Salut les copaings,
Waouh, y'en a des choses à dire, j'ai tout lu, ça m'a pris un moment, et suggéré encore deux ou trois petites réflexions à ajouter aux vôtres...
Je crois qu'à travers un problème somme toute anecdotique, la pratique de disciplines hors-piste, beaucoup de démons de notre société sont remis au grand jour.
Déjà, pourquoi est-ce que je qualifie ça d'anecdotique? Eh bé parce que ça concerne peu de monde. Même dans les pays de montagne (ce qui n'est même pas le cas de la France, ne l'oublions pas), les personnes qui pratiquent régulièrement ce genre de disciplines, ski hors piste, randonnée à skis, ski de rando, etc, restent plutôt peu nombreuses. Même si on élargit le débat et que l'on parle non plus des pratiquants eux-même mais des avalanches, ça concerne finalement peu de monde et peu de fric. Les assurances ne voient pas leur équilibre financier mis en péril par les épisodes avalancheux d'une saison, par exemple. Et si on compare les avalanches aux autres dangers naturels (glissements de terrain, inondations, éboulements, grêle et orage, tremblements de terre, effondrements, chutes de pierres, laves torrentielles, Lagaff et Delarue), finalement, le nombre de victimes et les sommes d'argent versées par la collectivité restent faibles. Par exemple, en France, on compte 600 morts par noyade par an en moyenne, contre 40 par avalanches (toutes pratiques sportives confondues). Et ne parlons pas des accidents de la route!!! En plus, ne sont concernées que les régions de montagne, souvent moins peuplées que les plaines.
Je ne dis pas là, ni que 40 victimes c'est peu, ni que je me contrefous du problème (je ne skie QUE hors-piste). Seulement, à l'échelle de notre société, le problème du hors-piste est effectivement celui d'une minorité (culturelle, pour reprendre les termes de Leefip).
Alors vous me voyez venir: pourquoi ce sujet alimente-t-il les conversations de tant de monde, pourquoi l'état français (est-ce que les députés ont des gueules de freeriders?) devrait-il légiférer sur le sujet s'il est si anecdotique? Nous autres, on ne devrait même pas avoir à s'inquiéter. Bon. Je suis pas honnête, j'ai déjà la réponse: c'est parce que le hors-piste, et les activités de montagne en général, sont victimes d'un amalgame dangereux. Tout est mis dans le même sac. Stations, hors-piste, avalanches monstrueuses de fonds de vallée ou minuscules coulées d'altitude, liberté, éducation, recherche scientifique, tout est empaqueté dans une même purée médiatique et pognonesque. Et cela certainement parce que ceux qui font du fric sur ce sujet (par exemple les journaux à sensations, qui vendent si bien les images de catastrophes) ne sont ni les personnes concernées, ni les personnes compétentes.
Je ne sais pas si j'ai bien compris, mais le débat de départ était "Que faire pour ne nous puissions encore continuer à pratiquer nos sports hors-piste favoris?" Je crois que "Que faire?" n'est pas la seule question à garder en mémoire. Moi je me demande surtout "QUI doit faire?" Nous autres, pratiquants, ou eux, élus, journalistes, chercheurs ou législateurs (comme en politique, un même individu peut cumuler les fonctions)?
Aux pratiquants et aux scientifiques de défendre leur beefsteak. Et à ce sujet, Florent, tu as eu raison de lancer ce sujet. Il faut en parler un maximum autour de nous, pour que disparaissent chez les non pratiquants la peur de l'inconnu que déjà les mots suscitent. Par exemple, en discutant avec un copain qui habite Lille, je me suis rendu compte que hors-piste et hors-la-loi sont deux mots que les gens associent spontanément. Ils sont tellement proches qu'en fait, quelqu'un qui ne connaît rien au hors-piste est persuadé qu'il faut être une sacrée crapule pour pratiquer ce loisir.
Aux scientifiques de faire avancer les connaissances sur ce sujet, et d'en préparer la vulgarisation, aux pratiquants de se former.
