Thomas Krief, 19 ans, originaire de l'Alpe d'Huez, n'est officiellement plus l'éternel rookie depuis sa médaille d'argent aux X Games de Tignes en mars dernier. Retour sur l'itinéraire d'un enfant gâté avec en exclu le dernier TKTV.
Thomas Krief, 19 ans, originaire de l'Alpe d'Huez, n'est officiellement plus l'éternel rookie depuis sa médaille d'argent aux X Games de Tignes en mars dernier. Plus jeune freestyler de France depuis trop longtemps, Toto s'est enfin hissé sur le podium. Sa progression ressemble à une belle trajectoire ascendante qu'il nous relate en détail dans cette interview.
Sur la table bancale d'un restaurant, l'interview s'éternise, Toto avoue "je ne pensais pas que j'avais autant de choses à raconter". Le café sèche au fond des tasses et Toto continue de parler, de raconter chaque marche de cet escalier qu'il gravit vers la médaille d'or et les JO. Pas à pas, c'est au récit de la fabrication d'un champion auquel j'assiste : victoires et défaites, déclics et déceptions. L'itinéraire d'un skieur gâté (avec en exclu le dernier TKTV).
-Racontes-nous tes débuts ?
-J'ai commencé avec mes premiers partenaires à 7 ans, malgré mon jeune âge je suis un peu un ancien du ski français. Je voulais faire du freeride, comme mon père, il m'a emmené un peu partout, c'était mon truc. C'était l'époque de Candide, je me suis mis au freestyle, le park, les 36, ça me plaisait bien, ça s'est fait naturellement.
Toto est 3ème du SFR Tour en 2007 (à gauche) Photo N.Schlosser.
-Quand tu étais tout minot, tu étais accompagné de ton père en permanence.
-J'ai eu une relation spéciale avec mon père, je suis fils unique et mes parents se sont séparés, du coup on vivait tous les deux, les meilleurs potes. Il a consacré une bonne partie de sa vie entièrement à moi pour m'aider à réaliser mon rêve, que je puisse skier le plus possible. C'était un coach qui ne me donnait pas de conseils techniques mais il me motivait, me poussait. J'en avais besoin parce que j'étais jeune, sans lui je n'aurais jamais pu faire ça, à 8 ans tu ne peux pas partir aux US seul ! Heureusement qu'il a été là, sinon je me serais découragé. Il était tout le temps là, c'était le cerveau, il gérait tout autour, je skiais et m'éclatais, je n'avais rien d'autre à penser.
Toto avec son père, le couple inséparable des premières années (Photo : Guillaume Lahure).
-Raconte-nous ton premier voyage aux US.
-J'avais 9 ans, j'étais avec le team Dynastar (Rougier, Cattaneo, Martinod), j'étais un peu la mascotte. Le soir, ils regardaient la télé, moi je jouais avec des figurines sur les escaliers de la maison. Ils m'ont aidé à grandir un peu plus vite, ils m'ont forgé tous ces riders français : Espargillière, Baptiste et Loïc Collomb-Patton, Lolo Favre et évidemment Candide... J'ai eu la chance via mon sponsor de le rencontrer très jeune, de passer du temps avec lui, il a beaucoup influencé mon ski. Gigi Couttet aussi, je voulais faire comme lui. Pour moi les US c'était Disney, j'étais comme un dingue ! J'arrivais le soir, le lendemain matin il fallait que je ride, je ridais toute la journée, je n'arrêtais jamais ! J'étais très mauvais perdant, je pleurais ! J'ai toujours été super compétiteur.
-Il y a eu un tournant important quand tu as rejoins Greg Guénet, entraineur de Kevin, Xav et Ben Valentin...
-Vers 14/15 ans, je suis allé chez Ben à la Plagne, je tapais l'incruste dans le club de la Plagne. L'automne qui a suivi, le comité Savoie m'a invité sur des stages pour que je profite de Greg. Je n'avais jamais eu de coach, je m'étais toujours entrainé seul, c'était nouveau pour moi. C'était un gros changement d'accepter que quelqu'un me corrige. Au début j'avais du mal. Quand tu as l'impression de faire les choses bien et qu'on te dit que ce n'est pas terrible... pas facile à accepter !
