« Skiopolis », c’est cette formulation onirique qui lance une histoire des pistes de ski de Val d’Isère. Elle nous ramène en 1937 lorsque Jean Perquelin, journaliste au Petit Dauphinois, le grand quotidien des Alpes françaises, imaginait l’avenir du modeste village d’altitude en cité du ski, une communauté tournée vers la neige et les bienfaits de la glisse. Il avait vu juste car la station de Haute-Tarentaise est bien devenue quelques années plus tard cette agora blanche. Bien sûr, Perquelin n’avait pas tout imaginé : les corps flottants au-dessus des bosses, les combattants du chronomètre, les machines à remonter la pente, les caravanes des neiges, les anneaux olympiques, les hourras des aires d’arrivée… Son liminaire prophétique s’est cependant transformé en récit tant la vie de l’emblématique Tarine est prolixe et nous entraîne dans un tourbillon de souvenirs ayant trait au sport culte, aux champions, à la compétition, à l’héritage, à la passion, à l’excellence. Plutôt que d’emprunter un chemin logique reliant les grands axes du domaine skiable, l’histoire des pistes a été traitée par l’anecdote pour construire des histoires, neuf histoires façon chroniques d’en-haut. Nous avons questionné les acteurs locaux pour une lecture en écho de ces récits. Un large champ de résonances au sein de cette histoire unique dont nous vous invitons à suivre la trace.
Remerciements :
pour les visuels : Manon Kempinaire (Archives municipales de Val d’Isère), Maïwenn Cloërec (Club des sports de Val d’Isère), Christelle Bonnevie (Association Val d’Histoire), Olivier Landeau (Racing Club de France), Guillaume Bodovillé, Laurent Berne, Ken Read, Mauro Morandini
pour les interviews : Ken Read (vainqueur de la descente de 1976 sur la OK), Buddy Dubois (moniteur ESF), Guy Bonnevie (moniteur ESF et auteur de Val d'Isère-Tignes - Hors-pistes), Ingrid Jaquemod (ancienne membre de l'équipe de France de ski, directrice du club des sports), Simon Bellabouvier (moniteur ESF et membre de l'équipe de France de ski alpinisme), Jean-Pierre Aiguillon (ancien directeur de la régie des pistes, 45 années aux services des pistes de Val d'Isère), Guillaume Bibollet (adjoint au damage à la régie des pistes de Val d'Isère), Victor Muffat-Jeandet (membre de l'équipe de France de ski), David Déréani (chargé de mission patrimoine à la FACIM)
Certains sommets portent le nom des premiers alpinistes les ayant déflorés, les étoiles portent les noms de leur découvreur. À Val d’Isère, certaines pistes rappellent l’histoire des faiseurs : Diebold, Oreiller, Killy, Mangard, Mattis, Goitschel. Dans « les pionniers de l’or blanc » que le journaliste Philippe Revil consacre aux acteurs du développement des sports d'hiver et de l'aménagement touristique de la montagne française, d'Émile Allais à Laurent Boix-Vives ou Pierre Montaz, ne figure pourtant aucun Avalin. Sans maladresse. À Val d’Isère, pionniers s’écrit au pluriel dans une démarche collective, confraternelle même, « les copains de Val d’Isère » comme titre le quotidien Paris-Soir en décembre 1937. « Ici, pas de rivaux, pas de concurrents. Des copains, huit ou dix copains, qui se démènent, s’entraident et vont faire de Val d’Isère, une des premières stations de sport d’hiver » raconte Pierre Scize, auteur prémonitoire d'un miracle de la neige alors que le ski n’en est encore qu’à ses balbutiements dans la Haute vallée. Les premiers à se convertir à la religion du ski sont les prêcheurs avec le révérend Sansoz, curé de l’église Saint-Bernard de Menthon, dépositaire de la première paire de skis introduite en Haute Tarentaise en 1889 qui n’est utilisée alors que pour « faciliter les déplacements entre les hameaux coupés les uns des autres par les abondantes chutes de neige » rappelle Monique Gherardini dans un récit sur le début du tourisme. Dans les années 30, l’heure est à la poya, la transhumance verticale. Dans le sillage de Nicolas Bazile, élu maire à son retour au « Pays » en 1927, Val d’Isère devient le « far-west de l’or blanc » comme le raconte Jean-Claude Killy dans son livre biographique « skier avec Killy » relatant l’expérience de son père venu fouler cette terre promise. Bazile, c’est l’âme de la commune, un homme qui va de l’avant, bien d’aplomb, planté sur le terreau solide des réalités. Aux côtés de Bazile, maître Jacques de la fine équipe, il y a l’industriel Jacques Mouflier qui encourage le maire à faire de Val un centre touristique. « votre fortune, c'est l'altitude », insiste celui qui deviendra le fondateur de Val d’Isère Téléphérique, la société d'exploitation des remontées mécaniques.
