Nous quittons Semi Onsen, notre havre de paix à l’atmosphère si authentique, pour prendre la direction les montagnes de Zao popularisées pour leurs monstres de neige. La veille, nous avions refusé poliment l’invitation d’IdeSan d’aller « tester » la station de Kunimidaira, petite sœur de Geto dont il assure également le patronage. La météo annonce une grosse chute de neige et nous préférons prendre la route pour nous avancer vers Yamagata, située aux pieds de Zao qui sera notre dernière étape de ski. Sans Jérémy Prevost qui nous a quitté la veille pour rejoindre Tokyo, donc sans photos d'action!
J’échoue platement dans ma mission de copilote, et quelques kilomètres après Geto, nous ratons l’entrée de l’autoroute. Nous voilà contraint de déambuler en bord de rivière sur une route luisante comme un ruban de glace. La campagne est triste et désolée avec beaucoup de maisons abandonnées. Nous stoppons pour la pause déjeuner sur le parking d’une micro-station de ski avec son unique télésiège, Inakawa. Des militaires effectuent des exercices avec de vieux skis. Les armées du monde entier ont visiblement le même antique équipement. Guillaume saisit l’occasion pour me passer le volant, las de conduire depuis le début du séjour. Un peu de pédagogie sur le vaste parking quasiment vide et me voilà aux reines du Qashqai. Dans la banlieue de Yamagata, la neige annoncée commence à poudrer le sol façon gros sel.
Avant de trouver le confort de notre hôtel, je propose à Guillaume d’aller visiter une fabrique de saké. Si toutes les régions du Japon produisent le fameux alcool de riz, Yamagata est la seule préfecture à bénéficier d’une indication géographique. Depuis le début du voyage, nous avons transité lentement de la bière de soif vers le saké froid, le « yuki-hie », « à la fraîcheur de la neige » comme le thème de notre séjour ! Jérémy, qui voue une passion intime au vin, nous a petit à petit converti dans la recherche d’une équivalence gustative. Le saké étant un vin de riz fermentée en même temps, nous y avons pris goût avec une vraie montée en gamme au gré des conseils glanés çà et là dans les tables fréquentées.
Nous essuyons un refus dans une première distillerie où deux femmes paniquent de devoir engager la conversation avec des gaijins. Nous tentons un second essai chez Otokoyama Saké Brewery, une institution locale. Après un bonjour de la main à travers la vitre de la réception, un vieux monsieur sort et s’excuse dans un anglais parfait en nous disant que les visites sont terminées pour aujourd’hui. Puis, devant sûrement nos mines déconfites, il se reprend et nous fait signe d’attendre. Sans que l’on sache qui il est, il part chercher un ouvrier qu’il détache de la chaîne de production. Un homme en bleu de travail s’avance et nous invite à pénétrer dans les bureaux. Il a passé une grosse partie de sa vie à Hawaii et se mue, avec passion, en guide d’un jour nous réservant un accueil de roi avec la dégustation d’une dizaine de saké et la découverte des secrets de la fabrication.
À la fin de notre visite impromptue, Yamagata s’est parée de blanc. Nous finissons la soirée dans un restaurant familial « Akoya Sushi », à l’accueil discret, tenu par une vieille dame et son fils dans une ambiance calme et hors du temps.
C'est beau une ville sous la neige. Nous traversons Yamagata encore endormie et saisie par un froid glacial accentué par un ciel totalement dégagé. Nous passons sous un immense Tori qui marque l’enceinte des montagnes de Zao. Le parking du téléphérique de la station de Zao Onsen, plus importante station du massif, est plein comme un œuf. La dernière voiture autorisée à rentrer s’engouffrent devant nous et le « placier » nous fait de grands signes pour aller chercher une place ailleurs. Nous filons à l’arrêt du haut où une armée de prétoriens du stationnement nous aident à nous garer avec une corde au sol. « Se garer au cordeau » prend ici tout son sens. Ce parking supérieur est finalement le bienvenu puisqu’il nous permet de gagner le front de neige en profitant d’une première descente dans une neige vierge incroyable de souplesse.
Pour accéder au sommet du Jizo Sancho à 1 661 mètres d'altitude, siège des admirateurs des « monstres des neiges », il faut emprunter deux tronçons de téléphérique, partagés entre les contemplateurs et les skieurs. 1h30 plus tard, nous pouvons décrire les sensations ressenties par les usagers des transports en commun des grandes villes au quotidien. De toute évidence, nous savions que skier un dimanche de grand beau temps allait générer de la frustration. Ces arbres pétrifiés possèdent un pouvoir d’attraction assez incroyable.
