Ce 14 mars, il fait grand beau à l'Alpe d'Huez comme en moyenne 300 jours par an. Ce matin, nous n'avons pas rendez-vous avec le domaine skiable et ses 250 kilomètres de pistes mais avec sa version augmentée, véritable maillage de grands itinéraires de ski à la variété des situations offertes par l'orientation du relief des Grandes Rousses. Après nous être désenglués des bouchons grenoblois, c'est quasiment à l'heure que nous nous présentons, Guillaume et moi, devant le joli chalet en bois du bureau des guides de l'Alpe d'Huez pour une journée "grand ski" pleine de promesses.
Notre encadrant du jour s'appelle Matthieu Portefaix. Matthieu est le bleuet du bureau formé de 13 guides. Entré en 2016 dans le métier après quelques années comme pisteur, Matthieu est surtout un "enfant du pays", vissé aux montagnes de l'Oisans depuis l'âge de 13 ans. L'accueil est amical avec café et croissants, ce qui met tout de suite une bonne ambiance.
Nous serons également accompagnés de Robin et Céline, deux salariés de la SATA, la société d’exploitation du domaine skiable. Robin n’est pas un inconnu de Skipass. Derbyste dans l’âme, il a, comme Matthieu, grandi en station et s’est passionné tout naturellement pour le ski et le VTT, deux activités qui rythment sa vie personnelle et professionnelle. On peut en effet le croiser en hiver au départ du télésiège de l’Herpie et en été comme patrouilleur des nombreux singletracks du bike park. Céline aussi aime la glisse, avec une appétence pour l’eau saline qui la conduit chaque été à remonter vers ses terres natales du nord pour naviguer sur des dériveurs.
Les amabilités terminées, Matthieu nous présente rapidement le projet de la journée, avec pour débuter le grand classique du glacier du Grand Sablat, la « Vallée Blanche huizate ». Nous parcourons l’itinéraire en suivant le doigt de Matthieu sur une grande carte murale. Chacun de nous enfile ensuite le baudrier, indispensable au ski sur terrain glaciaire.
L'Alpe d'Huez ne désemplit jamais dès que la saison de ski a démarré mais l'estampille "bureau des guides" nous aide rapidement à contourner les grandes foules. Serrés dans la benne du Pic Blanc, les trois kilomètres de câble déployés dans les années 60 nous permettent de deviser le potentiel immense de sommets et grandes pentes : à notre gauche, le Pic de la Pyramide, à notre droite les cheminées de Macles. La freerando démocratisée par les inserts et les flex adaptés prend ici tout son sens.
A l'époque, la mise en service du troisième tronçon du téléphérique était considérée comme une prouesse mondiale capable de rivaliser avec l'Aiguille du Midi. Nous vous laisserons libre juge de la comparaison, mais la reine Meije, et son voisinage de pics élevés, attire toujours autant l’œil alpin habitué à regarder de haut en bas. Le sommet du Pic Blanc offre sans conteste une des plus belles vue des Alpes. Nous nous échappons du tumulte de l'arrivée pour aller nous positionner au col du Milieu qui permet d'embrasser les massifs environnants : Belledonne, Taillefer, Vercors, Écrins, Arves et bien plus encore.
Notre petit col est le point de départ du Sablat, descente glaciaire la plus accessible du massif. La crête où nous cheminons, scinde, en effet, le massif en zones glaciaires : l'une d'exposition Est avec les glaciers du Grand Sauvage, des Quirlies, des Malatres et du Grand Sablat ; l'autre d'exposition Ouest avec les glaciers des Rousses, de la Barbarate et de la Cochette au-dessus du village de Vaujany.
L'itinéraire du Grand Sablat permet d’accéder, sans effort, à un autre monde, sauvage et paisible, loin des remontées mécaniques et des pistes balisées.
Matthieu troque sa casquette de panoramiste pour reprendre celle de guide. Il nous détaille à grands traits le parcours constitué de plusieurs sections : la première partie sur le bassin d'alimentation du glacier, constitué de quelques escarpements rocheux liés au retrait glaciaire accentuant, par endroit, la pente, un long plateau horizontal sous les sommets de Sarenne et du Piéfroid et, enfin, le retour vers le col de Sarenne qui nécessite de "peauter" pour regagner les pistes balisées. Le bonus de cette course est généralement l’arrivée sur le village authentique de Clavans mais Matthieu nous indique que cette année si la neige est largement excédentaire en altitude, elle est malheureusement absente sous 1 600 mètres, qui plus dans les expositions sud comme pour le Sablat.