Robert Mangard, descendant d’une grande famille de guides, travaillait à Val d’Isère dans les premières remontées mécaniques de Solaise puis comme moniteur. Pour retourner chez lui au Fornet, il prenait à ski un bout de la route de l’Iseran du sommet du téléphérique. Pas de navettes, pas de véhicules à l’époque. La piste Mangard doit son nom à ce parcours de vie.
Jean Claude Killy a changé la face du ski alpin et de Val d’Isère. Son aura a aimanté de nombreuses générations de skieurs vers Val d’Isère. Encore aujourd’hui, il reste un immense Monsieur de la station.
Durant l’hiver 1931-1932, un alsacien, Charles Diebold commence à enseigner le ski qu’il a appris sur le front russe et démocratisé dans ses Vosges natales. Il fonde la première école du ski qui deviendra la célèbre ESF. La jeunesse avaline, les Bonnevie, Mattis, Mangard, enfile l’habit de moniteur, bleu marine à l’époque. « On n'avait pas beaucoup de travail ; on faisait la trace et on damait une piste au Makalu, près des maisons. À cette époque, pas de diplômes, n'importe qui faisait le moniteur » se rappelle Fernand Bonnevie dans le livre les pulls rouges. Le manteau blanc devient un objet d’attention pour ces apprentis en neige, « les moniteurs doivent tout savoir depuis la géographie la météo, les différents états de la neige, les avalanches » raconte la journalise Paule Hutzler en 1938 venue en immersion auprès de ceux qu’elle qualifie de gentlemans du ski. Qui dit ski, dit matériel, et, dès 1932, Robert Pitte ouvre le premier magasin d’articles de sport suivi par d’autres entreprenants, comme Scarafiotti ou Killy père. Charles Diebold, homme à tout faire, part dans la montagne avec le docteur Frédéric Pétri qui succèdera comme édile à Bazile. Les excursions à ski sont nombreuses et variées, « l’étage des alpages est par excellence celui des grandes stations. Ces vastes espaces sans arbres gazonnés et peu caillouteux deviennent tout naturellement ou au prix d’aménagements minimes les pistes de ski idéales où l’altitude assure longueur et qualité de l’enneigement » précise Annie Reffay dans la revue de géographie Alpine. C’est ce terrain presque vierge, les terres de l’été, qui s’offre à l’imagination de ces compères qui éditent la première carte des itinéraires à ski, préfiguration du domaine skiable. « Des prés en pente, sans cailloux, ni clôture » que Diebold transforme en pistes de ski. Antoine Borrel, le député de la Savoie adoube ce changement de cap dans la vie de Val d’Isère, « on installera des remonte pentes à grand débit pour ceux qu’amuse le va-et-vient des descentes et des montées ». Il est loin le temps où le meilleur skieur était Monsieur le curé qui descendait sans peur dans un style très personnel. Les pionniers ont découvert, cherché à comprendre ces lieux et contribué à les rendre accessibles au plus grand nombre ; ils n’ont pas déplacé la montagne, ils ont déplacé leurs montagnes.
On parle beaucoup de pionniers. Nous sommes dans la diffusion de cet héritage : se rappeler comment la station est née et a pris le chemin de la compétition. On se doit de transmettre cette histoire mais il faut actualiser les choses et s’inscrire dans l’instant présent car on a des acteurs qui ont le potentiel d’écrire un nouveau récit.
