La commune de Beaufort a été la première commune de France à signer la charte nationale du développement durable, en 2007. Ce n'est pas un hasard : le territoire, et la station de ski qui s'y trouve, s'inscrivent naturellement et historiquement, dans une forme de développement complémentaire et durable. Nous avons rencontré Frédéric Blanc-Mappaz, directeur de l'office du tourisme, Laurent Fillon, directeur des remontées mécaniques, ainsi que plusieurs acteurs de la station pour qu'ils nous expliquent en quoi le Beaufortain est "écolo".
Le Beaufortain est un petit paradis perdu savoyard, niché entre la Tarentaise et le Val d'Arly, à une vingtaine de minutes de route d'Albertville. Le Doron coule au fond de cette vallée et traverse Beaufort, principale localité du massif à qui il a donné son nom.
Quelques minutes après avoir passé le chef-lieu, on arrive au village-station d'Arêches. La nuance (le terme habituel étant station-village) est importante, Arêches est bien un village devenu une station de ski. Le tourisme y a commencé en été, vers la fin du XIXème siècle, avec l'ouverture du premier hôtel, l'hôtel Viallet (toujours tenu par la même famille !).
Dès les années 1910-1920, on skiait l'hiver dans les champs. La première remontée mécanique date de 1947. Comme dans beaucoup d'endroits, les débuts de l'épopée du ski se faisaient sous la forme de petites installations privées avec des fils-neige, ou bien des téléskis.
La commune a pris les choses en main dans les années 60, en équipant tout d'abord le secteur du Planay (secteur de droite sur le plan des pistes ci-dessous). En 1983, elle fait construire le télésiège du Grand-Mont, au départ du village d'Arêches. Le second secteur, à gauche sur le plan et au sommet de ce télésiège, s'est développé à partir de ce moment.
Le développement de la station, au sens large (c'est-à-dire pas seulement les remontées mécaniques, mais aussi les hébergements, les commerces, etc.), s'est fait petit-à-petit durant les dernières décennies du XXème siècle, et toujours conjointement avec les autres activités de la vallée. Ce développement toujours "maitrisé", et même "lent", pour reprendre les mots de Frédéric, le directeur de l'Office du Tourisme, donne un résultat aujourd'hui vu comme un atout : il n'y a pas eu de constructions à outrance, il n'y pas de grosses barres d'immeubles, le village-station est resté "à taille humaine".
La commune de Beaufort compte aujourd'hui 2100 habitants, répartis sur 15 000 hectares. C'est un endroit où il y a, depuis toujours, de la vie toute l'année. Grâce à ce "développement conjoint", le territoire a su mettre en place puis conserver un équilibre entre les activités que l'on pourrait dire "ancestrales" (agriculture, sylviculture) et les activités touristiques, hivernales comme estivales. Frédéric ajoute :
« Les gens d'ici ont un fort attachement à la terre, et beaucoup de ceux qui travaillent aux remontées mécaniques ou à l’école de ski sont eux-mêmes double-actifs, ou bien, ont de la famille très proche qui est dans l’agriculture. »
C'est en toute logique que la commune de Beaufort fut la première à signer et à mettre en place les actions de la "charte nationale du développement durable", en 2007, avant que l'écologie ne devienne un important sujet de société et un critère de choix de destination des clients.
Laurent Fillon, le directeur des remontées, nous confirme ce que disait précédemment son confrère de l'Office du Tourisme :
« Au niveau de la SEMAB [Société d'Economie Mixte d'Arêches Beaufort], l’exploitant du domaine skiable, nous avons 80% du personnel qui vit dans la commune de Beaufort, et 95% du personnel qui vit dans le Beaufortain. »
La station emploie très peu de "saisonniers" au sens de personnes qui viennent d'ailleurs pour "faire la saison" (mais leurs activités sont bel et bien saisonnières). L'essentiel des employés vivent donc dans le Beaufortain à l'année, et c'est à double-sens : c'est parce que la station embauche l'hiver que beaucoup peuvent avoir un équilibre entre leurs deux activités (nous revenons sur cet équilibre et les activités estivales plus bas).
