[non Moot c'est pas à toi qu'il a écrit, pourtant ça t'intéresse, vu que ça cause d'étoiles ]
Bon, comme il est le grenoblois le monsieur, j'me dis que ça a ça place sur skipass, forcément ! Puis je l'ai trouvée sympa à lire alors je vous la fais partager, et il parle du GPS donc avec tous les hig-tech men de ce forum, ça devrait vous plaire, voilou.
Sa lettre est parue dans Le Monde daté du 4 novembre
(lemonde.fr ) et comme elle est un poil longue, j'essaie de la faire passer d'un coup, mais pas sûr que ça marche...
Sans théorie de la relativité, pas de GPS, par Cédric Foellmi
Monsieur le président de la République, je vous écris pour vous parler de la recherche française. Pas de développement ou d'innovation, mais de recherche fondamentale publique civile. Je vous épargnerai la bête énumération des conséquences d'un sous-financement chronique, bien que je vienne quand même vous réclamer beaucoup d'argent. Et même plus, puisque je souhaiterais que vous compreniez que lier la recherche fondamentale à ses applications industrielles, c'est assurément détruire la première aujourd'hui, mais également les secondes demain.
Sachez que je n'ai aucun contact avec une quelconque industrie ou entreprise de ce pays ou d'un autre, grande ou petite, et cela ne m'intéresse pas du tout. C'est précisément ma parfaite inutilité économique directe qui me fait croire que mon minuscule exemple est représentatif d'une large portion silencieuse du corps des chercheurs de ce pays. Je suis astronome.
J'observe les étoiles. Ma spécialité, ce sont celles qui deviennent des trous noirs. Etonnant, non ? Et, très franchement, vous n'imaginez pas à quel point vous avez besoin de moi, monsieur le président. J'aimerais vous en convaincre, en rompant avec les discours pontifiants habituels : "Il faut développer une économie du savoir", ou plus inepte encore "depuis la nuit des temps, les hommes regardent le ciel".
Vous avez certainement déjà utilisé un GPS. Il y a pourtant un ingrédient essentiel du GPS qui provient directement de la recherche fondamentale qui s'appelle la relativité générale, découverte par Albert Einstein. C'est aussi simple que cela : pas de relativité, pas de GPS. Les deux choses ne sont pourtant pas faites par les mêmes personnes : la relativité vient avant le GPS.
La raison pour laquelle, vous, monsieur le président, avez besoin d'astronomes est très simple : la planète Terre n'est pas assez grande pour nos idées. Certes, il existe des laboratoires géants comme le CERN et ITER, mais ça n'est pas suffisant. Et de très loin. Donc on utilise l'Univers et les étoiles. C'est le seul "laboratoire" qui nous permette d'atteindre les conditions extrêmes de la nature, nécessaires au tripatouillage incessant de nos idées. Les trous noirs sont un exemple parfait : à ce jour seule la relativité (la même que celle des GPS) permet de les appréhender. La relativité sert à faire des modèles d'univers et de trous noirs, notamment. Et aussi des GPS. Mais on ne l'a pas trouvée en cherchant des GPS. Les astronomes veulent comprendre l'Univers et les étoiles et, ce faisant, élargissent lentement le terrain de jeu des ingénieurs. Pas l'inverse.
Sachez aussi qu'on ne fait pas de recherche "sociale", dans le sens où l'on ne cherche aucunement à prendre soin des idées les plus pauvres. Rien qu'en astronomie observationnelle, durant les deux ans qu'une simple nouvelle idée, au minimum, met à émerger, environ 25 000 autres articles sont déjà sortis. La compétition, la concurrence et la culture des résultats, on connaît très bien, et on n'a de leçons à recevoir de personne.
Inversement, le système de la recherche fondamentale publique civile doit être éminemment stable. Dans l'histoire de l'humanité, nous sommes les mieux équipés (le GPS), mais on réfléchit probablement aussi lentement que dans l'Antiquité. Alors que l'accroissement de l'innovation industrielle peut être corrélé avec le nombre d'ingénieurs, ce n'est pas le cas de la recherche fondamentale et des chercheurs. Le critère d'excellence de la recherche n'est pas la rapidité d'exécution d'un projet, ni le nombre de ses brevets, mais la liberté de ses acteurs.
Donc parlons franchement, monsieur le président. Parlons de ma liberté. Ma liberté de penser, et de mouvement. Comment voulez-vous que je développe une recherche de qualité si mon horizon matériel est de deux ans, c'est-à-dire le temps de réalisation d'une seule idée ? Comment voulez-vous que je développe la recherche de pointe dont vous aurez besoin, payé un peu plus que le smic, à 33 ans, bac + 9 + 5 ans de post-doc, parlant trois langues, avec des idées et des ambitions, déjà huit ans d'expérience à l'étranger, sans fonds pour voyager, et sans moyen réel d'engager des étudiants ? Qui va me payer, monsieur le président, si ce n'est pas vous ?
Les moyens que vous m'offrez sont très insuffisants. Mon université est au bord de la faillite. Mon labo, avec un effectif en croissance de 20 %, est l'un des deux seuls labos français qui n'ont pas vu leur minuscule dotation de base diminuer. L'équipe dans laquelle je travaille ne recevra pas un centime de mon labo. Nous allons tant bien que mal récupérer 10 000 euros, dans les programmes nationaux. Mon équipe compte seize personnes : 625 euros par chercheur cette année ! Vous avez une préférence pour la couleur des crayons ?
Je ne vous demande ni l'aumône ni la lune. Je vous demande des milliards d'euros. Vite. Je vous demande d'arrêter de financer la recherche américaine. Je vous demande d'arrêter de prendre les chercheurs pour des employés de Total ou de l'armée. En retour, je ne vous promets absolument rien. Mes pairs, et eux seulement, jugeront de la qualité de mon travail, et de ma motivation. Une vraie liberté de moyens ne va évidemment pas sans une modification profonde du système. Je ne vois qu'une seule raison pour laquelle cela n'a pas été déjà fait : le contrôle, le pilotage. Autant je peux comprendre qu'il faille déterminer une politique scientifique à l'échelle nationale pour engager de lourds investissements (ITER), autant cette conception est ontologiquement impossible et désespérément épuisante à l'échelle du chercheur. Vous voulez piloter mes projets, monsieur le président ? Sur les trous noirs galactiques ?
Je ne travaillerai jamais pour Total, ni pour le prochain GPS. Je travaille avec acharnement pour dépasser Albert Einstein. Pour cela il faut supprimer l'Agence nationale de la recherche (ANR), parce que la recherche fondamentale publique civile est un flux, pas une collection de petites boîtes appelées "projets". Et ne me demandez pas de passer un énième diplôme ou une habilitation à diriger des recherches. Des diplômes, on en a tous suffisamment. Là, on a surtout besoin de liberté, et de liberté d'action.
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Cédric Foellmi est astronome au Laboratoire d'astrophysique de Grenoble
inscrit le 23/04/05
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