hakan_cheronsen
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inscrit le 18/02/02
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une belle page dans le Monde sur des choses d'ici, Freeride, Sotchi, Poutine etc..

Extension du domaine skiable
LE MONDE | 09.02.08


Arrivant à l'aéroport de Sotchi, le snowboarder suisse André Sommer avait une petite envie. Mais les toilettes, à l'extérieur du vieux bâtiment, étaient fermées. Restait un petit coin sombre, là-bas, contre un mur. Voilà la recette pour se retrouver au poste de police, face à deux policiers qui miment le geste de l'émasculation, en brandissant des menottes. Bienvenue en Russie et dans le monde du freeride.
La rencontre entre ces deux univers surprenants a eu lieu début février. Krasnaya Polyana, une petite station de ski du Caucase, était l'hôte de la deuxième étape du nouveau championnat du monde - nommé Freeride World Tour - de cette discipline sportive pour skieur et snowboardeur de l'extrême. C'est aussi ce village qui accueillera, en 2014, les principales épreuves des Jeux olympiques d'hiver, attribués l'année passée, contre toute attente, à Sotchi, la grande voisine balnéaire des bords de la mer Noire, située à une quarantaine de kilomètres.

Les freeriders sont des garçons et des filles charmants, qui font du ski dans des endroits où le commun des mortels ne songerait pas à passer : couloirs d'avalanches, barres rocheuses, etc. Cool, pour la plupart. Question dress code, plutôt pantalons baggy. Genre "sévèrement lookés". Les dreadlocks du Suédois Kaj Zackrisson, une figure du milieu, doté d'yeux d'angelot et d'un sourire lumineux, sont un must.

Leur vocabulaire est celui d'une génération qui a aujourd'hui entre 20 et 30 ans. Finalement plutôt compréhensible, sauf lorsqu'ils parlent technique. L'un d'eux expliquait ainsi, avant la compétition, qu'il était tenté de faire "un back flip d'entrée" à "plaquer pour que ça paie". Traduit, cela donne : "Un saut périlleux arrière " dont "il faut réussir l'atterrissage pour être bien noté par les juges".

Il est assez difficile de définir la discipline. L'Américain Glenn Plake, considéré comme l'un de ses pionniers, à la fin des années 1980, apporte sa réponse. "Le freeride ? Mais ça existe depuis que le ski existe. Le freeride, c'est skier. Une descente, un maximum de plaisir. Ce n'est rien d'autre." Il donne cette autre explication : "Dans toutes les stations de ski, lorsque vous demandez qui est le meilleur skieur, vous trouverez quelqu'un qui va vous dire : "C'est untel." Ce ne sera pas celui qui a gagné une descente, un slalom, ou que sais-je encore. Le freeride, c'est fait pour ce type-là."

Finalement, c'est simple. Comme les règles, en compétition. Les organisateurs choisissent une face de montagne pour sa difficulté, et les concurrents s'y élancent un par un, totalement libres de leur trajectoire. Pas de chronomètre, juste du "feeling". Car les juges, eux aussi, sont totalement "free". Leur seul critère est celui de l'"impression globale". En gros, plus la trajectoire est difficile et originale, plus les sauts sont impressionnants et plus le style est fluide, plus les juges sont heureux. Glenn Plake, qui était l'un d'eux à Krasnaya Polyana, confesse qu'il aime bien sentir que "les cuisses sont en train de cramer". Pour dire que l'on est content de son parcours, on use ici de l'expression : "J'ai envoyé du gros."

Dit comme cela, ce sport ressemble à une farce. Et pourtant, à les voir descendre, en vrai, on ne peut que retenir son souffle. C'est tout simplement beau. Et puis dangereux. Les freeriders, pourtant, détestent passer pour des inconscients. Ce sont, il est vrai, tous des montagnards avertis, qui ne sortent jamais sans le triptyque du hors-piste, la pelle, la sonde et l'Arva, l'appareil qui permet de détecter une victime d'avalanche ou d'être soi-même détecté. La plupart conjuguent cette activité avec une autre de moniteur de ski ou de guide de haute montagne.

Finalement, c'est du sérieux. "Tous les gars qui sont ici ont la tête sur les épaules", affirme Nicolas Hale-Woods, l'organisateur suisse de l'événement. Il a sélectionné les participants, pour la plupart suisses, français ou scandinaves. Le freeride a ses infréquentables. Ainsi de Jamie Pierre, un Américain qui a sauté dans le Wyoming une falaise de 75 mètres devant les caméras. Il a atterri sur la tête, planté les pieds en l'air dans la poudreuse, miraculeusement sain et sauf. "Une grosse connerie", glisse un de ses pairs. La vidéo est devenue un must de l'Internet. Le Freeride World Tour ne joue pas cette carte du ski à la "Jackass", l'émission culte de MTV, où les héros multiplient les défis stupides. Question de conviction et de survie. En avril 2007, lors de l'épreuve de Tignes, en Savoie, un jeune concurrent suisse de 18 ans, Neal Valiton, est mort après avoir chuté, cervicales brisées. Les oracles avaient prédit la fin des compétitions. D'autant que les tentatives d'organiser un calendrier cohérent des épreuves avaient tourné au fiasco.

