Thomas Blanchard, météorologue indépendant, écrit pour skipass.com depuis trois hivers les fameux bulletins neige qui prédisent avec précision les chutes hivernales. Pour aller au-delà des impressions et de la totale subjectivité des skieurs quand on parle de quantités de neige (sans parler des rivalité entre massifs ou stations...), il a analysé les données issues des relevés avant de les remettre dans le contexte des hivers précédents. Voici son bilan.
Stations remplies de neige jusqu’au toit, épisode neigeux galère à Paris, chutes de neige historiques dans le Midi, photos et vidéos d'avalanches spectaculaires qui ont submergé la toile : les phénomènes météorologiques ont fait souvent la une cet hiver, et continuent d'ailleurs de faire parler d'eux en ce mois de juin.
Mais alors, deux mois après la fermeture des stations de ski et tandis que certaines se permettent de ré-ouvrir depuis quelques jours : comment était-il vraiment cet hiver ? Nous vous proposons un bilan le plus exhaustif et le plus objectif possible. Il se divise en trois parties : une première chronologique, une seconde géographique, par massif, et enfin la conclusion.
Après les premières chutes de neige en altitude durant le mois de novembre, l'hiver décide de s'installer à la toute fin du mois avec du froid et des épisodes neigeux jusqu'en basse-montagne. Une situation qui tranche clairement avec les années précédentes où les espoirs étaient vite douchés par la sécheresse, la douceur et un très mauvais enneigement.
Le mois de décembre va même tenir toutes ses promesses puisque la situation devient particulièrement dynamique à partir du 8 et jusqu'au 18. Durant cette période, on rencontre notamment un épisode neigeux remarquable dans les Alpes du Sud, autour du 10-11 décembre avec près de deux mètres de neige fraîche en haute-montagne dans les Écrins. A retrouver en détails dans nos articles : Point neige du 12 décembre et Bilan météorologique du 21 décembre.
On note déjà au cours de cette période un anticyclone aux abonnés absents, contrairement à l'hiver dernier (voir la carte ci-dessous, archive 11 décembre, meteociel.fr). Ancré autour des Açores (couleurs rouges et pressions autour de 1030 hectopascals), il restera alors bien en recul durant les mois suivants. Un calme relatif s'installe à partir du 18 décembre, mais seulement pour quelques jours.
Dès le 26 décembre, un courant perturbé d'Ouest fait son retour. Il se maintient jusqu'au 4 janvier avec des perturbations très actives qui se succèdent (notamment la tempête Eleanor). Les chutes de neige sont abondantes sur l'ensemble des massifs de l'Est du pays en haute-montagne. Plus bas, les périodes de pluie abondantes alternent avec de fortes chutes de neige.
Très vite, un phénomène météorologique très intense vient prendre le relais. Un retour d'Est touche une large partie du Sud-Est de la Savoie et le Queyras, secteurs où l'enneigement devient historique. Voir notre article Retour d'Est, le bilan du 9 janvier.
Le courant de Nord-Ouest, perturbé et actif, fera son retour en milieu de mois avec toujours les Alpes du Nord en ligne de mire. Au final, janvier sera extrêmement humide sur les massifs de l'Est du pays (et exceptionnellement doux globalement) après un mois de décembre déjà bien arrosé (source Météo France) :
En février, les Pyrénées tirent leur épingle du jeu avec un courant de Nord favorable au massif et qui lui permet de récolter de bonnes chutes de neige. Partout ailleurs, l'enneigement se stabilise ou s'améliore un peu. En toute fin de mois une situation météorologique atypique entraînera de remarquables chutes de neige sur le Sud du massif-central et l'Est des Pyrénées, le tout accompagné d'un bon coup de froid. Les -20 degrés sont souvent atteints dans les hautes stations des Alpes.
Durant le mois de mars et jusqu'à mi-avril, des épisodes neigeux modérés mais réguliers continuent de se manifester, notamment sur les massifs du Sud du pays (Pyrénées, Alpes du Sud, Corse…). Les dépressions ont effet pris pour habitude durant cette période de plonger sur le proche-Atlantique et faire remonter des masses d'air humides en provenance de Méditerranée.
Bien évidemment à la fin du mois le soleil commencera à faire son œuvre et radoucir le manteau neigeux y compris en moyenne-montagne.
