Nous poursuivons notre série « Small is beautiful » à la découverte des micro-stations iséroises. Après Notre-Dame de Vaulx, le Plateau des Petites Roches, c’est Saint-Nizier du Moucherotte qui a libéré les perches de son unique téléski d’une longue léthargie.
Saint-Nizier du Moucherotte, plus ancienne station de ski de France, a réouvert en effet son dernier et unique téléski le 24 décembre 2024. L'appareil datant de 1968, année olympique, n’avait plus transporté de skieurs depuis le 24 février 2019, une éternité. Une absence presque aussi longue que la cathédrale Notre-Dame de Paris, traversée par les années covid et les hivers sans neige.
Une chute de neige historique - le 23 décembre - couplée à un fort engouement de bénévoles chaperonnés par les services techniques de la mairie ont permis ce redémarrage, qui semblait inespéré puisque depuis de nombreuses années la municipalité s’interrogeait sur le bien-fondé de maintenir l'appareil encore en service plombé par un coût d’entretien trop élevé pour les finances communales.
A Saint-Nizier, le père Noël est passé deux fois le 24 décembre, en journée pour les skieurs de la première heure et le soir au pied du sapin.
Soutenues activement par la mairie, et grâce au partenariat avec la régie d’exploitation des Montagnes de Lans et son directeur Valery Routaboul, une dizaine de bénévoles formés se sont mis en ordre de marche pour rendre possible ce que certains pensaient impossible !
Installer des filets, damer, pelleter, donner des perches, encaisser, jalonner, aider les skieurs novices, aligner les petits skis face à la pente, suivre la progression des perches débrayables sur le câble, dégivrer les ressorts autant d’actes et de nouvelles vocations à appréhender et s'apparentant à du jardinage des neiges.
J'étais parti pour skier au téléski de l'Aigle à Lans-en-Vercors mais en arrivant sur place je me suis aperçu qu'il n'y avait plus de ski au village de Lans. Je suis donc revenu sur mes pas car en traversant Saint-Nizier il me semblait avoir vu le téléski tourner !
Pour les adultes et visiteurs, les tarifs incomparables pour du ski intimiste sont les suivants : 7€ la journée, 5€ demi journée 9h-12h30 ou 12h30-16h45, 4€ la carte de 10 montées, 16€ forfait annuel jeune jusqu'à 18 ans, 32 € annuel adulte 18 ans et plus.
La station restera ouverte tous les jours pendant les vacances scolaires si les conditions d'enneigement le permettent ! Le téléski sera mis en marche les mercredis et week-ends à partir du 6 janvier si le manteau blanc se maintient.
C’est à Saint-Nizier que le ski prend racine dans le Vercors. En décembre 1895, Émile Morel-Couprie, secrétaire adjoint de la section de l'Isère du Club Alpin Français, muni de skis scandinaves importés par l’alpiniste Henry Duhamel, effectue sa première descente sur le plateau. Dans l’Annuaire de la société des alpinistes dauphinois, il raconte : « en décembre 1895, nous revenions F. Flusin et moi de Saint-Nizier où nous avions fait notre première course en ski. Le cours Berriat regorgeait de curieux et nous de passer au plus vite, au grand ébahissement du bourgeois, se demandant à quoi pouvaient servir les palettes que nous avions sur le dos ». Saint-Nizier devient un terrain d’expérimentation pour les passionnés. Dans les « cent ans du ski français », Louis Helly explique que c’est encore à Saint-Nizier que deux instructeurs Norvégiens le capitaine Angell et le lieutenant Qualle, réalisent à la fin du XIXème des démonstrations techniques sur les pentes du Moucherotte à l’attention des adhérents du ski-club de Grenoble.
L’inauguration du tramway Grenoble-Villard-de-Lans (GVL) le 26 juin 1920, en présence du ministre de l’Instruction publique André Honnorat, marque un tournant dans l’histoire touristique du Vercors. Ouvert au public le 1er juillet, ce tramway met Villard-de-Lans à moins de trois heures de Grenoble et transforme Saint-Nizier en un passage incontournable pour les amateurs de montagne. Dès ses débuts, le tramway dépasse son rôle de simple moyen de transport : il devient la première remontée mécanique du Dauphiné, facilitant l’accès aux sommets enneigés. Bien qu’il soit devancé dans les Alpes par le chemin de fer du Mont-Revard, il ouvre de nouvelles perspectives pour les amateurs de sports d’hiver et fait de Saint-Nizier la première station de ski mécanisée des Alpes des années avant les premiers téléphériques Mégevan ou Chamoniard. Un témoignage recueilli lors des 100 ans du ski dans le Vercors illustre son rôle : « Nous prenions le premier tram jusqu’à Saint-Nizier. De là, nous montions en peau de phoque au sommet du Moucherotte. La descente se faisait à toute allure jusqu’à la Tour sans Venin, où nous reprenions le tram. Il m’est même arrivé de revenir en ski jusqu’à chez moi en traversant le Pont du Drac ! ».
