Mes lectures m’ont appris l’existence de cette cavité intemporelle et ont été le point de départ de mes recherches et de toute documentation afférente. Aucun topo, absence de toute trace GPS, peu d’écrits et de photographies ; désirer cette balade est un doux euphémisme !
Après un premier échec en 2020, une nouvelle tentative était inscrite dans le calcaire pyrénéen depuis l’année dernière. J’avais à cœur d’aller découvrir ce site qui me paraissait exceptionnel et unique.
La grotte Devaux, perchée à plus de 2800m, a été découverte en 1929 par l’assistant météorologue Joseph Devaux, depuis le pic de Midi de Bigorre avec un télescope. Cette cavité a la particularité de relier le Mont-Perdu (3355 m) avec un réseau souterrain de plus 2 km ! Son hydrologie alimente la cascade du cirque de Gavarnie par une résurgence. De ce point naît le gave de Pau et l’océan Atlantique ! Au-delà d’une rivière souterraine, une autre partie du réseau est congelée spectaculairement et ce depuis longtemps, très longtemps. Le site fait partie de la quinzaine de grottes glacées du Marboré réparties principalement sur le versant Sud espagnol.
Une forte motivation pour un projet d’expédition en montagne ne fait pas tout pour traduire le rêve en acte concret. Aussi faut-il jouir d’une expérience certaine en milieu montagneux et disposer d’un sens de vie de groupe, deux des conditions sine qua non pour partager les meilleurs moments en équipe.
Puis, ce jour où les planètes s’alignent avec une tempête de ciel bleu bien installée, je programme avec Manu et Pierre cette grotte courant juillet.
Dimanche, fin de matinée, les parkings d’altitude sont bien remplis et nous voilà au départ du col des Tentes (2200m). L’objectif de l’après-midi est de trouver une zone de bivouac au plus proche de l’accès final de la grotte. Ainsi le lendemain, l’approche sera courte et l’exploration ne sera que plus poussée. C’était notre vision de départ…
En préparant notre course, nous avons parfaitement mesuré l’exposition permanente du névé bien incliné et suspendu amenant à la grotte. Donné sans difficultés particulières, l’itinéraire final en impose, l’engagement est garanti. Je me dis alors que cela sera moins impressionnant sur place mais sans trop de certitudes.
Une fois passés en Espagne et une courte pause casse-croûte ou micro-sieste, nous hésitons sur deux itinéraires. Nous choisissons une voie sud-est en direction du Mont-Perdu. Après plus d’une heure de marche et quelques escalades hasardeuses et infructueuses, nous faisons le choix de faire demi-tour puis de passer par une voie d’altitude. Le sentier est excellent mais il vaut mieux être sûr de ses lacets… Par une cheminée, nous accédons à un énième gradin perché à 2900 m. 19h, étonnamment, le ciel se charge de nuages frais accompagnés par un vent humide. Dans un demi-brouillard, il nous faut trouver une zone de bivouac protégée car le vent imprévu refroidi vraiment. Plusieurs cercles de pierres s’offrent à nous mais aucun ne protège. Après multiples réflexions, nous choisissons une terrasse adossée à de petites falaises mais le paravent n’est pas des meilleurs. Ce ne sera pas le confort météo pour le dîner mais le vent chutera à 22 heures. La pureté du paysage et le silence des cimes seront notre berceuse pour cette nuit étoilée incroyable.
« Celui qui n’a jamais passé la nuit sur le haut des montagnes n’a pas la moindre idée de ce qu’est le silence »
Après une fin de nuit fraîche, au sortir des duvets, un beau soleil sublime déjà les sommets espagnols. Les sacs délestés du matériel inutile, nous prenons le bon itinéraire mais manquons la bifurcation. Les névés sont encore importants au-dessus de 2500 m et nous permettent de marcher plus vite que dans des pierriers ad hoc et sans fin. Dans un décor ultra minéral réhaussé de belles touffes de fleurs, nous trouvons finalement l’accès final pour atteindre notre objectif.
À mi-journée, nous entamons la descente dans un premier pierrier souple, humide mais bien suspendu au-dessus d’une falaise d’un bon 300 mètres. Cette mise en bouche nous amène sur un énorme névé très pentu et déversant. On sort tous les piquants à mi-descente pour traverser la pente et longer une falaise menant à la caverne magique. La neige est bien décaillée mais à chaque pas nous plantons bien le manche du piolet. Bizarrement, je ne sors pas trop l’appareil photo !
Bien chauds, nous revêtons quelques couches et ne tardons pas pour partir à la découverte. Aussitôt, je suis en admiration sur l’entrée de la grotte et la belle forme du porche. Une belle baie vitrée de 10m de large et de 4m de haut. Le début est assez étroit puis s’ouvre sur une petite salle remplie de blocs. La température négative se fait déjà sentir et on peut observer une belle couche de diamants de glace sur la roche. Un boyau assez étroit conduit à une salle de cristaux. Des thermomètres sont toujours présents, au même endroit choisis par le découvreur. Des capteurs de températures sont en place dans différents recoins. Remontant encore un peu plus dans cette salle pentue, nous tombons face un mur de glace vitreuse. L’absence d’impureté lui donne une transparence tout à fait remarquable : on peut voir à travers sur plusieurs mètres les moindres détails de la paroi sur laquelle elle est fixée. De nombreuses bulles d’air sont emprisonnées, nous permettant de distinguer une feuille morte prise dans la masse. La dureté de cette fresque bleutée est incroyable. Les draperies sont sublimes sur ce bouchon de glace géant ! Je serais curieux de connaître la datation si elle est réalisée un jour.
Autre curiosité, des cristaux de gypse sont en nombre sur une grosse dalle. Cela ressemble à de la glace de loin mais c’est bien du minéral, comme du gros sucre. Ce jour-là, le mercure affichait – 2 °C dans ce congélateur naturel parfait.
D’autre boyaux sont sans issue mais valent le détour car les cristaux de glace constituent un décor féérique. Les lumens des frontales font tout étinceler comme dans un magasin de diamants !
Un long et magnifique couloir givré mène à la rivière souterraine de la résurgence. Les salles sont alors larges et longues. Le temps passe très vite et il nous faut déjà penser à reprendre le chemin du retour. Nous n’aurons pas admiré tous les bouchons de glace que recèle cette merveilleuse cavité mais c’est déjà une très belle première découverte.
La remontée du névé se fait bien plus facilement et sommes bien contents de retrouver notre bloc de départ. Les montées sont toujours plus faciles que les descentes.
Je ne suis pas passionné par la spéléologie mais des grottes glacées comme celle-ci font partie des plus belles choses à voir dans une vie de montagnard. Certes l’accès n’est pas cadeau, le site se défend par lui-même et impose un réel engagement pour se livrer au visiteur. Ceci peut expliquer sa tardive découverte au 20ème siècle. Des études scientifiques sont en cours alors mieux vaut un accès limité afin de préserver au mieux ce joyau pyrénéen.
14 Commentaires
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Tant le projet , les photos , que le récit
Bravo
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Un petit trésor qui semble devoir se mériter! Et quelque part tant mieux qu’il soit bien à l’abri de la moindre sur-fréquentation…
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