« Il est plus facile de descendre que de monter » dit le proverbe de Gabriel Meurier. Un précepte du fameux remonte-pente. Megève, la Féclaz et le Sauze avaient déjà le leur quand sous les neiges du mois de février 1936, le téléski du Rogoney distribue ses premières perches aux heureux skieurs qui gagnent alors sans difficulté l’orée du bois. C’est un Mauriennais d’Épierre, Gabriel Julliard, renforçant au passage les oppositions de toute nature avec les Tarins, qui installe cet appareil fondateur d’un changement de paradigme pour les adorateurs de descentes sans contrainte. Nicolas Bazile, le maire d’alors, salue cette prouesse technique « nous avons notre monte-pente. Il emmène les skieurs là-haut dans les mélèzes. Ils bénéficient ainsi, sans fatigue, d’un gain d’altitude. Trois pistes divergent du sommet. Les costauds et les casse-gueules prennent le schuss, les autres choisissent entre les deux autres itinéraires qui leur permettent de regagner l’aval sans chutes catapultueuses ». Marcel Bonnevie, un enfant du Pays, voyant le succès du Rogoney installe également son téléski dans les prés familiaux. Un appareil plus fonctionnel pour les skieurs débutants qui approfondissent leur technique sur les pistes faciles des pentes d’exercice. « Et maintenant nous ne pouvons plus dire que le ski est un sport fatigant, comme tout, comme partout, le progrès lui apporte un visage nouveau » écrit le Petit Dauphinois. L’instrument de la pratique du ski de descente devient, ainsi, la remontée mécanique même si « les amateurs de sport d’hiver qui assiègent Val d’Isère lui pardonnent de n’avoir pas encore de téléphérique parce qu’elle semble faite exprès pour les patins » souligne le quotidien l’Intransigeant.
Le premier téléphérique de Solaise avait des cabines de 31 places. La benne mettait 7 à 8 minutes pour monter. Moins de 300 personnes à l’heure accédaient au sommet. On attendait des heures pour skier. À une époque, la société des remontées mécaniques a dû mettre en place des bennes numérotées. On arrivait à 7h devant les caisses pour retenir la grimpée de 11h.
Mais Val d’Isère, dont l’essor est prometteur, ne peut se contenter de deux téléskis sur son front de neige. « Nous aurons un téléphérique vers Solaise » annonce Bazile auquel le sénateur Antoine Borrel répond en échos « on lancera un téléphérique vers les sommets ce qui donnera des descentes de plusieurs kilomètres aussi belles qu’en Suisse ». Un jalon de plus dans l’équipement touristique de la station et la perspective finalement de ranger au rayon des souvenirs les deux à trois heures de montée chaussés des fameuses peaux de phoque pour atteindre la côte 2 558 mètres. Frappé de l’aigle blanc des armes de Tarentaise, le téléphérique de Solaise prend enfin son envol en décembre 1942 après trois ans de travaux et de retard dus au déclenchement de la seconde guerre mondiale. Neuf ans plus tard, le 29 décembre 1951, le téléphérique de Bellevarde mitoyen par la gare de départ entre en service. « Bellevarde, que tous les fervents de ski souhaitaient, transformera Val d’Isère en une station complète qui sera sans égale en France » publie l’écho des stations du journal le Monde. Le face à face, expression consacrée lors des championnats du monde de 2009, est né.