Un matin à l'Alpe d'Huez, mi-mars :
Nota Bene : La plupart des données évoquées ici sont mises en relations par rapport à celles disponibles depuis 1980. Certains hiver très enneigés (mais dont on manque de valeurs) des années 60 et 70 ne sont donc pas pris en compte.
Il peut être qualifié de très bon sur l'ensemble de la saison, notamment à moyenne et haute-altitude. De bon en basse-montagne en raison des redoux pluvieux qui ont dégradé le manteau neigeux, notamment en janvier : les cumuls y ont été importants, mais la hauteur au sol n'a jamais été véritablement remarquablement élevée.
Il peut même être qualifié d'historique et exceptionnel sur certains secteurs à certaines périodes :
- Une large moitié Est de la Savoie, exemple ici à la Plagne où autour du 22-01 on est sur une hauteur au sol record pour la période :
Ailleurs, notamment en Haute-Savoie, l'enneigement était bel et bien record pour la période autour du 20-25 janvier, mais par la suite cet hiver est finalement devancé par 1994-1995 et 1998-1999.
Il est fort probable que les hivers 1965/1966 et 1969/1970 ont également fait bien mieux, mais on ne peut l'affirmer pour les raisons évoquées en en-tête de ce chapitre.
En basse-montagne (sous 1300 mètres) sur la majeure partie des Alpes du Nord, il faut remonter aux hivers 2011-2012 et 2012-2013 pour trouver trace d'un meilleur enneigement.
Quelques cumuls :
- 932 cm à La Plagne (73) à 1970 mètres du 1er novembre au 17 mai.
- 660 cm à Arêches (73) à 1209 mètres du 1er novembre au 7 avril.
- 607 cm à Pralognan la Vanoise (73) à 1420 mètres du 1er novembre au 30 avril.
- 574 cm à Megève (74) à 1080 mètres du 1er novembre au 30 avril.
- 546 cm à la Clusaz (74) à 1180 mètres du 1er novembre au 30 avril.
- 563 cm aux Gets (74) à 1180 mètres du 1er novembre au 30 avril.
La barrière des 10 mètres a souvent été dépassée au-dessus de 2200/2300 mètres. Notons par exemple un cumul de 11 mètres reporté par les pisteurs de Val d'Isère (73) à 2400 mètres entre le 1er décembre et le 13 avril (poste de la Cantonière) :
Avec un mois de décembre particulièrement perturbé, comme évoqué précédemment, l'enneigement est très vite devenu abondant. Ainsi au 1er janvier les hauteurs au sol correspondaient à celles que l'on rencontre généralement au maximum de la saison, à savoir en février/mars.
Globalement, les hauteurs et cumuls de neige observés cette année se retrouvent en moyenne un hiver sur 10. Ce fut le cas plus tardivement du coté du Mercantour, qui a vite comblé son retard au mois de mars.
Quelques courbes pour illustrer tout cela :
Ces deux stations ont des caractéristiques climatiques bien différentes (ce ne sont pas exactement les même flux météorologiques qui les touchent) et pourtant, au 1er mars, elles flirtaient toutes les deux avec les records pour la saison.
Quelques cumuls :
- 482 cm à Isola (06) à 1860 mètres du 1er décembre au 20 avril.
- 428 cm à Ceillac (05) à 1665 mètres du 1er novembre au 7 avril.
Au fil de la saison, et grâce à des chutes de neige régulières, l'enneigement s'est amélioré considérablement. Dès le mois de février il est devenu remarquable, déjà supérieur aux moyennes, puis il peut être qualifié de "très excédentaire" au début du mois d'avril sur l'ensemble de la chaîne. Et c'est important d'insister là-dessus : que ce soit côté Atlantique, Méditerranée, versant français et même côté espagnol (où les chutes de neige ont d'ailleurs été records) tout le monde a été copieusement servi.
Prenons par exemple la station de Cauterets (65) qui, à 1920 mètres, enregistre un cumul de neige de 886 cm. Globalement, dans les Pyrénées françaises au-dessus de 1800/2000 mètres, il s'agit de la deuxième année la plus enneigée de ces 25 dernières années derrière l'historique hiver 2012/2013.
Voici quelques graphiques qui indiquent les hauteurs au sol côté Ouest et côté Est de la chaîne tout au long de l'hiver :
Grâce à un mois de décembre favorable pour ces massifs aux altitudes relativement modestes, l'enneigement était très satisfaisant à la toute fin d'année 2017.