Paradoxalement, c'est cette année, en pleine crise, qu'émerge un nouveau championnat du monde qui tente de donner enfin un vrai cadre, fixe, à la discipline, en s'appuyant sur des partenaires financiers solides. Son promoteur, Nicolas Hale-Woods, ancien freerider, était jusqu'alors l'organisateur respecté de l'Xtreme de Verbier, en Suisse, l'épreuve référence du milieu depuis 1998, date de sa première édition. Le monde du freeride espère que le nouveau Tour, doté pour cinq compétitions d'environ 300 000 dollars de prix, permettra plus de notoriété.

La Télévision suisse romande s'est engagée à faire une émission en direct, lors de deux épreuves, à Verbier et à Tignes. Sport+, filiale de Canal+, serait aussi intéressé. Une aubaine pour la discipline qui vit surtout des images qu'elle produit elle-même, principalement par le biais de maisons spécialisées. Les grands équipementiers du secteur des sports d'hiver en sont friands - la poudreuse marche mieux, de nos jours, que le piquet de slalom -, mais ne les payent pas bien pour autant. En France, seuls six ou sept freeriders vivent de leur sport à plein temps, grâce à leurs résultats et à leurs sponsors qui les utilisent comme des mannequins de luxe. Pour venir dans le Caucase, la plupart des concurrents ont dû payer leur billet d'avion, même si le logement leur était offert. Les ambitions du Freeride World Tour de "faire dans le sérieux", seule solution pour ne pas faire fuir les partenaires qui ne veulent surtout pas passer pour des pousse-au-crime, se sont pourtant heurtées, à Krasnaya Polyana, à la réalité des moeurs locales.

L'organisation d'une épreuve de freeride est toujours un casse-tête. Avalanches, météo... Le milieu naturel ne se domestique pas comme ça. Cinq jours sont d'ailleurs systématiquement prévus, histoire de permettre des reports. Mais, à Krasnaya Polyana, il faut aussi savoir tenir compte du facteur humain. Il y a, bien sûr, les menus désagréments : double ou triple facturation, retards etc. Mais il y a plus gênant : l'organisation s'est retrouvée, à la veille de l'épreuve, face à une méchante surprise. En raison de la visite du président Poutine dans la région, tous les hélicoptères ont été réquisitionnés. Y compris celui prévu pour l'évacuation d'un éventuel blessé.

Calcul fait, il aurait fallu trois heures et demie pour emmener quelqu'un vers l'hôpital de Sotchi. Glottes coincées et maxillaires serrés, les concurrents ont quand même accepté de prendre le risque. Une fois, mais pas deux : la seconde manche a été annulée après la blessure, durant la première, de la snowboardeuse Géraldine Fasnacht, qui s'est déchiré un ligament croisé du genou. Elle a préféré attendre son retour en Suisse pour se faire soigner.

Pendant ce temps, Vladimir Poutine skiait sur une piste, de l'autre côté de l'arête. L'homme fort de la Russie désire, dit-on, que Krasnaya Polyana devienne "la Courchevel du Caucase". Les freeriders ont pu se rendre compte que l'on en est loin. La même Géraldine Fasnacht, deux jours avant de se blesser, faisait ce constat : "Pour les Jeux, c'est pas gagné."

La station, pour l'heure, ne compte que cinq remontées mécaniques, même si d'autres sont en construction. Sur les télésièges, d'amusantes chaînettes métalliques trop lâches font office de garde-corps. Dans la vallée, le village n'est guère plus reluisant. Des constructions sans charme poussent - gros hôtels, chalets préfabriqués -, laissant craindre le pire, mais il reste un petit bourg de maisons grisâtres, à peine rehaussées de toits rouges et verts, où l'on cherche en vain les commerces.

Aurélien Ducroz, l'un des skieurs vedettes, parti se promener, était content d'avoir trouvé un "bar-rôtisserie". Les organisateurs l'étaient beaucoup moins du "restaurant" qu'ils avaient loué pour la soirée d'après compétition, le Green Wood. C'est un "boui-boui", ont constaté en arrivant les Suisses, en regardant les alcôves. "Un quoi ?", ont demandé les Français ? "Ahhh, un bar à putes." Ils ont d'abord trouvé ça amusant. Avant de constater qu'il n'y avait rien à manger, à peine quelques salades. Les propriétaires avaient bien prévu une dizaine de colosses, munis de détecteurs de métaux, pour assurer la sécurité, mais un seul cuisinier. Le snowboarder autrichien Martin Winkler s'est improvisé chef.

"Je ne sais pas si on reviendra à Krasnaya Polyana", s'interrogeait, ce soir-là, Nicolas Hale-Woods. La discipline, de toute façon, n'a aucune ambition olympique.


Pierre Jaxel-Truer (Krasnaya Polyana (Russie), Envoyé spécial)
Article paru dans l'édition du 10.02.08
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