manteau neigeux a présenté des fragilités tout au long de l’hiver et ce jusqu’à tard dans la saison.
- Un très grand nombre de pratiquants de la randonnée en montagne, dès que les conditions météorologiques le permettaient, alors même que les conditions nivologiques étaient souvent défavorables (successions de chutes de neige ventées suivie de courtes périodes de beau temps, couche instable persistante liée à l’épisode de sable du Sahara).
- Certains accidents survenus dans des secteurs hors-piste des domaines skiables qui, cette année, n’étaient pas hyper tracés et étaient sans doute plus instables qu’une année « normale » d’ouverture. Ces conditions particulières ont sans doute surpris nombre de skieurs de randonnée « en station » qui n’avaient jamais vu d’avalanche à ces endroits. Cependant, cette supposition demande à être confirmée par une analyse plus fine des sites d’accidents.
- Des conditions « psychologiques » peut-être défavorables, liées aux mesures de confinement : les pratiquants, en très grand nombre en montagne cette année dès qu’ils le pouvaient, étaient peut-être moins disposés à renoncer aux plaisirs de la poudreuse alors même que le risque d’avalanche était marqué ou fort.
En comparant ici le nombre d'accidents mortels par mois cette saison à leur moyenne, on constate que les mois de janvier et les mois de mai ont été exceptionnellement accidentogènes. Et si l'on met en perspective cette accidentologie avec la chronologie des séquences de la saison, on valide que les mois de forte accidentologie correspondent bel et bien à ceux qui ont été le plus agités d'un point de vue météorologique, et qui ont donc influencé la constitution du manteau neigeux.
Sans surprise, du fait du contexte de cet hiver, la randonnée est l'activité qui recense le plus d'accidents cette saison, avec 27 accidents mortels, les 2 restants concernant l'alpinisme.
Enfin, depuis plusieurs saisons, les équipes de l'ANENA s'attachent à déterminer les circonstances aggravantes des accidents mortels d'avalanches. On observe que pour cet hiver 2021, sur 39 décès, seuls 10 accidents ne présentaient aucune circonstance aggravante.
Jusqu'au mois d'avril, on recensait 23 décès. Un chiffre plutôt en deça de la moyenne de 30 décès par an donc. Mais le mois de mai cette saison a été exceptionnellement accidentogène, avec 7 accidents mortels pour 16 décès (contre environ 1 mort en moyenne au mois de mai).
Cette période de mai correspond classiquement à une période "stable". Les températures remontant à cette période, de même que l'ensoleillement, les cycles de dégel et regel tendent normalement à stabiliser le manteau neigeux. Or cette année, le mois de mai a été caractérisé par des températures en deça des normales de saison, et des chutes de neige jusqu'à moyenne altitude, ne s'inscrivant donc pas dans un schéma printannier. Au dessus de 2000m, les conditions sont effectivement demeurées largement hivernales. Une hypothèse pour expliquer cette accidentologie exceptionnelle pourrait être que les pratiquants ont pu être "surpris" par ces conditions inhabituellement hivernales pour la période. Plusieurs professionnels font partie des victimes de ce mois exceptionnellement piégeux.
Comme l'a souligné Fred Jarry lors de sa conférence du 31 mai, ce bilan reste provisoire. Tout d'abord du fait que la saison court jusqu'à fin septembre 2021, mais aussi du fait qu'il reste également un travail d'analyse de ces accidents à effectuer. Durant l'été, l'ANENA s'attelle à analyser en détail les accidents mortels en reprenant les PVs dressés par les CRS montagne et les PGHM, pour déterminer la présence de circonstances aggravantes notamment. De plus, les statistiques, actuellement disponibles sur le site de l'ANENA, sont à ce jour incomplètes sur certaines données, notamment la classification du BERA le jour de l'accident. Pour retrouver un bilan complet et les analyses de l'ANENA, vous pouvez adhérer à l'association, et recevoir les magazines Neige & Avalanches dans lesquels ils figurent. D'autre part, nous rappelons également que tout au long de l'hiver, l'ANENA organise des stages de formation à l'utilisation du DVA, mais aussi des modules plus axés "glisse", tels que des sessions "Faire sa trace" par exemple : une bonne occasion de se perfectionner et de remettre en question ses connaissances !
Pour aller plus loin, retrouvez notre bilan des avalanches de la saison passée, où vous trouverez plus de chiffres permettant de mettre en perspective cette saison 2021 avec les saisons précédentes.
9 Commentaires
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A l'opposé l’absence de DVA la c'est plus un manque d'éducation de certains. Pour faire occasionnellement du conseil en ligne, c'est un achat que pas mal remette malheureusement à plus tard, surtout cet hiver ou beaucoup ont pleuré sur le prix du matos de rando
Comme tu le dis chacun ses responsabilités, mais à choisir je préfère ne pas mourir tout de suite
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Concernant les pratiquants j'ai l'impression que dans les Alpes beaucoup de personnes se sont lancées dans le ski de rando (étant donné que les remontées étaient fermées), ce qui pourrait expliquer un surcroit d'accident ? Alors que dans les Pyrénées j'ai l'impression qu'il n'y avait vraiment que les habitués.
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