L'été 2007, je suis parti en Nouvelle-Zélande avec Kevin, Xav et Greg pour un mois d'entrainement. J'étais à fond dans le slopestyle, eux dans le pipe, du coup je les ai suivis dans le pipe, j'en faisais une heure à la fin de la journée, j'ai envoyé mes premiers tricks, ça me plaisait. En fait, si je voulais rester avec Kev et Xav, il fallait que je me mette dans le pipe, d'autant qu'il y avait les premières rumeurs olympiques, ça me donnait un vrai but. Je suis compétiteur, donc les JO représentent quelque chose d'énorme.
Dans le pipe, tu as beau avoir la capacité technique de faire la figure, ça ne vient pas tout de suite, il faut en bouffer, en bouffer. Je n'étais pas très bon. Le pipe est aussi plus dangereux, il faut être plus précis, bien replacer, comprendre comment la courbe fonctionne, comprendre comment pousser... Au début tu te mets un coup sur le coping, un coup sur le plat...
Toto avec Ben, Greg, Kevin et Xav, aux X Games Europe 2012 (Photo : Guillaume Lahure).
-Tu as connu ta première blessure cet automne-là.
-Aux Contamines pour la Coupe du monde. J'étais trop jeune, je devais faire l'ouverture et pendant les entrainements je me pète la clavicule. Je n'ai pas skié pendant deux mois, je n'ai rien fait de la saison. Première blessure, c'était horrible, j'ai pleuré, je me suis dit : "c'est fini". Et puis j'ai repris le ski en toute fin de saison et pendant l'été j'ai pris la décision de me mettre à fond dans le pipe. C'est le moment où mon père décroche, il est moins là, je commence à partir en déplacement tout seul, et Greg l'a en quelle que sorte remplacé.
-Puis ta deuxième...
-Je ne suis pas spécialement bon sur mon premier Dew Tour. Je ne participe qu'à la première étape. Je rentre en France m'entrainer et j'avais prévu de repartir à Park City pour la Coupe du Monde en janvier. 4 jours avant mon vol, je vais shooter avec PVS à Briancon, des rails en street, et je me pète le scaphoïde. Aux urgences on m'annonce que je dois arrêter le ski deux mois. Je rate le voyage avec tout le team aux US alors que ça devait être un moment fort de la saison. Quand le docteur m'annonce cela, je regarde la date sur mon téléphone, 13 janvier, le même jour exactement que ma clavicule l'année précédente. C'est l'année ou Xav gagne les X Games, j'étais avec Ben sur skype, j'étais heureux, je pleurais en pleine nuit ! En réalité, j'étais au fond du trou, dégouté. Quand j'ai pu reskier avec le plâtre, je me suis remis dans le pipe, chez Ben à la Plagne. Trois semaines après ma reprise, je gagne l'étape du SFR Tour à La Plagne, ce qui me redonne confiance.
-Sur le Dew Tour cet hiver-là, tu commences à te faire un nom...
-J'arrive en finale de la première étape, c'était inespéré. Tout mon entrainement commençait à payer. C'est un premier vrai cap que j'ai passé. J'ai pu faire la tournée des trois étapes du Dew Tour. Ca c'est moins bien passé. J'ai terminé dans les 15 premiers. C'était une belle saison, mes premiers pas dans la cour des grands au niveau international. Tout le monde me connait, me félicite, je rentrais dans la tête des gens, j'avais passé un cap, je me battais avec les meilleurs. Je n'étais plus le petit Français inconnu, j'avais un nom.
Dew Tour 2011 (Photo : Guillaume Lahure).
Et puis un soir, je reçois un texto : "prépares toi à une surprise dans les jours à venir". J'ai tout de suite pensé aux X Games, mais je ne voulais pas me faire trop de film. Ca m'a toujours fait rêver, c'était mon objectif depuis que j'ai commencé le ski. Et puis j'ai reçu mon invitation officielle ! J'étais assez relax. Je me suis dit : "je vais faire mon ski". Ben avait déjà passé quelques doubles et je voulais essayer dans le pipe des X. Aux entrainements, j'envoyais des flares, des flares... Greg me dit : "tu ne te sentirais pas d'essayer un double ?" Je remonte à pied... Un premier double en pipe c'est le stress à mort, c'est un vrai cap. J'avais la pression ! Le premier passe parfaitement, je pose bien sur les pieds. J'étais comme un fou ! Je prévois donc de le poser en compétition... Aux qualifs, je m'éclate sur le plat, excès de confiance sur un Flat 3 ! Greg était plié en deux de rire ! Deuxième run, j'assure mais ce n'est pas suffisant pur les finales.
