Sportif hors-norme, Seb revient sur dix ans de ski freeride, pente raide, base jump, ski-base, wing suit, expéditions...
C’est au détour d’une journée à La Clusaz en 2002 que j’apprends l’existence de ce funambule. On me montre une face terrifiante, traversée de vires : un certain Sebastien Collomb-Gros est venu y poser sa signature, une trace dont le vide ne fait pas flancher l'élégance. Seb Collomb-Gros est un prototype à part de skieur complet. Nourrit à la bonne neige bio des Aravis, à La Clusaz, il a toujours cherché à prendre l'air : base-jump, ski base, chute libre, wing suit, hélicoptère… Avec un cousin pilote de Rafale, et un autre qui s'appelle Candide Thovex, il reste dans les gènes de la famille.
En jetant un oeil sur son planning des huit dernières années, on mesure le talent et la versatilité du bonhomme :
1999 : première compétition de ski freeride.
2003 : début du base jump.
2004 : découverte de la Norvège, premier saut en wing suit et genou cassé à Whistler sur une étape du World Tour Freeride.
2005 : premier saut en ski base.
2006 : blessure en freeride, record du monde en ski base dans les Dolomites et fin du ski base.
2007 : Expédition wingsuit et ski en terre de Baffin.
2008/2009 : brevet de pilote d'hélico.
2010 : expédition wingsuit et ski en Antarctique dans le massif de l'Holtanna.
Et pendant tout ce temps-là, il va se changer les idées en ski de pente raide, avec une tripotée d'ouvertures à son actif. A son retour du continent glacé, j'ai pris le temps de fouiner avec lui dans ses archives photos et surtout de l'écouter. Assis à la table de la cuisine, dictaphone en bandoulière, mille questions viennent à l'esprit pour retracer le parcours de ce skieur dont la sous-médiatisation est inversement proportionnelle à son talent. L'expédition en Antarctique marque un aboutissement pour ce "sky-trotter"… qui s'est enfin trouvé un métier sérieux : pilote d'hélicoptère.
-Racontes-nous l'Antarctique, d'où tu viens de rentrer ?
-L'Antarctique, c'est une esthétique hors du commun, un beau challenge, de gros budgets à trouver, il faut de l'expérience pour monter ce genre de projet, jouer des coudes. Peu de gens sur cette planète ont eu le privilège d'aller là bas. Ce sont les photos de René Robert dans le magazine Fluid il y a des années qui m'ont donné envie : il fallait que j'aille sauter ! D'ailleurs nous avons signé les premiers sauts du continent austral qui est deux fois grand comme le Canada. C'est un aboutissement pour moi, surtout par la complexité du dossier. Techniquement les sauts sont faciles mais l'accès et les moyens sont compliqués. Heureusement qu'on avait Sam Beaugey et Manu Pellissier pour équiper les voies, 600 mètres de mur, sinon on ne sautait pas. Et puis la météo est compliquée, il y a des vents de 130 km/h. La température atteignait -23° dans la tente (photo à droite), -35°C dehors, et c'était l'été…
-Et la neige ?
-La neige ne se transforme jamais, elle est toujours poudreuse, parfois plaquée par le vent.
-Tu t'es ennuyé ?
-Deux mois à quatre personnes, c'est long. On s'est parfois tapés dessus, pas souvent mais fort ! J'ai lu Anna Karénine de Tolstoï, 1000 pages, je m'étais fait le pari, j'ai adoré.
-Ton expédition précédente, c'était en Terre de Baffin…
-Baffin, c'est une concentration de big walls, un mur de 1000 m tous les 4/5 km. On vit sur la banquise éphémère. C'était ma première grosse expédition.
-Tu as passé ta vie en l'air ?
-Oui (rires), aujourd'hui avant de venir, j'étais presque toute la journée dans un arbre pendu à un baudrier (Seb est élagueur/soigneur d'arbres, de son premier métier, ndlr). J'ai toujours aimé être en l'air, le ski de pente raide est à mi-chemin entre le ski et le vol. Pour le base jump, c'est passé par des rencontres… jusqu'à mon premier saut à Magland le 1er août 2003. Peur ? Oui, j'ai eu peur. Si tu n'as pas peur, c'est que tu es fou. Mais c'est vraiment le ski base qui était la finalité du base jump dans mon esprit, la raison pour laquelle j'ai commencé. En ski base, on était les premiers des Mohicans.
-L'aboutissement a été le record du monde dans les Dolomites (cf portfolio) ? Juste après, tu avais envoyé un sms qui disait : "le ski base vient de changer. Je viens de faire 8 secondes de chute en position de saut. Grand moment et super sensation. Place aux jeunes maintenant".
-C'était un vol depuis une falaise de 450 mètres dans les Dolomites, soit environ 250 mètres de chute avant d’ouvrir ma voile. Position stable de glisse sur l'air, comme un sauteur sur tremplin, et la tenir plusieurs secondes sur une falaise des Dolomites. La vire sur laquelle nous étions faisait environ 150 mètres de large, mais il n’y avait pas beaucoup de neige alors je n’ai pu prendre que 80 mètres d’élan. J’ai pris le maximum de vitesse parce que plus tu vas vite et plus tu t’éloignes de la falaise. Quand j’ai décollé, j’ai d’abord eu du mal à m’équilibrer et j’ai pas mal brassé l’air avec mes bras. Et puis au bout de trois secondes, j’ai senti la portance des skis et là ce n’était plus que du plaisir. Le seul risque, c’est de passer cul par-dessus tête car là tu fais l’hélico. Après ce record du monde, j'ai posé et j'ai dit à Karina (Hollekim, ndlr) c'est "fini le ski base".
