Voici un article intéressant sur le sujet :
Ce surfeur, sentinelle de la mer...
par Arnaud Barrey, lundi 26 septembre 2011, 01:23
Je connais bien le surfeur, je le connais en long en large et en travers, je connais ses habitudes, ses défauts, ses qualités, ses rêves et ses cauchemars…Je suis surfeur… Je suis surfeur à l’Ile de la Réunion…
Aujourd’hui, même si mon enthousiasme de surfeur n’égalera plus jamais celui de mon passé, j’écris pour prendre la défense de mes remplaçants, sans effets de style, sans excès, mais sans détours…
Pris pour cible 4 fois, en moins de 7 mois, sur une portion côtière de 3,5 km de long par des squales, le surfeur n’est pas seulement victime d’attaques de requins. Il souffre aussi de l’attitude maladroite de certains observateurs sur la terre ferme, une attitude que je déplore pour être prolifique en propos déraisonnables et parfois même cruels…
Ces propos apparaissent dans des commentaires postés sur internet. Vous les trouverez dans des forums à la suite d’articles de sites spécialisés dans l’information locale. Ces propos tenus en grand nombre par un public non averti, en réaction aux récentes attaques de requins, témoignent d’une grande méconnaissance de la pratique du surf, qui reste sans doute encore confidentielle à la Réunion : je veux dire par là qu’elle n’est pas vulgarisée au grand public, à l’image du ski alpin.
On voit souvent le surfeur comme un trompe-la-mort inconscient et frivole plutôt qu’un athlète aguerri aux sports nautiques. Mais ne vous méprenez pas, le surfeur est un excellent nageur. S’il ne vous surprendra pas par ses chronos en bassin, il conservera sa flottaison quoiqu’il arrive. Il la conservera avec ou sans sa planche. Car le surfeur est entrainé à sortir de cette machine à laver qu’est la vague. Il est entrainé à une apnée stressante et possède une bonne perception des courants. Le surfeur bénéficie en plus d’une acuité réactive au danger que représente une série de vagues. « Nager » et « nager dans les vagues » sont deux choses bien différentes. Et dans ce domaine, personne n’égalera jamais le surfeur ou le bodysurfeur. D’ailleurs, pour se tirer d’un mauvais pas, quoique sa planche lui suffise souvent (c’est entre autres pour cela qu’il échappe à la réglementation du drapeau rouge, mais plus encore parce que celui-ci est synonyme de bonnes conditions à notre sport), il fait d’avantage confiance à un de ses collègues plutôt qu’à un baigneur et même, avouons-le, qu’à un sauveteur, toujours un peu plus éloigné des lieux. Dans l’immense majorité des cas, le MNS se révèle être lui même un surfeur, ayant grandi au milieu de vagues réputées puissantes : les vagues coralliennes de l’Ile de la Réunion.
Le surfeur est aussi bien souvent un apnéiste de talent et un plongeur-chasseur qui connaît bien les fonds marins. Certains d’entre nous sont également des moniteurs diplômés d’état enseignant quotidiennement le surf et qui ne le seraient pas sans avoir dédié leur vie à cette passion. Pour toutes ces raisons, nombre de surfeurs, qui cumulent ces compétences, au terme d’un long apprentissage qui n’est pas dénué de risques, sont des spécialistes du milieu aquatique tropical.
Je regrette donc cette image irrespectueuse que certains ont pour les surfeurs de notre île.
Quand je séjourne en Savoie et que je croise les moniteurs de ski ou les guides de haute montagne de la vallée du Mont Blanc, je les admire et envie leur connaissance de la montagne. Je réalise qu’il a fallu plusieurs décennies à chacun d'eux pour forger leur expérience de ce milieu resté sauvage et que la disparition de l’un d’entre eux est toujours une tragédie.
Alors, je lis ces posts et commentaires et je note que pour beaucoup, l’homme n’a rien à faire dans la mer et que ce n’est pas son habitat naturel. Je devine aussi que le surfeur a encore moins de légitimité car il prend une place qui ne lui appartient pas dans le seul but de satisfaire son plaisir égoïste de glisse sur les flots. Il n’est pas là par nécessité, comme peut l’être le pêcheur ou le chasseur sous-marin. A lui donc d’assumer les risques, en particulier pour un plaisir solitaire.