Puis durant le mois de janvier, de nombreux redoux se sont produits. Le manteau neigeux a alors souffert, mais il augmentait considérablement avec l'altitude restant très correct au-dessus de 1200 mètres durant les mois de février et mars. Enfin, l'enneigement a rapidement régressé pour disparaître totalement durant le mois d'avril.
Une synthèse très intéressante de la saison qui s'est écoulée sur le massif du Jura :
Comme pour la plupart des massifs, l'enneigement a été extrêmement variable en fonction de l'altitude tout au long de l'hiver. Il peut être qualifié de globalement correct, conforme aux moyennes, sur ces deux reliefs.
Notons que sur le Massif-Central l'hiver avait très bien débuté puis les redoux pluvieux du mois de janvier jusqu'aux plus hauts sommets ont fait du mal au manteau.
Le Lioran (Cantal), le 18 février :
Qui dit hiver bien enneigé et perturbé, dit hiver potentiellement très avalancheux. La conjugaison de multiples facteurs météorologiques a entraîné de nombreuses avalanches, tout au long de la saison. En particulier dans les Alpes du Nord.
Dès le début de l'hiver des avalanches de neige poudreuse se sont produites. Puis des avalanches de neige lourdes et humides ont pris le relais en janvier lorsque des fortes pluies se sont abattues jusqu'à plus de 2000 mètres sur le manteau neigeux. Elles ont parfois endommagé des infrastructures (routes, domaines skiables…), des avalanches de plaques ont également été observées. Tout cela a nécessité le déclenchement d'une vigilance météo rouge le 08 janvier (carte ci-dessus), la première de l'histoire dans les Alpes. Des mesures de confinement ont alors été mises en œuvre dans certaines stations de ski.
C'est à la suite de cet épisode début janvier que la route de Bonneval-sur-Arc (Savoie) a été coupée par une très importante avalanche, demandant plusieurs jours de travail avant de pouvoir la ré-ouvrir (photos Alain Duclos, data-avalanche.org) :
A la même période, une importante avalanche a occasionné des dégâts à Val d'Isère. La photo de droite ayant été prise plus récemment en mai, à la fonte (Pisteurs Secouristes de Val d'Isère) :
Par la suite, les conditions sont restées dangereuses tout au long de l'hiver en montagne. Une saison pouvant être un peu frustrante pour les amateurs de poudreuse : beaucoup de neige mais aussi beaucoup de risques, et une météo capricieuse. Le début du mois de mars verra le décès d'une dizaine de personnes lors de plusieurs accidents d'avalanche (voir l'article Avalanches, série noire).
Le bilan provisoire de la saison, en attendant celui complet de Fred Jarry cet automne, fait état de 36 décès lors de 26 accidents mortels, sur un total de 64 accidents répertoriés : c'est légèrement supérieur à la moyenne annuelle, qui tourne autour d'une trentaine de décès.
Le coup de douceur, brutal et notable, mi-avril sur un manteau consistant a ensuite conduit à des avalanches de fontes d'ampleurs rarement observées ces dernières années (voir les images impressionnantes sur data-avalanche.org).
Enfin, ce printemps, les photos parfois assez récentes d'ouvertures de cols ou routes fermées durant l'hiver témoignent des quantités de neige monstrueuses observées cet hiver :
Durant toute la période de novembre à mars, des situations météorologiques très différentes, provoquant des flux d'axes différents, se sont succédé : ainsi, tous les massifs ont pu être servis.
Nous avons eu des flux d'Ouest et Nord-Ouest favorables aux massifs de l'Est du pays, de nombreux (et parfois copieux !) retour d'Est favorables aux secteurs frontaliers, des blocages en flux de Nord favorables aux Pyrénées, des flux de Sud et Sud-Ouest favorables aux Alpes du Sud et au Sud du Massif-Central, etc. Personne n'a été laissé pour compte.
Pour autant, peut-on parler d'hiver du siècle ? Dans certains secteurs des Alpes du Nord oui (Haute-Tarentaise et Haute-Maurienne au-dessus de 2000 mètres). Sur la majeure partie du massif alpin, on parlait d'hiver du siècle (et même record depuis le début des relevés) au mois de janvier, mais l'arrière saison a été un peu décevante.