Si la montagne Tarine des années 30 ne s’est pas encore habillée de filins aériens jetés vers les sommets, la vogue du ski transforme les champs de neige les plus fréquentés par les skieurs-randonneurs en voies prescrites et répertoriées. Aussi, en 1936, trois itinéraires balisés distribuent de très faciles descentes : du col de l’Iseran, du col de Freisse et de la tête de Solaise, trois circuits allant de 900 à 700 mètres de dénivellation qui sont complétés par l’Aiguille de Bellevarde réservée aux bons skieurs avec ses 1 000 mètres de dénivellation. Deux guides du club alpin français, Joseph Mangard et Jules Costa, appuyés par le Touring Club de France ont réparti le long de ces itinéraires, des fléchettes indicatrices de couleurs, bleues, jaunes ou rouges suivant les directions. La presse locale fait la publicité de ces parcours, « les tracés ont été choisis avec soin, à l'abri de tout risque d'avalanche. Ce sont les plus faciles et à la portée de tout skieurs moyens. Tous les amateurs de sports d'hiver applaudiront à cette excellente initiative qui est appelée à rendre de grands services particulièrement les journées à brouillard ou de mauvais temps ». Le ski pose ainsi ses premiers jalons à Val d’Isère. La montagne de Solaise symbolisée par son téléphérique éponyme appelle plus tard à une nouvelle forme de signalétique basée sur le code alphabétique. Une idée de Charles Diebold. Les pistes de ski se transforment en abécédaire avec chacune une lettre pour orienter les pratiquants. La « A » est la première piste à adopter son panonceau, une belle pente exposée nord-ouest avec panorama sur le Rocher du Charvet et la Grande Motte en fond, aujourd’hui renommée en Rhône-Alpes. Suivent la « M » pour les skieurs moyens, la « S » pour super raide ou sinueux, la « L », une belle combe orientée au nord pour la descente sur le Laisinant, les S.F., les A.F. ou des apostrophes pour les jonctions ou les variantes. Les balises indiquent la distance les séparant de la suivante pour une descente graduelle. En visiteur régulier de la station qu'il arpente avec le guide Charles Bavard, l'aquarelliste Samivel, avec son dessin « à nous la liberté » dans l’opéra de pics, crayonne avec facétie cette allégorie d’une montagne apprivoisée et se prêtant à tous les niveaux. Le petit Dauphinois titre, d’ailleurs, sur « des pistes pour tous les talents » en évoquant « une montagne de Solaise idéale, offrant toutes les pistes possibles à la virtuosité des champions comme à la timidité des débutants ». Si Solaise s’abrège, Bellevarde se colorise, dans les années 50, avec les pistes « orange », « verte » ou « bleue » pour épouser le niveau de difficulté alors que le classement des pistes de ski alpin sous la forme d’un code couleur n’est réglementé qu’en 1965. Le second tronçon de la télécabine de la Daille construit en 1966 arbore, d’ailleurs, d’iconiques œufs verts et oranges en forme de clin d’œil aux pistes desservies.
Au départ de Solaise, il y avait des panneaux et des flèches pour indiquer les pistes. On mettait une balise de temps en temps. Le balisage était plus lâche qu’aujourd’hui. Il n’y avait pas de piquets pour encadrer et signaler les pistes. Le hors-piste n’existait pas ; il n’y avait pas de trace à côté. Dès que les skieurs sortaient de la piste, ils n’arrivaient plus à tourner.
Si la montagne légende les vastes ensembles que sont les pistes de ski, elle fait émerger une nouvelle géographie des toponymes faite d’anecdotes de glisse. Un baptême de nouveaux lieux-dits piquette des pentes lestées d’histoire. La combe du cinéma, parallèle à la Combe Martin, rendue aujourd’hui à la nature rappelle le tournage d’un film avant-guerre. La piste A se souvient des premiers patrouilleurs avec son mur des bolides ou le passage du cercueil évoquant les secouristes skiant à tombeau ouvert avec leur sac dans le dos ou tractant les traineaux. Le passage clé de la piste olympique de Bellevarde épouse le nom d’une fleur, le goulet de l’ancolie, car le tracé initial, finalement dévié, traversait son biotope. Un végétal symbole de folie, tout un signe, car les skieurs s’engouffrent dans une faille étroite bordée de rochers très intimidants selon les dires de Franck Piccard dans le souvenir de son face à face. La piste OK égrène les stigmates de chutes mémorables. Le Suisse Roland Collombin laisse comme épitaphe à sa carrière son nom à une bosse où il chuta doublement en 1974 et 1975. Émile Viollat marque également de son sceau la piste de la Daille en 1959 avec une envolée de près de 90 mètres. Bornes, pistes, lieux, situations de glisse sont ainsi au cœur des géographies de Val d’Isère.
L’histoire de Collombin m’a vraiment marqué avec sa double chute au même endroit. Les Suisses disaient qu’il avait les fourmis qui trottaient au plafond. C’était un très bon skieur mais un peu fougueux et bouillonnant.