-L'hiver suivant, tu as bossé...
-Les doubles se démocratisaient et je devais travailler. Cet été-là, je vais au water jump, j'en ai bouffé ! Camp airbag à Tignes, trois jours qui ont changé tout le cours de la saison et peut être le cours de ma carrière. Je pensais pas faire de double cork cette saison, pourtant j'essaye sur l'airbag, ça se passe bien. Je me dis que je pourrais peut être le faire en fin de saison sur neige molle. On arrive à Copper Mountain, tout le monde se tirait la bourre avec les doubles cork, alors que seul Kevin passait ce trick la saison d'avant. Il y avait une énorme émulation entre riders, ça devient comme de la compétition, je me mets la pression. Je pose le cerveau, je mets du jus, ça devrait passer ! Il y a Dumont, Dorey et Riddle qui posaient leurs doubles un peu à cul. Je monte en haut du pipe, je droppe, je n'ai pas compris, j'ai posé parfaitement sur les pieds, tout le monde me regardait. "C'était... inattendu", me dit Dumont. C'est l'une des plus belles journées d'entrainement de ma vie. Je marche au feeling, quand je sens un truc, j'y vais. J'étais l'un des cinq skieurs au monde qui posait un double cork !
Qualifs X Games Europs 2011 (Photo : Guillaume Lahure)
A la première étape du Dew Tour, je passe les qualifs facile, je sors mon double cork en demie-finales et termine 3ème. Quelques semaines avant je n'aurais jamais imaginé cela. C'était inespéré ! J'étais passé du top 15 mondial au top 5. Tout ça sur un seul trick ! Au final sur le Dew Tour, je termine 3ème au général et Kevin 1er (Ben 2ème de la dernière étape). On était en confiance. C'était un moment fort (à part pour Xav), on était dans la place. Sur ce, je reçois ma première invitation aux X Games d'Aspen : je rentre dans la boucle des meilleurs. A Aspen, je passe les qualifs, je commençait à être déjà dans la routine du Top 5... mais je n'étais pas encore prêt pour le podium, je ne me projetais pas, je n'imaginais pas être capable d'un podium, je restais dans le top 5.
Arrivent ensuite les X Games Europe. Les qualifs étaient acquises, je ne pouvais pas les rater. Je pose un run et ne score pas très haut. Je ne me qualifie pas à une place près. C'est là que les juges ont commencé à me reprocher de ne pas graber assez bien mes doubles. J'étais dégouté. Je suis allé me coucher. Le lendemain ça allait mieux et 30 minutes avant la finale, alors que j'étais en dédicace, ma famille débarque : "va vite t'habiller, tu fais la finale, un rider s'est blessé". Je pensais à une blague. En courant vers l'hôtel, je n'étais pas très sûr de vouloir y aller, la veille j'avais rejeté la faute sur les juges, peut être que ça a joué, qu'on va croire que j'ai voulu gratter ma place, c'était chamboulé dans ma tête et puis je ne m'étais pas entrainé. J'appelle Greg, laisse un message : "je ne viens pas". Xav attendait en bas du pipe et pouvait prendre ma place. Greg me rappelle, il était en bas du pipe : "écoute !". La foule hurlait : "Toto, Toto !". J'ai dit : "j'arrive", j'étais pieds nus dans mes chaussures de ski, je suis arrivé tout débraillé en bas du pipe, je fais un run tranquille pour m'échauffer, ça hurlait dans tous les sens. Greg me dit : "grabe tes tricks, si ça passe sans grab, ça ne servira à rien". Je score mon meilleur score au deuxième, je me mets une quiche au troisième run. Belle expérience, je m'en souviendrais pendant longtemps.
-Et on en arrive à l'hiver dernier couronnée par ta médaille d'argent aux X Games Europe...
-Mes objectifs étaient montés d'un cran car j'avais explosé ceux de l'hiver précédent. J'étais en confiance. Je m'entraine à Copper Mountain à l'automne, je n'arrête pas. Au Grand Prix, je fais une daube monumentale, je ne vais pas en finales et Greg avec son ironie me dit : "bien les gars, 50ème au Grand prix, c'est pas mal pour débuter la saison". Au Dew tour, je voulais un run avec trois doubles. Je pose tout bien mais à cul sur le dernier double, c'est pas passé loin... En tout cas ça annonçait du bon pour la suite. Au Dew Tour à Killington, les conditions sont gelées. Je me fracasse sur le coping. Encore une finale ratée. Déjà trois compétitions de grillées… "C'est bien Toto !", dit Greg en rigolant.