Le tramway a assis la renommée de Saint-Nizier transformant le village en station touristique. Georges Revollet, né en 1922 et ancien propriétaire de l’hôtel du Moucherotte, raconte au journaliste Gilles Croibier dans l’écho dauphinois en 1997 ses souvenirs du tramway : « à cette époque, il y avait beaucoup plus de neige que de nos jours. L’enneigement était assuré sur une longue période jusqu’à la tour sans venin. Chamrousse, les 2 Alpes n’existaient pas, le tramway était la seule remontée mécanique existant dans la région. L’hiver, la société qui exploitait la ligne rajoutait le dimanche des wagons aux motrices. Certains voyages transportaient 300 personnes. Il fallait les voir à l’arrivée à Saint-Nizier se précipiter sur les hôtels pour réserver leur place pour le repas de midi ».
Dans le Saint-Nizier exsangue d’après-guerre, un personnage fortuit fait son apparition, incarnant la figure du chevalier blanc : Jean Zucchetta, un notaire d'Aix-en-Provence. La commune engage sa reconstruction et compte alors à peine 171 habitants en 1946. Le tourisme, encore balbutiant, est soumis aux étapes de la reconstruction et l'emploi reste essentiellement agricole.
Épris de nature et d’humanisme, il jette son dévolu sur ce bout du Vercors, dont il veut aider à la remise en état après les ravages de la guerre et au développement touristique.
Jean Zucchetta a beaucoup d’idées pour Saint-Nizier et commence par visiter de nombreuses stations de ski pour faire un téléski. Il fait des études de faisabilité, défriche le tracé des pistes… Ainsi, le téléski de la Roche nait en 1953. Puis pris dans un vaste projet de développement sur plusieurs années, il continue avec la construction du télécabine du Moucherotte, plus connue sous l’appellation téléférique. « Nous aurons le même système que celui que nous avions vu à Megève, mais avec de très sensibles améliorations. Je pense que nous aurons l’appareil le plus perfectionné à l’heure actuelle » se félicite-t-il.
L’appareil est inauguré en 1956 et aide à acheminer, grâce à des plateaux, une partie des matériaux nécessaires à la construction de l’emblématique hôtel de l’Ermitage, ouvert en 1959, chef d’œuvre audacieux et magnifique, au bord de sa falaise.
Les trois premières remontées mécaniques de Saint-Nizier (téléskis de la roche et du Moucherotte, télécabine) ont été financées et construites par Jean Zucchetta. En 1962, le Saint-Nizard Paul Repellin dit « Paulo » s'associe avec le Villardien René Magnat pour installer un petit téléski « l’hôte » au centre du village qui n'était jusqu'alors pas concerné par le ski.
Le nom de l'hôte est emprunté à la carte de Cassini de 1756 où figurait ce lieu-dit qui marquait la sujétion à Pariset. L’appareil acheté d’occasion à Pomagalski est installé avec l'aide des habitants du village. En équipant le versant du coteau face à la Molière, les deux associés réinvestissent les pentes qui ont vu émerger le ski à Saint-Nizier. Le reste de l'année, Paulo, qui a commencé à travailler comme taxi-ambulancier, puis comme déneigeur, est agriculteur avec sa sœur Léa, tout comme René Magnat qui loue une ferme aux Guillets.
Magnat est de la partie puisqu’il a travaillé de 1942 à 1946 sur le téléski des cochettes à Villard-de-Lans ; « Paulo était touche-à-tout, travailleur acharné, autodidacte, doté une grande intelligence et qui voulait voir le Pays se développer » se souvient Roger Girard-Carrabin, ancien patron de l'hôtel des Alpes.
Paul Repellin devient ensuite le chef d'exploitation du téléférique mais sa nouvelle fonction ne l'empêche pas d'investir, toujours avec son complice, dans un second appareil en 1968, « les sapins » d’abord sous la forme d’un fil neige puis avec un téléski fourni cette fois par Pierre Montaz.
Les deux appareils sont vendus à la mairie en 1983. Le téléski des sapins est déplacé en 1984, sous le nom de l'hôte 2, près du téléski de l'hôte pour d'une part faciliter l'exploitation des deux appareils, d'autre part urbaniser le coteau.
1968-2024, des « sapins » à l'hôte 2, l'histoire continue encore pour l'amour du ski, du partage et de la transmission !
5 Commentaires
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Ravi de ce partenariat entre nos 2 communes qui permet de garder aussi un totem du patrimoine industriel grenoblois et de rappeler le décès récent d’un homme avec qui j’ai eu la chance d’échanger : Mr Montaz.
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