J'ai fait de la recherche sur la mécanique de la neige cohérente, autrement dit sur le départ des avalanches de plaques. Il y a peu de chercheurs (en France, n'est-ce pas Bourrinator?), les théories mathématiques en sont au stade des balbutiements, les essais qui permettent de mesurer le comportement mécanique de la neige sont encore à développer. Pourquoi cela? Premièrement parce que le comportement mécanique DES neiges est un problème mathématiquement, physiquement et expérimentalement complexe, et deuxièmement parce que les crédits alloués à ce type de recherche sont rikikis (je me suis reconverti dans la mécanique des sols, faute de paie). On sort donc du cadre de la recherche pour entrer dans celui de la politique, mais j'y reviendrai plus loin.
Les pratiquants, quant à eux, doivent se former spontanément. On parle d'espace de liberté? Cela n'est possible que tant que les cours restent proposés, mais pas imposés. Il y a les fédérations sportives (CAF, CAS, FFME), et les organismes spécialistes des avalanches (ANENA, SLF) vers qui se tourner. Ensuite, effectivement, comme dit Bourrinator, c'est l'expérience qui est le meilleur enseignement. Je recommande tout comme lui le livre de Christophe Ancey. Ensuite, apprenons à observer et à réfléchir avant d'agir: quelles décisions prendre avant de partir en montagne, quelle attitude adopter une fois que l'on y est, en fonction des informations dont l'on dispose et des connaissances que l'on a acquises? C'est en nous conduisant nous-même de manière responsable, et en le faisant savoir, que nous pourrons nous éviter le fléau d'une interdiction. Je trouve cool, par exemple, que dans les articles de skieur mag, pour ne pas le citer, quand on trouve des interviews de riders, les pros nous parlent également de règles de prudence, et de jugeotte. (Même si je doute que tous les appliquent tout le temps, mais là, c'est un problême de "faites ce que je dis, pas ce que je fais"...)
Aux médias de gagner un peu en honnêteté et en professionnalisme sur le sujet des avalanches. Là je suis formel: le parisien moyen ne peut pas avoir une opinion juste de la montagne avec les images qu'il voit de la montagne à la télé, les opinions qu'il lit dans les journaux, et ce qu'il perçoit quand il part en vacances une semaine. Et ce n'est pas de sa faute! Sous le terme avalanche, on retrouve tout et n'importe quoi, dans le désordre, et du coup, l'imaginaire collectif associe l'avalanche du Tour de l'année dernière aux activités néfastes de quelque écervelé snowboarder en amont du village. Dire dans deux colonnes voisines qu'un gugusse a déclenché une avalanche, et qu'une avalanche a rasé un village, n'est-ce pas, en soit, encourager l'amalgame? Les jours où le risque est maximal, juste quand les conditions sont réunies pour que de monstrueuses avalanches se déclenchent spontanément, lequel d'entre-vous est-il tenté de sortir là où ça craint? Aucun! Les médias pourraient peut-être nous parler un peu des gens qui abordent la montagne précautionneusement.
Mais surtout je trouve que les journaliste manquent de professionalisme. L'exemple qui m'a le plus frappé est celui de l'avalanche des Orres, celui où une bonne dizaine de collégiens sont passés sous une plaque apparemment déclenchée par leur passage. Dams les jours qui ont suivi, il y a eu une émission, qui par ailleurs est souvent intéressante, sur France Inter, à ce sujet. Ca s'appelle "le téléphone sonne", et, pour ceux qui passent tout leur temps au ski ou devant la télé, je vais en rappeler le principe: des auditeurs posent en direct et par téléphone des questions à des spécialistes du sujet, réunis autour de la table dans le studio de la radio ou joints par téléphone. Je vous cite la présentation de quelques-uns de ces spécialistes: "Marielle Goitschel, François Sibardière, non, Sivardière, directeur de euh, l'AMEMA, euh, non, l'ANEMA..." Sans compter la présence de je ne sais quel obscur directeur administratif de Météo France. Et le reste, euh, j'ai oublié. Mais quand le journaliste invite, pour un problème hors piste, la pire intégriste du monde du ski de piste, qu'il estropie le nom, et du directeur, et de l'association qui est la seule, en France, à faire de l'information digne de ce nom sur les avalanches (avec des moyens que chaque ministère rétrécit d'année en année) et pour finir qu'au lieu de faire venir quelqu'un du Centre d'Etudes de la Neige de Météo France on lui préfère un illustre technocrate, là, ça me la coupe.