Sur le terrain, cette complémentarité entre les différentes activités (touristiques, agricoles, sylvicoles) s'exprime par une collaboration intense entre les acteurs. Par exemple :
- Les pistes ne sont pas bulldorizées car ce sont des alpages d'été, ce qui limiterait la qualité du foin et diminuerait la biodiversité,
- Les engazonnements lors d'éventuels travaux sont faits avec du fumier, du lisier ou bien du compost (surtout pas d'engrais, interdits par l'AOP Beaufort) apportés par les agriculteurs,
- Tous les travaux concernant la forêt sont effectués avec les sylviculteurs, qui ont également œuvré à la protection de certains secteurs en plantant des arbres dans des zones avalancheuses.
Mais l'engagement "écolo" de la station ne s'arrête pas là, loin de là. Tout d'abord, un choix a été fait concernant l'approvisionnement en électricité, 100% renouvelable, pour les remontées et la neige de culture. Bien évidemment, les déchets sont collectés, recyclés ou valorisés au maximum. De nombreuses autres mesures éco-responsables sont mises en place par la mairie et le domaine skiable.
Concernant l'empreinte carbone, la station a bien tenu compte de l'étude faite par l'ANMSM en 2010 qui montrait qu'une grande part des émissions des stations de ski (prises au sens large de la destination et pas seulement du domaine skiable) étaient dues au transport des pratiquants.
En conséquences, de nombreuses mesures ont été mises en place par la commune et le domaine :
- Les navettes sont gratuites entre les différents secteurs de la station (depuis Beaufort, entre Arêches et le Planay, etc.),
- Les déplacements à pieds y sont facilités (notamment par des systèmes de consignes),
- Un partenariat a été fait avec la ligne d’autocars qui monte à Arêches depuis Albertville, que ce soit pour emmener des skieurs à la journée ou bien des séjournants qui arrivent par le train ; dans ces cars, on peut acheter son forfait et dans ce cas, on ne paye pas le trajet en bus,
- L'Office du Tourisme a mis en place des packages offrant et organisant le trajet en taxi pour ceux qui viennent en train,
- Enfin, un système de réduction du prix du forfait est disponible pour les personnes qui covoiturent (avec prise du forfait à Beaufort, évitant en plus la queue aux caisses s'il y en a - ce qui reste occasionnel).
Arêches profite d'une situation spécifique pour économiser argent et énergie sur son système de neige de culture, gros d'une soixantaine d'enneigeurs, grâce à deux raisons principales :
- La première est météorologique, le Beaufortain est connu pour être un "trou à froid" (c'est validé scientifiquement ; les habitués de la météo skipass en savent quelque chose) qui permet un enneigement naturel plus conséquent et à plus basse altitude que dans d'autres vallées ou stations de Savoie,
- La seconde est la présence du barrage de Roselend à proximité, dont l'une des conduites forcées passe "sous" le domaine skiable en direction de la Bathie (deux premières photos ci-dessous).
La station a un partenariat avec EDF pour se "servir" sur cette conduite forcée (qui possède un "regard" fortuitement bien placé) afin d'alimenter son système d'enneigement artificiel. L'intérêt est double : pas de construction de retenue collinaire, et surtout une eau qui arrive déjà sous pression (et froide grâce à l'inertie thermique du lac, ce qui est particulièrement utile à l'automne), à environ 30 bars, permettant d'éviter de dépenser de l'énergie en pompage (les enneigeurs ont besoin de froid mais aussi de pression).
Les 30 bars de pression suffisaient pour alimenter le secteur du Planay, mais une petite pompe a tout de même du être installée pour aller un peu plus loin (et haut). Niveau utilisation d'eau, le domaine est "large" comme nous l'explique Laurent Fillon :
« Pour donner un ordre d’idée de l’eau qu’on utilise, le barrage de Roselend c’est 195 millions de mètres cube d’eau. Nous avons une convention pour utiliser 195 000 mètres cubes par saison, soit 1%, et aujourd’hui on en utilise même pas 40 000 : il y a de la marge, d’autant plus qu’en ayant optimisé notre réseau nous n’en utilisons pas plus malgré les extensions. »
Car c'est une petite surface du domaine qui est couverte par la neige de culture, environ 15% (contre 35% de moyenne au niveau national, et bien plus dans les autres pays alpins).