Les premières pentes hors-piste sont larges, donc idéales pour évoluer en grandes courbes. Nous avons raté le créneau idéal de 24 heures mais on ne va se plaindre des conditions avec une neige un peu densifiée mais restant très agréable à skier. La vue sur les stries du plateau d'Emparis est éblouissante. Nous profitons d’une section ludique parsemée de blocs pour admirer les fameuses dents du Cerisier. Nous basculons finalement dans les jolies pentes qui dominent Clavans dans une neige parfaitement revenue à jouer à saute-moutons avec la pierraille et les boulettes de purge.
Notre descente s'arrête un peu au-dessus du hameau des Perrons après un très bon ratio de 1 500 mètres de dénivelé négatif. Nous collons les peaux sous les skis pour gagner le col de Sarenne en croisant du regard les skieurs arrivant de la combe du Loup, autre grand itinéraire pour sortir des pistes battues.
Le timing est idéal pour une pause pique-nique sur une des plus belles terrasses des Alpes. Coup de chance, nous obtenons les meilleures places alors que nous n'avions pas réservé. Parfait pour reprendre de l'énergie en profitant de notre sound system préféré : le silence de la montagne.
L'élaboration du programme de la suite de la journée est l'occasion de se faire quelques nœuds au cerveau, Matthieu nous proposant plusieurs options, en tenant compte du réchauffement du manteau neigeux : la descente nord du Pic de la Pyramide, autre sommet majeur des Grandes Rousses ou l'un des multiples couloirs du Dôme des Petites Rousses à Vaujany. L'heure avancée nous fait finalement renoncer à une nouvelle grande bambée en altitude pour privilégier un beau couloir.
L'Alpe d'Huez a cet avantage de disposer d'un parc de remontées mécaniques performant, nous permettant de nous projeter en trente minutes du col de Sarenne au pied du téléphérique de Vaujany pour étudier les différentes options, aux niveaux de difficultés variés. Fleur, la Fare, Perrins Nord ou Sud, Canyon, Épaule de la Fare, 263, P10... Que de noms, de possibilités, de variantes et de sous-variantes ! « C'est du beau terrain, plus bas en altitude, technique, vite raide, un peu paumatoire dans les barres, un relief vraiment sympa à skier » nous décrit Matthieu qui finalement décide de nous engager dans le couloir Fleur.
Le couloir Fleur vient de Pierre Fleur, un pisteur sur Oz-Vaujany qui s'était fait coffrer dans la descente. Plusieurs autres couloirs portent d'ailleurs le nom ou le sobriquet de pisteurs sur le domaine : la barre à mémé, le sanglier...
Le téléphérique des Rousses nous propulse au Dôme des Petites Rousses à 2 800 mètres d'altitude. Quand tout le monde part sur la droite rejoindre l'Alpe par la piste du Belvédère, nous franchissons la corde avertissant que nous pénétrons en « terrain de Montagne ». Le couloir ne se devine pas depuis le sommet et il faut quelques virages à zigzaguer entre les rochers pour gagner le départ. Fleur est vraiment un couloir de rigoriste, une vraie étroiture rectiligne encadrée par de belles roches ferreuses. Matthieu nous dispense quelques conseils de sécurité pour gérer le sluff - la neige poussée à chaque virage - et passer la chatière de mi-parcours avec nos longs skis. Le virage sauté est vite intégré, facilité par une neige réchauffée et sécurisante se prêtant parfaitement à l'exercice. Quelques minutes de descente suffisent à rejoindre la piste rouge des Rousses non sans avoir joué les skieurs équilibristes pour les passagers-spectateurs du téléphérique !
Cette journée aurait pu s'appeler pile et face : versant est, un grand itinéraire accessible depuis le lançoir du Pic Blanc permettant d'entrer facilement dans la haute montagne glaciaire, de conquérir la tranquillité et de contempler la nature brute ; versant ouest, l'une des nombreuses combes sinueuses du dôme des Rousses sur les hauteurs de Vaujany. Avec le Grand Sablat et le couloir Fleur, Matthieu nous a offert deux échantillons de l'énorme potentiel que l'Alpe d'Huez recèle pour varier les plaisirs du ski.
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