Beaucoup de secteurs ont connu un très bon hiver, comme les Pyrénées, les Alpes du Sud mais il est difficile de parler d'hiver "exceptionnel". Une constante cependant : une élévation très rapide des quantités de neige avec l'altitude, signe d'un hiver particulièrement agité et dont on se rappellera.
Quelques valeurs à l'échelle de la France :
Températures : +0,6°C par rapport à la moyenne, avec notamment un mois de janvier très doux (+3,1°C/moyenne, battant les précédents records), suivi d'un mois de février bien froid (-2,3°C/moyenne).
Précipitations : excédentaires de plus de 40% par rapport à la moyenne, troisième hiver le plus pluvieux (ex-aequo avec l'hiver 1994-1995) sur la période 1959-2018.
Ensoleillement : environ 30% de déficit par rapport à la moyenne.
Merci aux données fournies par MétéoFrance (voir leur bilan complet de l'hiver) et les pisteurs des différents domaines skiables qui ont permis la rédaction de cet article.
18 Commentaires
Après je pense que les créneaux ont existés mais qu'il fallait être dispo sur le champ pour les saisir car ils étaient de courte durée
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j'ai la flemme de faire le boulot pour les vitesses de fonte et je n'ai pas assez de données sur mai juin en France , plus à l'est c'est pas beau à voir, une vraie cata ..
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2018 gagnant sur les autres années sur la Vanoise , je le pense au vu de ça par ex. nivo06.knobuntu.fr
Je ne voulais pas dire Vanoise gagnant en SD moyenne sur les autres régions, les fan clubs d'Avoriaz et Flaine ou autres me tomberaient vite dessus
Au Saentis il y a eu pile 500 cm de moyenne de janvier à mars mais 2012 et 5 autres années ont eu plus que ça depuis 1978 -> rien d'exceptionnel là bas
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L'explication n'est pas compliquée à trouver, depuis début mai, il a fait très doux en altitude, et très humide (à part 3/4 jours). Les regels nocturnes ont été très limités, même très haut. Mais oui ça a fondu vite... Même s'il reste plus de neige que les 3 précédentes années particulièrement sèches et douces.
En 2016 après la cata historique de début de saison, ça n'a pas été si sec que ça , et pour l'enneigement aACTUEL, l'avantage de mi juin 2018 sur juin 2016 est réduit à des zones très restreintes dans les zones mesurées donc sous 3000m . cf archives nivoses pour la France
coté suisse à la frontière, la station Slf de l'écreleuse qui avait explosé ses records cet hiver et qui avait le plus d'avance sur 2016 n'a plus que 5 cm de plus qu'en 2016 ,(190 cm de plus début avril ) les voisines sont toutes très en dessous à part vers Zermatt
cf cartes duel du 19 juin 2016 VS 2013 en Bas Valais
skipass.com
2018 est largué par 2016 et 2013 sur la plupart des balises SLF
slf.ch
(et je ne parle pas de l'est de la Suisse où le naufrage de 2018 est bien pire )
Topic consolation : c'est encore pire là bas
sujet neige fourre tout bourré dde liens comme d'hab dans lequel je rassemble d'abord de quoi se consoler pendant que ces fichus vents...Valeurs mesurées
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Au final je constate surtout que si au niveau des précipitations on a eu un hiver historique, toutes les stations ne s'en sortent pas à bon compte, loin de là. Toutes les stations avec un front de neige en dessous de 1500 ont connu de très sévères douches dès le mois de janvier. A Areches ou aux 7L que j'ai assidûment ponçés cet hiver, ça a été particulièrement significatif avec en partie haute des terrains parfaits et dès qu'on passait sous 1800 c'était souvent très dangereux (beaucoup de pièges de terrain). C'est dans ces endroits de transition frais/chaud que les avalanches ont fait tant de victimes j'ai l'impression. Je pense au papa d'un copain.
Le vent a aussi soufflé très fort dans des orientations que je ne connaissais pas. A La Grave, pendant une grande partie de la saison le haut du vallon de Chancel comptait moins de 50cm, laissant plus ou moins apparaître des bancs de requins très surprenants. J'y ai laissé une carre, un jour.
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Ce qui fout les jetons maintenant, c'est qu'est-ce qu'on va avoir la saison prochaine, parce qu'on s'habitue vite (à noter par exemple qu'au moment de s'occuper des lattes avant de les ranger pour l'été, je me suis rendu compte que je n'avais pas touché un seul requin de toute la saison... si ça c'est pas extraordinaire !!!???!!!).
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