-Tu as arrêté le ski base ?
-Oui, j'ai vite arrêté le ski base avant qu'il ne m'arrête. C'est très dangereux. Je n'ai fait que deux saison et je n'avais pas envie de mourir bêtement. Comme partout, il faut savoir s'arrêter. C'est bien beau d'être fort, de sauter et à 35 ans de se retourner : pas de femme, pas d'enfants, pas de maison. La vie d'artiste, de poète des cimes, ça va bien cinq minutes (rires).
-En revanche, tu as beaucoup sauté en wingsuit, notamment en Norvège, ton "pays d'adoption" comme tu dis. Il y a du potentiel d'évolution du côté de la wingsuit ?
-Oui, les wingsuits vont planer de mieux en mieux. Avant on avait besoin de 400 m de falaise, aujourd'hui plus que 150. Il faut aujourd'hui 3 ou 4 secondes pour que les caissons se mettent en pression, à l'avenir ce sera plus rapide et moins physique. Des spots incroyables vont être ouverts : Chine, Himalaya, Kazakhstan avec un potentiel de 3 à 4000 m de chute. Le record est de 2500 m sur l'Eiger.
-Parle-nous du ski et des compétitions de freeride ?
-J'ai participé à des compétitions de 1999 à 2004. Je faisais dans les dix premiers sans jamais gagner, je n'étais pas fait pour gagner, je n'aimais pas faire le gladiateur à 200 km/h dans les pentes, où la moindre erreur te coûte un genou. Mon accident à Whistler en 2004 m'a refroidi et j'ai arrêté la compétition après : fracture ouverte de la rotule avec arrachement des quadriceps. J'ai fait un saut de 18 m avec atterrissage dans les pierres. En 2006, à Atlin en Alaska, j'ai été rattrapé par le slough et je me suis fait les croisés. Je pense qu'en freeride on est arrivés aux limites humaines : 20 mètres en backflip, ensuite c'est la roulette russe.
-Tu mentionnais, pour l'Antarctique, la difficulté à trouver des sponsors.
-Fin 90, trouver des sponsors paraissait assez simple, tu demandais une paire de skis et on te disait "tu ne veux pas de l'argent avec ?". Ma première veste Henri Duvillard, on me l'a donné avec un chèque de 10 000 francs. C'est devenu de plus en plus dur.
-Aujourd'hui tu es devenu pilote d'hélico professionnel.
-L'hélico, c'est encore un truc qui vole ! Ca fait quinze ans que je veux me mettre aux commandes, à force de faire des démos de base jump dans ces machines. J'ai étudié comment trouver des solutions pour que ça ne me coûte pas trop cher…
-La pente raide, tu n'as jamais arrêté ?
-Chaque hiver, la pente raide est un rituel. J'en ouvre régulièrement : une idée me passe à travers la tête, les copains qui appellent et c'est parti. On a ouvert, avec Jeremy Janody, "La Roale de porc" l'année dernière, elle domine la combe de Bellachat. Je la regardais depuis quatre ans, il n'y avait jamais assez de neige.
-Dans notre première interview en 2002, tu avais terminé avec ces mots qui prennent toute leur force huit ans plus tard : la mort, la “faucheuse”, tu l'avais “déjà senti me frôler les omoplates. J’arrêterai tout si je ne trouvais pas la raison de mon erreur, si je n’étais vivant que par chance”. La peur, comment gères-tu ?
-Il ne faut jamais banaliser sinon tu cartonnes. J'ai eu la chance d'avoir le temps pour tester mes limites. Il y a une différence entre le base jump et la neige. Le base est plus cartésien que le ski. Tu jettes une pierre. Si elle tape à 7 secondes c'est facile. En dessous, il ne faudra pas faiblir. Si elle tape à 5, là il faut bien réfléchir. Le base peut être rapidement fatal. En revanche, la neige est sournoise, traitre. Tu ne sais jamais ce qui va arriver. Alors je cherche les choses qui rassurent : l'état de la neige, pas de plaque, la pente, un échappatoire par là, l'affûtage des carres sur neige dure. Je me concentre sur les points positifs. S'il y a trop de points négatifs, je fais demi tour. Quand tu as vu ta famille pleurer en te suppliant d'arrêter, vécu la misère de potes enterrés, tu y penses à chaque saut. Tout le temps. Trop. Ca ne m'empêche pas de continuer mais me donne goût à arrêter aussi. Maintenant que je peux voler en hélico, je ressens moins le besoin de sauter qu'avant.
-Ta prochaine étape ?
-Arrêter complètement le base. Puis piloter un Rafale et dire merci à tous ceux avec qui j'ai voyagé. Les sports t'amènent à rencontrer de bonnes personnes, passer de bons moments. Et puis au final, tout ça c'est pas grand chose vu de la lune !
14 Commentaires
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Talent grand => Sous médiatisation faible => médiatisation forte ???
J'pense y'a un petit soucis dans votre article skipass
Super beau reportage par contre !
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C'est beau!!!
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