J'arrive aux X Games d'Aspen, j'avais mal partout. On étaient crevés tous mais on ne s'en rendait pas compte. Aux qualifs, toujours à cause de mon problème de grab, je me fais sabrer. C'est un bon coup au moral que je prends. Je décide d'arrêter ce double mac twist et rester sur un beau 9 et un double flat. Je tombe en bas. J'étais dégouté, ma famille était venu de France, j'avais l'impression de les décevoir, j'étais mal. Arrive la finale et Kevin rate le podium. Pour moi la saison était finie et pourtant Greg m'a redonné la motivation : "trouvons ce qui ne va pas, ce n'est pas trop tard". Plutôt qu'enchainer des doubles techniques, on a enlevé un double et travaillé les grabs, pour skier plus fluide. Je pensais qu'avec un double en moins, je n'allais pas scorer. Début février, je suis un nouveau skieur dans une nouvelle saison. Kevin se fait un genou en France au même moment. Il ne sera pas aux X Games Europe pour nous donner son énergie... Là je commence à recevoir des coups de fil de journalistes. J'avais pas calculé le truc : "comment tu vis la chose, maintenant qu'il n'y a plus Kevin, tu es le favori des Français, tout le monde est derrière toi". Je réalise !
A Tignes, j'allais m'entrainer tous les jours. Au bout de 2 runs j'avais deux doubles que je posais tout le temps. Dans ma tête j'étais toujours top 5, je ne croyais qu'à moitié au podium. Arrive les qualifs, je n'ai pas mangé de la journée. Run nickel, 2ème derrière Wise. Pour tout le monde, c'était acquis que j'allais faire un podium… sauf pour moi. En finales, j'étais super bien. Je ne sais pas pourquoi. J'avais l'impression que rien ne pouvais m'arriver : mon ski était au top. Premier run posé, il n'est pas transcendant, je score dans les 88. Kevin, Xav, Greg, Ben me prennent entre quatre yeux : "là c'est plus pareil, tu oublies le top 5, tu droppes, tu prends du speed et tu fais le run le plus gros que tu aies jamais fait. Toto ce soir, c'est ta finale. Ton meilleur ski, c'est maintenant. Etonne nous et étonne toi toi-même !" Au départ de ce run, je suis un autre homme...
-Le prochain objectif est de gagner les X Games d'Aspen et de faire une médaille au JO ?
-Non. Pas une médaille aux JO, les gagner ! Certains gagnent des compétitions par ci par là et d'autres sont au dessus de tout le monde et marquent le milieu du ski. Comme Kevin qui a gagné 4 X Games d'affilée, il était intouchable pendant deux ans. Mon objectif est de gagner mais aussi de gagner l'histoire du ski, de faire des choses que personne n'aura jamais faites. J'ai envie d'être le premier champion olympique. Au delà de la victoire, marquer le sport. J'aimerai qu'on dise de moi : Toto est le premier champion olympique, la première médaille d'or de half pipe.
-Tes potes aussi veulent gagner ?
-On veut tous la même chose avec Kev, Xav ou Ben ! Quand je vois un Torin, je me dis : "je vais le défoncer". Même si je m'entends bien avec lui. Avec un Kevin ou Xav, c'est une autre approche : on va skier à notre meilleur niveau et on verra bien. Pas de méfiance, de jalousie, la relation ne pourrait pas être plus saine. C'est en partie grâce à Greg, il est le ciment du groupe, il ramène tout le monde ensemble. Il nous connait tellement bien, il a pris la place de mon père dans le ski, tu ne peux pas lui mentir, il sait ce qu'il y a dans nos têtes, il sait dans quelles conditions on performe, il nous ramène vite dans le droit chemin.
-Tu as commencé la compétition très jeunes, tu n'en as pas marre ?
-J'ai toujours eu des objectifs nouveaux, : meilleur Français, meilleur mondial, du coup ça garde la motivation intacte. Je n'ai jamais eu la tentation de faire autre chose. Quand je pense à la vie que j'ai, même si parfois je me mets des boites, je ne réussis pas, quand plein d'années d'entrainement aboutissent à des figures, des résultats, ça donne des sensations indescriptibles.
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