Nous profitons du cadre enchanteur de ces créatures immobiles façonnées par le blizzard. La zone sous le second tronçon de téléphérique nous fait de l’œil. Nous hésitons avant de "franchir la ligne rouge" et sombrer dans l’illégalité puis en fin de compte suivons un « hors-la-loi » en snowboard. Un petit deux places rouillé, le bien nommé Paradise, nous fait ensuite la matinée ou ce qu’il en reste à crayonner un secteur bien chargé de neige mais sans grande pente. Une bénédiction avec cette foule.
Au bout de la piste Utopia, le restaurant Todomatsu est parfait pour couper la journée de ski. La nourriture est quelconque mais l’accueil chaleureux. L’intérieur est bondé nous valant de grosses minutes d’attente. Nous ne sommes plus à ça près. Son architecture pyramidale nous projette dans un rétrofuturisme bleuté, terrain fertile pour l’œil du photographe.
Nous déambulons après le ski dans la station-village. Certaines rues du cœur de Zao Onsen rappellent Nozawa avec l’odeur de soufre et les bains publics. Zao est néanmoins immobile, comme dissonante avec ses pistes cacophoniques et bien loin des souvenirs de Nozawa avec ses ruelles favorisant la familiarité et la convivialité.
Nous quittons Zao Onsen, son domaine skiable et ses eaux curatives pour l’autre versant de la montagne-volcan.
Les bords de route au Japon sont toujours une création picturale et un émerveillement permanent. Des paysages ou des situations cocasses surgissent à l'improviste, sans préambule, souvent au beau milieu de villages éteints : un singe au bord de la route qui mâchouille des feuilles de bambou, des panneaux en Kanji la plus esthétique des écritures, une devanture de poissonnerie, de vieux skis Yamaha, des échoppes, des maisons vermoulues et brinquebalantes, un bowling abandonné qui nous coûte plusieurs dizaines de minutes de photos, les yeux d’un daruma coincé dans un bric-à-brac d'objets divers …
Pour accéder à ce Japon des chemins de traverse, on ne le répètera jamais assez : louez une voiture ! Notre voyage exploratoire dans le Tohoku n'aurait de toute façon pas été possible autrement.
Guillaume nous trouve un hébergement en toute dernière minute dans une montagne surpeuplée par les mouvements migratoires du week-end. On se rabat sur l’unique choix dans un rayon de 2h de route, le Daiwa Resort. « Resort », l’antithèse du ryokan traditionnel et de l’intimisme à la Japonaise. Nous ne savions pas en appuyant sur le bouton « valider » de la réservation que nous allions vivre une aventure immersive. L’hôtel déborde, bouillonne, grouille. La salle de restauration ferait frissonner de bonheur un virus du covid en phase de croissance. Les écumeurs de tables gravitent façon tourniquet dans une immense pièce regorgeant de saladiers et de marmites en ébullition : 30 à 40 plats différents, de l’énorme cascade de chocolat aux ailes de requin en passant par différents types de tempura et autres sushis. Nous sommes assis pour le repas, dans le carré des étrangers, à la même table qu’un couple d’allemands autant éberlués que nous.
Tout n'est pas perdu pour autant, il y a une salle de jeu avec Taiko no Tatsujin, et un onsen étonnamment désert et agréable. On n'est pas tant mal, mais une nuit sera amplement suffisante.
C’est le dernier jour de ski. Un grand soleil est annoncé, confirmé par l’entrebâillement des rideaux. Cela tombe bien car nous avons programmé une courte randonnée pour aller explorer le magnifique lac de cratère du volcan Zao : l’Okama. Les images polychromes aperçues çà et là semblent prometteuses d’une belle journée de déclenchements photographiques.
Nous cédons à une forme de nonchalance après 12 jours de ski quasi consécutifs. L’effervescence de la salle de petit-déjeuner annihile rapidement notre léthargie. Le fourmillement prend l’assaut des buffets. Ça joue des coudes devant la machine à café. Ceux qui ne sont pas en salle étirent la queue du 'check-out' pendant que les bus stationnent à la queue leu leu devant l’hôtel pour embarquer ces clients d’une éphémère nuit. Nous nous échappons du tumulte.
Dix kilomètres d’une belle route à virages et nous voilà transporter à Zao Sumikawa dont la tranquillité tranche avec le début de matinée. Les abords sont plus pauvres en neige que dans les stations précédemment visitées au Nord et l’inquiétude nous gagne à voir les seuls nuages de la région s’accrocher à notre projet sommital.
Zao Sumikawa est une des sept stations du massif avec Sarukura, Liza World, Miyagi, St. Mary, Eboshi et Zao Onsen.
