5 juin 2023. 2 jours de vacances inespérés, un créneau sans vent et mon frère disponible une journée : un bon alignement de planètes qui n'arrive hélas que trop rarement. On se concerte alors pour essayer de rentabiliser ce créneau idéal et nos idées convergent vers la voie Mayer Dibona en face NW du Dôme des Ecrins : 1000m de face raide et exposée, composée d'un long couloir de neige suivi d'un peu d'escalade et d'une belle arrête finale.
A la journée, ça représente 2300m de dénivelé, mais on se dit qu'on a de la marge car la cotation globale est D+.
Notre stratégie était simple : partir léger pour sortir le plus vite et rester le moins longtemps exposé. On fait les sacs la veille en emportant le strict nécessaire en eau, nourriture, affaires chaudes, et matériel technique (par exemple, on avait pris une paire de nomics pour celui qui grimpait en tête, et une paire de gully pour le second, crampons : ivris hybrid, les voile run&fly de 1kg).
Pour être léger, je fais l'erreur de partir en chaussures semi-grosses d'été en me disant qu'on est déjà début juin et que c'est presque l'été... J'y reviendrai
21h30 : les enfants de clément sont couchés, les sacs sont prêts, il nous reste plus que 30min de sommeil avant de partir de Grenoble direction la Bérarde.
22h : le réveil sonne bien trop tôt après ne pas avoir fermé l'oeil de la "nuit", c'est le prix à payer de vouloir faire un aller retour au Dôme à la journée depuis Grenoble.
23h : On dépasse le Bourg d'Oisans, et mon bon vieux kangoo commence à jouer d'une étrange musique à chaque virage : glong, gling, glang
23h30 : glong, glong, glong, pourvu que ça tienne jusqu'à la Bérarde
23h55 : Le panneau La Bérarde enfin !
23h56 : dans un ultime effort, la roue avant du kangoo sort de sa rotule et se met à 90° par rapport à la route. La voiture s'immobilise en plein milieu de la sinueuse route menant au parking. La transmission est HS.
Branle bas de combat, on sort le cric pour remettre la roue dans l'axe, et on se débrouille pour "garer" la voiture sur un côté de la route. Vite vite, on a une grosse course qui nous attend.
Après ces mésaventures, on se lance dans l’approche, ça déroule bien jusqu’à la moraine du glacier, mais dans la nuit noire c’est glauque. On prend pied sur la neige quand la lune apparait à travers les nuages, mais le regel n'est pas optimal avant la rimaye.
Au bout de quelques temps à brasser dans la neige, je sens déjà l'eau qui commence à mouiller mes orteils. Les chaussures été, c'est pas très imperméable en même temps.
Dès l'attaque, on est dans l’ambiance de suite, grosse goulotte de 2m de profondeur pour accéder à la face. Pas beaucoup de neige, beaucoup de glace, les mollets chauffent. Un regard vers Clément, quelques mots échangés « ça fait peur » et on continue notre longue remontée.
On n'avance pas vite et la fatigue se fait sentir, on a envie de s'endormir sur les piolets pour une faire une micro-sieste mais on lutte du mieux qu'on peut : s'endormir serait probablement synonyme de toboggan géant.
Le froid est saisissant, je n'en mène pas large avec ma petite doudoune été au dessus de mon t-shirt. Les gourdes commencent même à geler.
La retraite est impossible, on a une pensée particulière aux ouvreurs qui se sont engagés dans cette face sans savoir ce qu'ils trouveraient la haut, et sans aucun secours héliporté possible. Chapeau bas Messieurs.
L'arrivée au pied de la tour jaune, qui marque le début des difficultés techniques, est un soulagement.
Après 4 heures interminables pour faire les 700m de couloir, on est au pied de la longueur de glace.
Un peu de bricolage au relai, on tire une rapide longueur, c’est pas très dur, mais c’est rassurant d’être encordé. Je fais des micros siestes en assurant, malgré les pieds mouillés gelés et le froid : j'aurais du prendre mes grosses d'hiver.
Encore un peu de cheminement et on se retrouve au pied du crux : une longueur cheminée avec un départ vertical en 5c. C'est tout recouvert de glace donc ça donne une jolie longueur de mixte, et un relai aérien sur le fil de l'arête. C'est la plus belle partie de la course mais vu notre état de fatigue, on n'en profite pas beaucoup.
La progression sur l'arrête est ralentie par la neige abondante, qui rend la protection difficile car il faut déneiger à chaque pose de protection. On progresse en corde tendue, et je fais part à Clément de mes problèmes de pieds « il faut qu'on sorte vite, je commence à ne plus sentir mes orteils »
Après un cheminement difficilement protégeable, on se retrouve dans les pentes de neige terminales, bien enneigées. Un dernier effort et on sort enfin au sommet, 12h30 après avoir quitté le parking.
Il est assez tard (13h) et le soleil a bien chauffé donc on se dit que ça va secouer en l'air avec tout ces thermiques (cumulus un peu partout). Mais la décision est vite prise entre une interminable descente à pied ou un beau vol potentiellement turbulent.
Le vent est bien pour décoller (15km/h en rafales), on étale le voiles, je gonfle en premier, 3-4 pas et je suis en l'air.
A notre surprise, le vol est super calme, pas une rafale de travers. On profite alors de ce vol incroyable en survolant la face SE pour la face NE qui nous permet de revoir toute la voie dans laquelle on a bien souffert.
L'arrivée à la Bérarde se fait sans encombre, et on pose dans un champ à 100m du parking.
Au final, c'était sans doute un début de gelure/engelure, mais tout est revenu dans l'ordre après 2 semaines.
On a probablement un peu sous-estimé la course au vu de la cotation et de la bonne météo. L'abondance de neige aura permis de réduire les risques de chute de pierres, au dépens de notre vitesse de progression.
La prochaine fois on y réfléchira à 2 fois avant de se lancer dans une course pareil sans avoir dormi !
7 Commentaires
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Et belle ambiance avec les photos ..
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