Il est difficile de parler de développement durable, d'écologie et d'avenir sans penser au changement climatique, dont l'impact semble de plus en plus prégnant sur les domaines skiables. Laurent Fillon ne s'en cache pas :
« Si on a équipé, c’est que l’on s’inquiète, comme tout le monde. La limite pluie-neige remonte, on a de plus en plus souvent ces grosses variations de température, la neige un jour, et la pluie jusqu’en haut le lendemain… On le subit, et on prend des dispositions au niveau du réseau de neige de culture, on a aussi fait des travaux de pistes pour faciliter l’enneigement [avoir des pistes skiables avec moins de neige], notamment dans certains talus de bords de piste. »
Comme dans la plupart des vallées et stations, le ski fait vivre la majeure partie de la population (120 000 emplois directs dépendent de l'ouverture des stations en France, d'après Domaines Skiables de France). Dans le Beaufortain aussi, l'équilibre repose sur le bon fonctionnement du domaine skiable qui permet à de nombreuses familles de vivre, et pour l'instant aucune "solution" ne permet de ramener autant d'argent que le ski.
C'est notamment pour ces raisons que les élus ont appuyé la construction d'une nouvelle télécabine qui entrera en service cet hiver. La "télécabine du Bois" part du Planay et relie le plateau du Cuvy, du côté d'Arêches (voir le nouveau plan des pistes en début d'article). En plus de simplifier le retour stations pour les débutants et de centraliser le service des pistes au départ du Planay, cette nouvelle remontée permettra d'établir si besoin un "front de neige supérieur" les hivers où la neige manquera. Un aménagement stratégique.
Une grande partie des employés de la station et plus généralement, de ceux qui travaillent dans le ski ont une autre activité estivale liée à l'économie de la région, essentiellement dans l'agriculture, la sylviculture ou également dans le tourisme.
Cette double activité a été progressivement mise en avant et il est aujourd'hui possible de visiter, été comme hiver, plusieurs fermes, une scierie, et bien sur la Coopérative Laitière du Beaufortain qui produit le fromage réputé, le Beaufort. Des activités qui montrent qu'une partie du "fonctionnement" du territoire, que ce soit pour l'alimentation avec les fermes ou bien pour le bois avec les scieries, se fait en "circuits courts", organisation typique des milieux montagnards.
Le GAEC de l'Argentine emploie quatre personnes, et possède une cinquantaine de vaches. L'activité étant moins forte l'hiver (les vaches sont dans l'étable et non dans les alpages, le foin est rentré), cela permet à une partie des employés d'avoir une autre activité, telle que moniteur de ski, et d'organiser ces visites.
Plusieurs fois par semaine pendant la saison, une vingtaine de touristes découvrent ainsi l'envers du décor de la production laitière. La plus grande partie du lait trait ici (un peu plus de 200 000 litres par an) sert à la production de Beaufort. Le Beaufort d'hiver est un peu moins goûtu (et moins cher) que le Beaufort d'été car les vaches sont nourries au foin. Lorsqu'elles broutent de l'herbe fraîche dans les alpages, cela donne un goût plus fort à leur lait et ainsi, au fromage (nous pourrions faire un article entier sur la production du Beaufort...).
Il y a environ 80 exploitants agricoles dans le Beaufortain, tous de taille modeste : le territoire, par sa géographie, ne permet pas le développement de grosses exploitations. Le domaine skiable lui, a encore quelques beaux jours devant lui (quelques décennies au moins) avant que l'enneigement ne pose réellement problème.
Avec la double activité saisonnière décrite dans cet article, le territoire peut vivre et faire vivre plusieurs centaines de familles, tout en permettant à des milliers de personnes de découvrir les merveilles qu'il a à offrir, été comme hiver.
En continuant d'avoir une vision "territoire", qui inclut toutes ses composantes (commune et Office du Tourisme, remontées mécaniques, détaillants, hôteliers, agriculteurs, sylviculteurs...), et en tenant compte des changements environnementaux et sociétaux en cours et venir afin de s'adapter, le Beaufortain parviendra à maintenir l'équilibre qu'il a mis du temps à développer.
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