Nous nous garons sur le premier parking venu et entamons une discussion compliquée avec notre voisin de voiture, prêt à partir en ski de randonnée. Nous comprenons qu’en gros, « c’est par là ». S'il n'est pas toujours facile de se faire comprendre au Japon, le langage des mains reste universel.
Le front de neige de Sumikawa est austère. La cahute à forfait qui abrite également un restaurant se situe entre un hôtel à moitié brûlé et un parking de dameuses abandonnées. Ambiance fin du ski. Le personnel de la station est lui plutôt jeune et enjouée ce qui tranche avec l’environnement.
Nous choisissons finalement le mode casanier en achetant un forfait pour emprunter les trois télésièges en enfilade de la station et limiter le temps de peaux pour profiter des paysages.
Sur le front de neige, des dameuses vertes, mais loin d'être écologiques, ronflent, prêtes à acheminer à grand coup de kérosène quelques piétons sur les mêmes hauteurs que nous. Alors que nous allions embarquer sur le premier télésiège, le responsable des caisses nous hèle, bras levés, pour nous faire signer le papier disculpant la responsabilité de la station en cas d’accident. Un oubli qui lui aurait certainement coûté sa sérénité pour la journée.
La montée sur les trois appareils est longuette mais des hauts parleurs crachent une musique rock énergique. Les opérateurs sont courtois et souriants, le bonjour toujours jovial et expressif.
L’élan vers notre objectif est contrarié par un télésiège « une place » abandonné. Ce « tas de rouille », on peut avoir l'impression qu'il a été posé là pour Guillaume, attentif au moindre point de corrosion. Il trouve d'ailleurs sa place dans l'article que nous avons consacré aux stations et remontées mécaniques abandonnées au Japon.
Les peaux sont collées sous les skis et les talons détachés à l’arrivée du dernier siège. Des petits panneaux permettent de suivre une trace bien marquée dans une magnifique forêt de conifères nains. Dans la montée, nous croisons un vieux monsieur au visage heureux sorti tout droit des années 70 du ski avec sa casquette en velours affichant un « Rossignol moteur de l'innovation » anachronique et ses peaux de phoque déliquescentes. Nous échangeons quelques mots et sourires.
L'horizon vers la vallée est entièrement dégagé alors qu'un nuage capuchon s'accroche vigoureusement au sommet de l'Okama. La dernière pente lustrée se fait en affrontant un vent violent et froid qui nous accompagne jusqu’au sanctuaire Kattamine, terminus de notre ascension.
Le cratère, encadré par des fumerolles, est d’un décevant monochrome quand il ne disparait pas complètement dans la brume. Même pas de quoi faire une photo, c'est dire...
Les bourrasques nous passent à tabac et nous projettent au sol. Des tourbillons de vent cinglent nos visages. On cherche à rechausser les skis à l’abri d’un restaurant ouvert l’été mais la place est chère pour s’abriter d’un vent tonitruant. On ne s’éternise pas dans cette ambiance « sauve-qui-peut » appelant à l’échappatoire vers le bas.
La neige gondolante a presque une sensation agréable dans cette fuite au-delà du souffle des aquilons. Puis, le contraste : le domaine skiable, les duos de batterie et de percussions dans l’air, le soleil et l’ambiance éclectique du front de neige.
Le katsudon à la cafétéria fut amical et réconfortant pour clore la quinzaine. C’était notre dernier jour de ski, dans les fourberies de l’Okama.
Avant Zao, nous étions à Geto Kogen. Demain, nous serons dans la préfecture de Fukushima, avec au programme quelques explorations de stations de ski abandonnées. Puis ce sera Nikko en mode touriste, et enfin Tokyo pour le retour en France. Enfin, pas pour tout le monde car Guillaume, qui ne s'impose que peu de contraintes lorsqu'il s'agit de Japon, poursuit lui son périple vers Hokkaido.
Si vous êtes arrivé sur cet article par hasard, ne ratez pas les 5 autres consacrés à notre périple ski dans le Tohoku.
- s'y rendre, plan des pistes, forfait journée à 6 300 Yen japonais (environ 39 euros)
- Pour dormir : Richmond Hotel à Yamagata (moins de 25 kilomètres), classique business hôtel japonais aux prestations impeccables.
- Pour connaitre et suivre la météo
- s'y rendre, plan des pistes, forfait journée à 4 000 Yen japonais (environ 25 euros)
- Pour connaitre et suivre la météo
- Pour louer une voiture, faire traduire votre permis, la connexion 4G sur place mais aussi louer un appartement sur Tokyo au retour (le bon plan si vous êtes un petit groupe), une seule adresse : l'agence française Japan Experience, spécialiste du Japon depuis 40 ans !
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