Au problème de la compétence des journalistes sur le sujet des avalanches vient s'ajouter l'utilisation que l'on peut faire des médias. Là encore je renvoie la balle du côté des politiques: pourquoi des slogans publicitaires contre l'alcool au volant (je parle du volant de la voiture, pas du Chubb de mes petits camarades), et pas un seul pour inciter une pratique avertie du hors-piste?
Et je crois que, comme bien souvent, c'est encore un autre problème qui est derrière: le sensationnel, c'est le fonds de commerce du journalisme. On touche au fric. Si tu fais de l'audience en montrant des maisons tordues par une coulée gigantesque, des routes coupées, des débris et des troncs charriés sur des centaines de mètres, là, coco, tu fais du sensationnel, tu vas vendre, tu vas nous faire mieux que les jeux du cirque, oui, va-z-y, remets-moi un visage bleu que les secouristes viennent de dégager, fais-nous du morbide, ça se vend.
Aux législateurs de ne rien faire: on a déjà tout l'arsenal légal suffisant! Mise en danger d'autrui, homicide involontaire, c'est pénal, non? Pourquoi ça devrait être différent à la montagne? Un type qui déclenche une avalanche hors-piste, une avalanche qui atteint des personnes ou des infrastructures, on l'arrête, on voit si sa conduite a été spécialement écervelée, et on le condamne, non?
Il y a ponctuellement un fort danger d'avalanche? Le maire et le préfet ont déjà le ressort d'interdire momentanément la pratique de certains sports en certains endroits. A eux d'utiliser avec pertinence et honnêteté les informations météo et les indices de terrain (services des pistes, guides, pisteurs).
Pas la peine d'en remettre une couche!
En revanche, là où il y a problème, c'est sur la compétence des juges. Soit ils choisissent parfois mal les experts entendus pendant le procès, soit ils sont parfois dépassés par les évènements. Je repense à ce juge dont parlait Florent, qui a considéré, pour deux surfers qui ont déclenché une avalanche, que le port d'un ARVA était une circonstance aggravante: le port de ce bitoniouze à bretelles était un signe de leur désir d'aller se confronter aux avalanches! Ben tiens. Tant qu'on y est, moi, je mettrais circonstance aggravante à tous les conducteurs qui mettent la ceinture de sécurité: ça veut dire qu'ils partent avec l'intention délibérée d'avoir un accident. Non mais sans blague. Y aurait-il besoin, pour ces cas précis, d'un juge spécialiste en la matière? Et pourquoi pas?
En revanche, du côté politique, là, il y a à dire. Il y a des financements à débloquer pour la recherche. Il y a un institut de recherche spécifique à créer; à l'heure actuelle, la recherche sur les avalanches en France est morcelée en quelques petits services dans plusieurs grands organismes (Météo France, CEMAGREF, plus quelques enseignants chercheurs). Cet institut pourrait être également l'acteur de référence de la formation neige et avalanche.
Il y a des campagnes de prévention à lancer.
Il y a des directives fermes à donner aux préfets et aux maires, afin qu'ils appliquent la loi, rien que la loi, mais toute la loi.
Et les stations et les fabricants dans tout cela? Qu'ils fassent leur boulot.