Cependant, qu’est ce qu’un surfeur exactement ?
Certes, le surfeur est visible, bronzé, pleins de couleurs, sportif et expose sans pudeur ses muscles lissés par l’effort et les rouleaux. Il vit un peu dans sa bulle et ne parle que de son sport, avec son propre langage. Cela agace parfois, mais réfléchissez : c’est parce que le surfeur est souvent très jeune. Le surfeur expérimenté et plus âgé, qui constitue un pourcentage plus faible de sa communauté, est lui beaucoup plus discret.
En premier, le surfeur est à l’avant-garde du risque requin. Il se situe, bien avant le baigneur, à la rencontre avec le squale. Il constitue un poste d’alarme qui donne l’alerte en cas de danger.
Et voilà que notre alarme sonne et clignote au rouge depuis 7 mois. Alors ne vous-y trompez pas, après le retrait des surfeurs, la prochaine cible sera un baigneur du dimanche, peut être un très jeune, en zone de baignade surveillée, à quelques mètres du bord, dans une eau limpide et à un horaire dit conventionnel..
De la même manière, l’observateur lointain qui a la critique facile et se gargarise des accidents de surf (j’entends par là, attaques de requins et non noyades), oublie volontiers que le surfeur sauve chaque année, anonymement, plusieurs baigneurs de la noyade. Quel est celui qui me dira qu’il ne se sent pas rassuré de faire sa brasse aux abords d’un spot de surf bien fréquenté ? Alors, si demain, le surfeur, sentinelle de l’océan, non seulement par sa pratique sportive, mais aussi par ses actions engagées dans la sauvegarde de l’environnement, disparaît de la plage, vous verrez soudainement augmenter la timidité des baigneurs à profiter de nos eaux tropicales. Vous verrez s’interroger tout un tas de personnes auparavant enclin à privilégier la destination Réunion dans leur calendrier de vacances. Vous verrez s’inquiéter les hôteliers, les restaurateurs sur un tourisme déjà affaibli…
Peut être, n’affectionnez-vous pas particulièrement la mer et ne comprenez pas ce qui pousse, surfeurs, véliplanchistes, plongeurs et même simples baigneurs à y aller, surtout devant le risque encouru ; risque que vous pensez avoir bien cerné, depuis longtemps, et ce mieux que les surfeurs, puisque vous avez fait le bon choix, celui d’éviter la mer et ses dangers. Et bien, rappelons-nous que l’on habite une île cernée par l’océan, et qu’une partie de notre population a vocation à fréquenter l’océan, comme peuvent l’avoir les polynésiens, les calédoniens, les cap-verdiens, etc…Il est sans fondement d’imaginer que nous pourrions être les seuls insulaires du globe à ne pas interagir avec notre environnement et à nous priver de nos fonds marins, nos plages et nos vagues.
Par ailleurs, dans cette description du surfeur réunionnais, je prends le risque d’en décevoir certains : ceux qui croient par ignorance que le surfeur est un néo-nazi prêt à sacrifier sur l’autel du plaisir de sa glisse la race entière des requins.
Le surfeur est tout autre.
Interrogez-le : il vous répondra qu’il est contre le massacre de ces espèces…
Etonné ? vous pensiez avoir le monopole de volonté de protection de la nature ?
Débattre avec nous sur la nécessité du requin dans l'écosystème marin n'est pas utile.
Savez-vous que le surfeur est sensibilisé dés son plus jeune âge par des moniteurs diplômés ou par des surfeurs plus âgés au respect de l’environnement ? Et si parfois cette prise en charge éducative fait défaut, le surfeur grandit avec l’amour de son sport, une discipline « à émission carbone zéro ». Il grandit avec une inclination particulière pour l’eau claire et translucide. Aucun surfeur n’aime voir la dégradation de son habitat. Le surfeur ne ménage pas sa peine pour la défense des spots de surf. Mieux encore, il étend cette protection, des qu’il le peut, au littoral avoisinant. C’est pourquoi le surfeur s’investit dans des associations écologiques connues à travers le monde telles que la célèbre Surfrider Foundation.
