Les roues de l'(in)fortune

C'est l'histoire d'un petit projet original imaginé par 2 potes au cœur du Massif Vosgien. Une aventure sans neige de cinéma, sans soleil, sans virage carte postale et même sans voiture ! Pas de superbes images de drone supersonique mais juste du plaisir et une furieuse envie de montrer qu'armé de bonne volonté et d'une petite touche d'humour ( et aussi d'un vélo ) on peut se faire plaisir même avec des conditions pourries dans un "petit" massif comme les Vosges… 

Bonne lecture !

On dirait une mauvaise blague… C'est le récit de 2 potes qui décident d'aller skier le Grand-Ballon, point culminant du Massif Vosgien, sans oxygène et en partant depuis chez eux en vélo. Pas de voiture, pas d'essence, pas de bilan carbone mais deux bicyclettes chargées comme des mules et animées à la force des guiboles. J'imagine déjà certains d'entre vous lever les yeux au ciel, en se demandant quelle mouche a bien piquer ces deux jeunes au point de leur faire risquer une crise hémorroïdaire et ce, uniquement pour profiter d'une neige de printemps sur moins de 400m de dénivelé!

Pour être totalement honnête, je me suis posé la même question et je vais vous exposer l'ensemble des facteurs qui nous ont poussés à nous mettre le sacré coup de pied au cul, nécessaire à la réalisation de cette mission particulière... 

Nous sommes début Février 2021, le 5 plus précisément… Retour un mois en arrière, en Janvier 2021. Contre toute attente l'année a extrêmement bien commencée puisque la neige qui est tombée en abondance depuis Noël atteint désormais le mètre cinquante sur les crêtes et nous permet de skier au moins 3 jours par semaine. Rajoutez donc à cela un conflit de masse d'air sorti de nulle part qui occasionne une tempête de neige d'ampleur décennale qui dépose 30cm de neige jusqu'en plaine et vous obtenez des conditions grandioses et rares pour notre massif… On chausse les skis à 600m, on monte en ski de rando jusqu'à 1400m ce qui nous offre la possibilité de descendre 800m de dénivelé d'une traite ce qui par chez nous n'arrive pas tous les ans ! Bref on a passé plus d'un mois à enchainer des sorties à 2000m de dénivelé la journée tout en skiant de la neige de qualité supérieure.  

La douche froide ( ou plutôt chaude en l'occurrence ) :

Mais tout cela ne devait pas durer, et notre enthousiasme (ou notre naïveté, c'est une question de point de vue) nous laissant envisager un mois de février tout aussi épique, a rapidement été douché ( … et c'est le cas de la dire).

Les redoux dans les Vosges on connait. Il y en a tous les hivers et la saison hivernale vosgienne est même marquée (surtout depuis quelques années! ) par une succession de périodes froides et de redoux temporaires. Mais là depuis le 27 janvier il pleut… Il pleut et il vente. Et 10 jours du combo {pluie + vent + iso0 à 2500m} ça fait des dégâts. Je vous passe les détails, mais à part la sous-couche glacée datant de début décembre il ne reste plus grand chose et les sapins croulants sous la poudreuse ne sont plus qu'un lointain souvenir…

Pour autant pas question de se laisser abattre, nous sommes en Alsace et la Suisse nous tend les bras (surtout les stations suisses, les helvètes moins…). Sont ainsi planifiés à la hâte 3 excursions dans le pays du chocolat et du café à 5€ .

Le second drame :  

Vendredi 29 janvier 2021 : allocution du premier ministre.

En moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire, nos projets à base de remontés mécaniques, pistes damées et Toblerone sont balayés par l'accent chantant de Jean Castex ( prononcer "CASSE-TETE" ).

Eh oui les conditions idylliques  de Janvier nous ont presque fait oublier l'étrange peste Sino-mediatico-diabolique (aka Covid-19) qui vient encore de nous mettre des bâtons dans les roues ou plutôt des cailloux dans les semelles de ski.

Plus de neige, plus de Suisse, ne reste plus que les CD de Stéphane Eicher ( normal il est Suisse ) et les vidéos de Jérémie Heitz pour ronger notre frein.

Nous revoilà donc le 5 février sous une pluie battante et une température extérieure de 12 degrés. Ajoutez à cette météo et à votre esprit dépité un cours magistral sur les matrices d'endomorphismes de 4 heures… La dépression me guette, il fallait s'y attendre , et je suis conscient que la prochaine étape c'est la dégustation de Nutella à la cuillère, affalé dans mon canapé en pleurant devant les dernières créations YouTube des génies du ski Freeride.

Là c'est le moment où vous vous demandez ce que vient foutre Lénine entre l'huile de palme et l'algèbre…

Entre 2 matrices orthogonales de dimensions 3, je me dis que le Nutella c'est bon pour le goût mais moins pour les artères et bien que il ne reste plus que quelques névés sur les pentes Vosgiennes, il y a bien moyen de faire quelque chose et de pas laisser sa part aux chiens !

Décision est donc prise d'aller tenter quelque chose sur les contreforts du Grand-Ballon, en partant de la maison à 400m d'altitude en vélo en transportant tout le matos dessus. Par soucis d'honnêteté, je dois bien admettre que cette approche en vélo ne m'amuse pas particulièrement mais après le temps qu'on s'est tapé pendant 2 semaines, j'avais peur que lâcher quelques grammes de CO2 en plus dans l'atmosphère n'irrite encore un peu plus le Dieu de la neige.

La mission Ski/Bike aura lieu le lendemain, samedi 6 février 2021 avec un départ prévu pour 13h30, après la traditionnelle, celle qu'on ne présente plus : dissertation de Français du samedi matin!