Les stations, leur boulot principal, c'est d'assurer la sécurité sur les pistes. Et globalement, celui-ci est plutôt bien fait. Pour ce qui est de la signalisation et de l'information concernant le manteau neigeux hors-piste, il y a du progrès. Qu'ils continuent! Mais j'aimerais quand même voir plus souvent des panneaux d'affichage détaillés au pied des remontées mécaniques, qui indiquent les conditions neigeuses, de vent, et les informations de tirs de charges explosives sur les versants hors-piste auxquels on va accéder depuis le haut. J'aimerais aussi voir disparaître ce lamentable drapeau à damier (risque localisé), qui est sorti à l'ouverture de la station, et retiré à la fonte des neiges, et qui ne donne plus la moindre information quantitative sur le risque d'avalanche moyen du lieu où il se trouve. J'aimerais aussi tellement voir apparaître une signalisation honnête sur les itinéraires protégés par un filet ou une corde, qui remplacerait les actuelles pacartes destinées à affrayer le néophyte. ("danger de mort" au-dessus d'un glacier débonnaire, par exemple)
Les fabricants, eux, nous donnent du matos de bonne qualité, et c'est déjà très utile. Leur job, cependant, c'est de vendre et de faire du bénèf'. Je doute donc de leur appui. Ceci dit, vu le marché des skis de freeride, on peut peut-être attendre un effort de leur part: on pourrait éventuellement imaginer un sticker ou une brochure, distribué avec la paire de skis, qui recenserait quelques conseils utiles avant de se précipiter hors-piste.
Pour ce qui est de la formation, l'information ou l'éducation, j'ai lu beaucoup de choses là-dessus dans les messages, et c'est vrai que le problème principal demeure: qui va s'en charger?
Je parlais plus haut de la création d'un organisme pluridisciplinaire de recherche sur les avalanches, qui résulterait pourquoi pas d'une fusion non violente de l'ANENA, de l'unité sur les avalanches du CEMAGREF, du CEN de Météo-France et des labos de recherche universitaires qui travaillent sur le sujet (3S à Grenoble, CUST à Clermont-Ferrand); cet organisme, à la fois scientifique et de communication, avec un budget digne de ce nom, pourrait coordonner des cours et des campagnes d'information.
Pour enfoncer le clou, concernant la responsabilité individuelle de chaque pratiquant, je dois répéter que c'est à chacun de se former. Tout est bon: lectures, questions aux pisteurs, discussions avec d'autres pratiquants, et inscription à des stages paratiques ou théoriques.
Du côté des moniteurs, et des guides, j'ai l'impression que souvent ce sont des gens qui envisagent aussi le côté pédagogique de leur leur métier, et qu'ils ne font pas que nous promener au milieu de la montagne sans rien nous en apprendre. Donc, là, je crois qu'ils ont plutôt "la bonne attitude", comme dirait Sinclair.
Ensuite, effectivement, j'attends de l'Etat une vraie campagne d'information, et que les politiques cessent de mettre dans le même sac le ski en station et les pratiques libres, comme cela avait été le cas lors du projet de loi Pascallon-Goitschel. En effet, une station de ski n'est déjà pas tout-à-fait un espace fait par l'homme pour l'homme, au contraire d'une piscine,et en outre aller hors-piste comporte d'autres implications que de descendre dans la neige non damée du bord de piste.
Pourrait-on se mettre à rêver d'un message clair, le jumeau hors-piste des 10 commandements du skieur sur piste? Ce message comporterait les principes à appliquer en montagne, le matériel indispensable à emporter, des aides à la décisions pour certaines situations typiques, etc... Pourrait-on espérer que les stations, les guides, les organismes de recherche, les freeriders, les alpinistes, etc... et les politiques se mettent, ensemble, à réfléchir sur le sujet? Est-il inconcevable d'imaginer qu'ensuite ce petit memento soit affiché en station, distribué aux professionnels comme les guides pour qu'ils les offrent à leurs clients, scotchés sur les paires de ski/surf de rando ou de freeride, etc...?
Parce que, le coup du permis d'accès à la montagne hors piste, je n'y crois guère... C'est tout simplement trop difficile à mettre en oeuvre. Impossible de disséminer suffisamment de gendarmes des neiges déguisés qui en cailloux, qui en sapins, qui en dahus. Et puis, en plus, sans vouloir redonner des arguments à Bourrinator, ce n'est pas avec une semaine de stage intensif couronné par un brevet qu'on adopte des habitudes salvatrices...
inscrit le 01/11/99
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