Au début de la décennie 1930, Val d’Isère est encore vierge sur le plan touristique. Le premier décor est une montagne immaculée. Puis, arrivent les premiers skieurs, les remontées mécaniques, les concours. La neige insondable devient rapidement un objet d’attention et Val d’Isère un terreau à innovations pour transformer une pratique occasionnelle en habitude quotidienne et compétitive. La station s’érige en pôle d’altérités pour entrer en émulation avec ses consœurs du cirque blanc. Le ski devient un fait social et évolue ici vers sa professionnalisation. Le sort de Val d’Isère se noue au ski et aux hivernalistes de tout corps établissant de nouvelles trajectoires personnelles dans les métiers de la montagne. Sonder, conserver, sécuriser, damer, patrouiller, tracer, niveler autant d’actes et de nouvelles vocations qui peuvent s’apparenter à du jardinage des neiges. L’entretien et la sécurité des pistes sont les marottes de Charles Diebold, véritable ubiquiste du flocon. On lui doit dès 1937 la création de la patrouille de secours, première équipe de France dédiée à la signalisation et à l’assistance. Le magazine « neige et glace » présente alors cette escouade de sentinelles blanches, « chacun des patrouilleurs porte un rucksac qui contient notamment couverture, bouillote, trousse médicale, caféine, solu-camphre. Cet équipement portatif est complété par celui qui se trouve aux cinq postes de secours répartis sur le tracé de la seule piste A, la plus fréquentée, et aux trois postes sur la piste M ». Le damage aussi n’existe pas encore dans sa version motorisée mais la stabilisation du manteau neigeux est déjà un élément déterminant de la sujétion aux skieurs, « à Val, on ne laisse pas les pistes s’abîmer : pas de baignoires où loger une famille, pas d’ornières traitresses qui mènent à l’accident. Cinq hommes travaillent au lever du jour jusqu’à la nuit. Les profils sont relevés, rectifiés, les baignoires bouchées. Après une chute de neige, la piste est interdite à la circulation, le temps d’effectuer un damage complet sur tout son parcours ». Et tout cela en dérapant pour « savonner les pentes et les mamelons ». La neige impose aussi un détour par le temps qu’il fait. Marie-Louise Oran, ou « Mazi » pour tous les abonnés de la Poste distille des indications sur l'état des pistes ou les niveaux d'enneigement en même temps qu’elle prend les réservations d'hôtel et sert de syndicat d'initiative. Val d’Isère se transforme en Val d’hiver.
Pour la préparation des pistes, on damait la neige aux pieds ou à skis pour durcir la piste en se mettant en travers de la pente. Une fois la piste damée, on passait des rouleaux ou des grilles pour tasser. Il faut comprendre que dans les années 70, il y avait moins de clients et les pistes n’étaient pas très larges. Les premières machines sont arrivées vers 76. Elles passaient sur les pistes les plus faciles. Dans les années 80, on damait encore les plus fortes pentes avec les skis. Le passage des skieurs assurait la finition.
La station est aussi une terre d’innovations en continu pour accompagner le développement du ski de compétition. En 1947, la journaliste Maggy Pelletier raconte que la station inaugure « un slalom permanent avec chronométrage automatique permettant de s’entraîner dans les meilleures conditions à cette spécialisation difficile. Le terrain est continuellement entretenu par une équipe d’ouvriers spécialisés. Les piquets renversés ou cassés sont changés. Et le tracé même du slalom est modifié constamment selon les indications du chef de slalom ». Cette zone aménagée donne naissance au stade de slalom, devenu par la suite, un nom générique. À partir de 1961, le stade dispose d’un système permettant d’arroser la neige afin de la faire geler. « À Val, on travaille le slalom » confirme Raymond Marcillac dans un article du monde consacré aux grandes années du ski français. En 1968, à l’aune des Jeux Olympiques de Grenoble, Val d’Isère est la première station française à importer la méthode Autrichienne d’engazonnement et d’épierrement pour préparer et ouvrir la piste de la OK même en cas de faible enneigement, au risque « de mécontenter sa fidèle clientèle sportive qui a le culte de la piste non préparée et de la difficulté » ironise le chroniqueur François-Henri de Virieu. À Val d’Isère, enfin, l'architecture rencontre les pistes de ski. Pas l’art de construire ou rénover des bâtiments mais celui de « faire frissonner sans risquer la vie de l’athlète » précise Bernhard Russi, champion olympique de descente à Sapporo, grand ami de Jean-Claude Killy et digne héritier de Louis Erny qui crayonnait déjà dans les années 70 le profil de la OK. L’expert ès tracés de descente livre à Val d’Isère avec la face de Bellevarde, le dessein d’une vie, la ligne ultime, un fil tendu entre vitesse et esthétisme. D’hier à aujourd’hui, Val d’Isère s’est toujours érigée en laboratoire d’idées, en atelier de la neige pour transformer un jardin blanc en lieu d’expérimentation, de passion et de conviction.
