Il n'existe pas d'espèce qui n'ait sa raison d'être écologique, et dont la disparition n'entraîne à court ou moyen terme un préjudice inestimable.
L'ours qui cache la forêt
par Nicolas HULOT
QUOTIDIEN : vendredi 12 mai 2006
Nicolas Hulot président de la fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l'homme.
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Ce n'est pas un écolo romantique et nostalgique qui s'adresse ici aux militants antiours, pas plus qu'un urbain inconscient de vos difficultés. J'ai eu de multiples occasions de croiser des ours sauvages sous toutes les latitudes et j'entends bien qu'il faut se garder de l'image du gentil nounours comme il faut rationaliser aussi les risques d'agressions et de prédation. Je voudrais vous soumettre simplement un argument supplémentaire, inaudible dans ce bruit de fond médiatique et passionnel. Je vous le livre, car vous avez sans doute en main le destin des ours des Pyrénées, les pouvoirs publics céderont peut-être si votre détermination perdure.
A ce titre, j'aimerai que vous vous prononciez aussi et surtout au vu de l'«ardoise» écologique que le XXe siècle a fait payer à la planète. Accordez-moi d'être le témoin privilégié et atterré de l'immense gâchis environnemental de la planète. Permettez-moi de vous rappeler que le tribut payé par les animaux et les végétaux à cause de l'empreinte humaine est sans précédent. Nous sommes au seuil de la sixième extinction c'est un fait établi sauf à réviser radicalement et sans tarder nos modes de vie. Dans cet immense combat de l'érosion de la biodiversité, les pays du Sud sont aux premières loges. Comment, dès lors, leur demander dans les commissions internationales de prendre en charge le sort des grands singes, des tigres, des éléphants, etc., tous au bord de l'extinction, dont la préservation est autrement plus complexe que celle de nos ours, si nous, pays du Nord, nous démissionnons de cette problématique? Quelle légitimité aurons-nous dorénavant pour siéger dans ces instances ? Comment interpréter là-bas notre choix, autrement que comme un signe catastrophique de renoncement ? L'homme, dernier venu sur cette terre, s'arroge dorénavant tous les droits sans le moindre devoir à l'égard du vivant et du sauvage. L'ours en France est un symbole fort, le dernier rempart du sauvage à l'assaut de nos convoitises matérielles, industrielles, urbaines. Les bergers des Pyrénées ont entre les mains plus que le sort d'un simple animal ; vous détenez le sens d'un message à résonance planétaire. A vous d'en choisir les mots.
On peut très bien décider que nos contingences et nos contraintes ne nous permettent plus de côtoyer le sauvage et que nos priorités rendent incompatibles une cohabitation avec tout un pan de la nature. En ce cas, ne le faisons pas en catimini et allons au bout de notre logique. Disons haut et fort que dorénavant, nous ne tolérerons que les animaux de compagnie, d'élevage, de cirque et de zoos. Et que, chez nous, loups, ours, lynx, mais aussi vipères, guêpes (autrement plus dangereuses) et autres perturbateurs de notre quotidien doivent être éliminés et qu'ailleurs baleines, dauphins, rhinocéros ou autres gêneurs des activités humaines doivent également disparaître. Je doute que dans ce monde-là, si un jour il advient, l'homme puisse survivre. Mais, au-delà de l'éthique mise à mal et d'indices de civilisation discutables, il n'y a pas une espèce qui n'ait sa raison d'être écologique et dont la disparition n'entraîne à court ou moyen terme un préjudice inestimable. Gandhi disait que «la façon dont une nation s'occupe des animaux reflète fidèlement sa grandeur et sa hauteur morale», et je n'oublie pas que le soin des bergers vis-à-vis de leurs moutons va dans ce sens, même si le destin des ovins n'est malheureusement pas de paître éternellement... Mais notre grand sage disait aussi quelque chose qu'aucun de nous ne peut ignorer tant la lourde réalité de nos sociétés donne raison à ces mots : «Le sauvage est un antidote indispensable à nos excès de civilisation.»
L'ours, plutôt qu'un objet de discorde, ne pourrait-il pas être un facteur justement de rapprochement entre deux univers qui s'éloigne peu à peu, au point parfois de ne plus se comprendre, le monde des villes et des champs ? Pour peu qu'on ne délègue pas, notamment sur un plan économique, aux seuls éleveurs les enjeux et les responsabilités. La réintroduction de l'ours ne peut s'envisager que dans un contexte de solidarité nationale, car il est notre patrimoine commun.
inscrit le 19/12/05
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