Vous n’entendrez jamais un surfeur manquer de respect à l’océan. Vous ne l’entendrez jamais non plus prendre avec légèreté le risque requin ou faire une plaisanterie de mauvais goût. Même le jeune surfeur ne joue pas à Pierre et le Loup. Les anciens sont là pour l’en dissuader aussitôt, la menace étant bien trop sérieuse à nos yeux. Le surfeur grandit au sein d’une communauté solidaire face aux risques. Et je m’étonne toujours, de l’extraordinaire courage des amis ou inconnus qui, loin de faire l’otarie devant le danger, viennent prêter main forte aux victimes des attaques de requins : ceux qui prennent un très gros risque à escorter hors de l’eau les surfeurs mutilés. Loin d’en témoigner, ces anonymes le vivent comme un traumatisme caché qu’il est préférable d’oublier.
N’en déplaise à d'autres, le surfeur a toujours bien eu conscience du risque requin à la Réunion. Pour preuve, il le jugeait acceptable et n’avait jamais fait auparavant la demande de mesures de protection. Malgré les attaques sporadiques mais néanmoins dramatiques de ces deux dernières décennies, les surfeurs conservaient le silence, pratiquant l’éviction des spots incriminés. Or, il se trouve que le risque a changé. Il a même explosé sur une portion de notre île. Ceux qui pensent le contraire souffrent de désinformation. Le risque n’a jamais été aussi grand qu’aujourd’hui. Le nier mettra demain des vies en péril inutilement.
Là encore, les surfeurs, répertoriant dans leur mémoire les attaques de requins de manière indélébile, peuvent vous aider : ils vous énumèreront et décriront les précédentes attaques dans le Sud et l’Est de l’île. Ils vous expliqueront comment une zone saint-pierroise de surf et de baignade est redevenue vierge de toute activité nautique depuis 7 ans. Ils vous confirmeront que la zone saint-gilloise était épargnée depuis plus de 20 ans. Il vous diront que loin de gouter leurs proies, les requins d’aujourd’hui sont beaucoup moins farouches, qu’ils ont élu domicile à Saint-Gilles (là où se baignent vos marmailles) et qu’ils ne sont pas assez bêtes pour oublier leur nouvelle zone de chasse. Les surfeurs vous expliqueront que les attaques récentes ne sont plus des erreurs d’appréciation, qu’il n’y a plus de confusion pour certains requins, et qu’à l’heure de se nourrir, ceux-ci nous ont désormais bien identifiés comme des prises assurées qui les sustenteront.
C’est pourquoi, dans cette abondance de messages inopportuns et manquants de soutien, les surfeurs vous lisent et s’interrogent…
Nous voudrions bien savoir : quand avez-vous perdu votre affection pour nos jeunes surfeurs, véritables petits Saint-Bernard des mers, prêts à partager leur planche dans la nécessité de vous secourir ? Quand avez-vous décidé que le surfeur n’avait plus sa place dans l’Océan ? Quand avez-vous cru que nous voudrions être responsables du massacre d’une espèce pour le seul plaisir de notre discipline ?
Nombre d’entre nous ont exaucé le vœu de ces observateurs éloignés de notre discipline et du problème requin : plusieurs d’entre nous n’ont pas attendu et ont rangé leur planche dans une housse sur une étagère au fond du garage. J’en fais partie et je le regrette. Pourtant, des solutions existent pour le retour des surfeurs dans la mer. Certaines sont écologiques et d’autres moins. Laissez-nous les trier et vous les exposer. Encore éprouvés, laissez-nous nous rassembler, sans manque de respect pour les victimes, et surtout sans les déclarer responsables de leur triste sort.
Je vous invite à comprendre, à vous renseigner, à questionner les surfeurs…
Ils vous diront qu’un enfant de 12 ans fait des merveilles avec une planche par drapeau rouge et que le surf réunionnais intègre désormais l’élite mondiale. Ils vous diront que le requin se joue de vos statistiques d’horaires de prédation ou de la taille des vagues. Ils vous diront que les accusations d’imprudence des dernières attaques n’expliquent pas ce phénomène nouveau. Ils vous diront que les mesures « hygièno-diétético-préventives » (météo, horaires, eau claire..) ne suffisent plus. Ils partageront leur expérience de la mer parce qu’elle est grande, en particulier sur notre île.
Si vous leur demandez leur avis, ils vous diront tout ce que vous désirez savoir…
Arnaud Barrey
inscrit le 19/05/07
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