Dans le ski de haut niveau, la renommée de Val d’Isère vient en partie de sa capacité à organiser de grands évènements et de mobiliser l’ensemble des acteurs de la station autour de cet enjeu. Val fait partie des étapes de la saison où c’est presque le mieux préparé, avec un engagement de toutes les forces vives de la station. Cela fait plaisir de voir et partager tout cet engouement. Cela demande énormément d’énergie mais Val peut compter sur un noyau de bénévoles et de compétences extraordinaires.
La piste de ski est indissociable de son « plan des pistes » à Val d’Isère comme ailleurs mais peut-être encore plus à Val d’Isère. Un outil fonctionnel, pédagogique, souvent esthétique, qui aide à cheminer de piste en piste en passant du « vert » sinueux et nonchalant au « noir » directif ou bosselé, à prendre de la hauteur, tiré vers les sommets par des connexions câblées, à éveiller des émotions visuelles. Le plan des pistes n'est pas né à Val d'Isère puisqu'il est Autrichien, personnifié par le doigté magistral d’Heinrich C. Berann. Le plan des pistes à la française est bien Avalin car c’est avec le panorama de Val d’Isère que l’immense carrière de Pierre Novat a débuté. Au commencement, il y a encore Charles Diebold, qui en touche-à-tout de la station, s’essaye en 1947, pastel en main, à la carte en relief pour illustrer le domaine naissant de Solaise. Comme il était presque de règle pour les stations de dimension internationale, Val d’Isère sollicite dans les années 50 le talentueux Berann qui a déjà œuvré du côté des plus grandes destinations de ski comme Gstaad, Cortina d'Ampezzo ou Sankt Anton Am Arlberg. Un mimétisme Alpin pour ces grandes contrées des sports d'hiver. Au-delà du plan « utilitaire » et fonctionnel, les stations, dans les années 50, recherchent à travers les panoramas de domaine skiable une mise en tourisme, un moyen d’aimanter le skieur, de scénographier la montagne, de décrire les potentialités inédites de ces « hauts lieux » que l’on découvre au fil des extensions filaires. Berann remplit pleinement sa tâche. D’un rebord de falaise, le skieur plonge littéralement sur le centre bourg encore clairsemé en suivant une piste rouge imaginaire. Les montagnes harmonieuses et récréatives de Solaise et Bellevarde dominent un second plan escarpé fait de sommets sauvages et suspendus dans l’espace.
Les pinceaux de Pierre Novat entrent en action en 1962. Le plan de Berann n’est plus à jour et Pierre Novat formé aux beaux-arts à Lyon et Avalin d’adoption se charge du nouveau dessin en imposant un style différent reposant sur une géographie plus méthodique et opérationnelle. C’est le début d’un long parcours professionnel fait de commandes à travers les Alpes Françaises et dont les pistes de Val d’Isère ont été le déclencheur artistique. Si Val d’Isère lui fait quelques infidélités en sollicitant d’autres acteurs de la montagne illustrée comme Edi ou Kettler, Pierre Novat reste le fil conducteur des différentes strates évolutives du domaine skiable de la Daille à l'Iseran.
6 Commentaires
Vraiment top...... Merci
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Bravo pour ce magnifique travail d'archive.
Vivement le 15 novembre
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Sinon mon projet est de réaliser une vidéo youtube d'environ 5 minutes qui montre l'évolution des pistes et des remontées de l'espace Killy sur un plan des pistes. Si ça vous intéresse je pourrai envoyer le lien de la vidéo une fois fini.
Merci pour votre réponse en tout cas !
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