Quant tu proposes une sortie ski de rando par 10 degrés pour aller skier de la neige de mai (rde) , ça te permet de faire le tri entre les vrais passionnés et ceux qui ont acheté leurs skis de rando seulement par impatience d'attendre une hypothétique ouverture des remontés mécaniques.

Alors quand en plus tu expliques que tu envisages de faire l'approche à vélo, soit une heure et demie de torture pour les fessiers, alors là en général c'est le moment où la plupart des gens à qui tu proposes la sortie commencent à prétexter des diners inopinés chez la belle-mère ou un "empêchement professionnel de dernière minute".

Heureusement il y a le STP :

Personnellement j'ai un avantage. Je possède un STP ( un Solide Toujours Partant ). Mon STP s'appelle Arthur, même poids, même âge, pas la même condition physique. Il fait partie de ces gens étranges (fous?) qui font du ski de rando pour la montée, afin je cite de "s'entrainer pour la saison de trail" ça suffit pour que vous compreniez qu'il vient pas pour faire semblant. Beaucoup le qualifie de "cafiste" mais mon STP vaut mieux que ça. Visuellement j'en conviens, la ressemblance est frappante mais la différence notable est que à la fin d'une sortie il ne dira jamais non à une bonne bière tandis qu'un cafiste préféra se jeter sur une croziflette sucrée-salée sans gluten agrémentée d'une sauce relevée au lait d'amande.

Bref avant d'être un STP, Arthur c'est avant tout un super pote toujours partant pour aller faire les cons en montagne (même surtout quand les conditions sont dégueulasses). 

Le matos pour la mission ( 2 poids, 2 mesures ) :

Niveau matos rien de très original : Arthur fait du Arthur avec un ensemble skis Fischer Transalp 75mm + salomon s-lab + Plum guide 12 et personnellement j'opte pour un ensemble Dynastar Legend x106 + salomon Guardian + la sportiva spectre ( autrement dit le kit le plus lourd possible qui me permettra de justifier les 15 minutes que Arthur va me mettre à la montée ) .

Pour les vélos je chevauche mon fidèle Trek tandis que mon acolyte a jeté son dévolu sur un vélo de route (forcément!) .

Retour à Lénine (enfin!) qui affirmait qu'il y a un chemin là où il y a de la volonté, dans notre cas et au vu du projet qu'on se lance, il va falloir de la volonté là où il y aura des chemins…   

6h40 : Réveil/douche/thé/brioche (celle-là je vais la regretter)

7h10 : départ pour le devoirs de Français 

12h00 : fin du devoirs supplice de Français

12h30 : Arrivée à la maison. Je me demande si on fait bien d'y aller pour la première fois de la journée (c'est pas bon signe)

13h00 : Préparation du matos et armement du vélo

13h30 : Quelques jurons et un tutos de Tony Lamiche plus tard le vélo est finalement prêt au départ grâce à l'ingénieuse technique suggérée par Arthur que nous appelons la technique du "fous-y tout d'ssus ça va passer!"

Je me demande quand même si on fait bien d'y aller pour la seconde fois (c'est vraiment pas bon signe)

Je remarque quand même dans les yeux d'Arthur qu'il est lui aussi conscient qu'il va jouer sur une après-midi sa capacité à s'asseoir sans douleur durant la semaine à venir...

13h40 : départ de la maison style "départ pour le front en aout 1914 " (remarque il devait faire sensiblement la même température…).

13h45 : Première pause (non je rigole)

14h30 : On passe l'altitude de 800m sans trop de difficultés sous une météo toujours aussi variable et un iso 0 sur la lune

15h00 : Arrivée à 1000m en transitant successivement par le Kohlschlag et le Firstacker.

Note aux Français de l'intérieur : on est dans la partie Alsacienne du Massif Vosgien du coup  Kohlschlag et Firstacker ce sont des noms de cols pas de divisions blindées de la Wehrmacht…

15h05 : Arthur repère un cycliste dans sa ligne de mire. Aie! Pas bon du tout ça. Il accélère. Je serre les dents. Ca sert à rien.

Me voilà désormais lâché, dans le grupetto mais comme on est que 2 on peut aussi bien dire que je suis poursuivant ( psychologiquement c'est mieux ) 

15h10 : Arrivée d'Arthur au bas des pistes du Grand-Ballon

15h20 : Arrivée de moi. Tout du moins ce qu'il en reste… 

15h30 : départ en ski de rando en remontant les pistes de la station du Grand-Ballon. Le jeu consiste à éviter les tâches d'herbes et les vacanciers Parisiens qui armés de leurs luges semblent prendre un malin plaisir à viser tes tibias.

J'espère que vous prendrez autant de plaisir à lire notre petite aventure qu'on en a pris pour la réaliser!

On traverse tous un hiver très difficile et à travers nous les saisonniers et acteurs de la montagne encore plus, mais on a essayé de pas nous laisser abattre et de profiter à fond de ce que nous offre la montagne. Et c'est pas demain qu'un redoux, le sirocco ou même une montée préliminaire en vélo de 1000m de dénivelé m'empêchera de passer du bon temps sur les pentes Vosgiennes! 

Je vous souhaite à tous de bien profiter de votre hiver, de prendre beaucoup de plaisir en montagne et j'aurais aussi pu vous suggérer de prendre votre vélo plutôt que votre voiture pour aller skier quand c'est possible afin de sauver les bébés pangolins mais je laisse le soin à ceux d'Europe Ecologie Les Verts de vous faire la leçon ils sont meilleurs que moi pour ça ! 

A tantôt ! 

Et vive le Massif Vosgien

PS: Pour ceux que ça intéresse, vous pouvez suivre toutes nos aventures dans les Vosges et ailleurs sur ma page Instagram : https://www.instagram.com/freeride__vosges/