Edito
Le freestyle plus libre que le snowblade ?
D'accord, on pourrait discuter des siècles sur le sens et la notion de liberté, mais le freestyle actuellement ne me semble pas beaucoup plus libre que le snowblade… voire même peut-être moins ?
Connaissez-vous en effet un sport plus régenté par des codes vestimentaires, des pratiques ou des comportements, que le snow ? Regardez, sur un snowpark, tout le monde est habillé plus ou moins pareil. C'est l'uniforme incontournable pour se faire accepter et montrer qu'on fait bien partie de la famille, celle-là même qui exhibe un sourire moqueur et complice lorsqu'un snowblader en combarde se perd dans le park.
Tout le monde s'habille "tendance", en mettant bien en évidence les logos des marques à la mode "underground", car c'est l'indéniable garant de sa "branchitude", un passeport pour "l'appartenance à". On affirme sa différence en épousant une autre normalité, celle de la panoplie du freestyler branché, légitimé, authentifié. Panoplie bien sûr peaufinée, pré-mâchée, communiquée et marketée par l'industrie, mais ça, c'est une autre histoire !
Dans le park, ensuite, on fait comme tout le monde. Le rail, c'est cool donc on fait du rail même si ça fait mal… car c'est cool ! On shredde l'incontournable voiture taguée, label de garantie du snowpark qui déchire. On s'envoie des spins sur les tables, parce que faire autre chose que des spins, c'est pas du freestyle. On fait bien attention aussi à ne pas trop faire de tricks qui ressembleraient de près ou de loin à de la gymnastique ou au ski acrobatique parce que ça : "Ah non ! C'est plus du freestyle quand même !". On se prend docilement dans la tronche les décibels à la mode, mixés par les grosses maisons de disques et surtout on ne bouge pas une oreille à contre-courant de ce qui se fait, de peur de se retrouver mis au ban de sa communauté freestyle.
Ensuite, on décortique dans les mags les inévitables séquences de pros sur kickers (c'est une auto-critique parce que nous aussi chez RIDER, on fait pareil). On lit bien sûr l'itw du rider à la mode. Il est soit Scandinave (ça tient bien la tendance le Scandinave depuis quelques années), soit rebelle (tatoué de préférence et un peu obsédé), soit "inconnu mais ne va pas le rester longtemps"… quoique ! Les pros ont tous l'air méchant, en rupture, un peu comme s'ils étaient sponsorisés contre leur gré, comme si on les forçait à gagner de la thune en faisant des big airs ; et ils ont bien raison d'en profiter car personne ne songerait même à leur faire remarquer qu'ils ont des idéaux de petits bourgeois conservateurs, avec maison au bord de la mer, piscine, jacuzzi, parties de golf (en débardeur quand même pour exhiber les tatouages de rebelles), grosses bagnoles et petites pépées.
On s'insurge ensuite tous ensemble contre le lâchage de A. par Rossignol, de Jonath et Seb par Salomon, d'Albin et Youbi par Burton ; car ça, c'est de la bonne indignation, légitime et fédératrice, de vrais snowboarders. Mais rien, rien dans nos vies de tous les jours, ne remet en cause le moindre petit fondement de la logique de rentabilité du capitalisme.
Alors si le fait d'être réactionnaire, conservateur, englué dans des codes ou auto-discipliné, voire même auto-censuré, dévoué corps et âme au business et incapable de la moindre remise en question, bref, si tout ça ne représente pas une certaine "contre-indication" à la notion de liberté, alors le freestyle est effectivement peut-être libre… Mais ne manque-t-il pas dès lors cruellement de style ?
Jean Nerva
inscrit le 14/01/03
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