El Bolson, Argentine

Une nouvelle carte postale Argentine, après La Hoya et Bariloche, avec des vrais morceaux de galère, de la météo qui craque et des champs de poudre début septembre, par Sylvain&Romain, en voyage dans l'hémisphère sud jusqu'à la fin de l'hiver du sud...

Pueblito

Un grand chalet de bois, blanche Cordillère en arrière plan, confortables fauteuils au coin du feu qui crépite, de la place pour le voyageur harassé par des kilomètres et des kilomètres de route. Voilà Pueblito, l?auberge de Lili, qui toujours vous accueille avec son sourire charmant. Est-ce pour tout cela que nous occupons les lieux depuis maintenant une semaine ? Pas seulement...

El Bolson, village andin niché au c?ur d?une jolie vallée glacière, sait lui aussi recevoir. Pains d?épices, chocolat, confitures, miel et impressionnante variété de bières locale sont autant d?atouts dont la ville peut se vanter. Artisanat, petite agriculture et tourisme activent ce lieu singulier grâce à sa population engagée et ouverte. Fondé originellement par une communauté hippie, elle représente encore une part importante de la population locale et anime en grande partie la foire locale où quelques effluves nous semblent familiers. Il n?est pas rare qu?au détour d?une ruelle de terre un papy vous hèle pour vous invitez dans son tacot sans âge ou encore qu?un mécano, veste de cuir avec un A d?anarchiste, vous emmène dans une 4L sans clé de contact et un bidon accroché au tableau de bord pour réservoir. C?est tout ?

Le Piltriquitron

Qui dit vallée, dit sommets. Avec ses 2253 mètres, le Piltriquitron est la plus haute montagne alentour. Il s?insère dans un massif montagneux varié ou plateaux et glaciers entourent les plus belles cimes. On se surprend à rester plusieurs minutes à dessiner des lignes de descente dans les faces et couloirs visibles depuis la ville. Les sommets plâtrés par la neige et le vent laissent parfois place à quelques couloirs mais aussi à de jolies courses, vallonnées et sauvages. Et puis ?

Et puis il a ce refuge, refait à neuf il y a trois ans suite a un incendie qui l?avait presque entièrement détruit. L?acte de malveillance a aussi permis à quelques sculpteurs de la vallée de tirer profit du lieu en mettant leur talent à disposition de la forêt calcinée. Ils ont fait des arbres morts une ode à la nature : de part et d?autres des arbres encore vivants jaillissent de nombreuses sculptures.

Réveil à Pueblito, 12h30. Vapeurs d?alcool et feu de bois pour atmosphère matinale. Les nuages ne laissent rien transparaître de l?enneigement des sommets alentours. Oui mais? La versatile météo argentine annonce des éclaircies pour le lendemain. Après une semaine de pantagruélisme alcoolique et de grasses matinées, ne vaut-il pas mieux tenter le diable ? C?est l?occasion d?un pari audacieux : sortir plutôt que persévérer dans la facilité en prenant le mauvais temps comme excuse pour ne rien faire.

Caprices météo

Alors que la pluie s?est remise à tomber, nous nous attaquons à la préparation des sacs. Un couple argentino-néo-zélandais équipé d'un 4x4 nous propose de nous déposer au pied de la montée du refuge. L?utilité de l?engin se fait sentir dès le franchissement de la limite pluie/neige ! On passe rapidement d?une piste boueuse à un chemin où 30 cm de neige humide se sont déposés. Apres avoir poussé leur machine dans ses retranchements, le couple nous laisse sur le bord de la route avant de faire demi-tour. Alors que nous chaussons les raquettes, une percée nous montre tout le paradoxe du temps patagon : malgré la neige qui continue à tomber à gros flocons, le soleil fait son apparition et un ciel bleu pointe le bout de son immensité. L?ascension commence. Arrivés au refuge, nous tombons nez à nez avec le « refugiero », skis de rando aux pieds, prêt à partir. Il nous propose de le suivre. Première descente dans la fraîche sur fond de soleil couchant.

Un repas fait des victuailles de chacun transforme nos modeste pates/sauce tomate en « truco », plat favori de la jeunesse argentine. L?explication de notre probable itinéraire du lendemain dessine un sourire sur le visage de notre refugiero/sherpa sur l?Aconcagua qui conclura par un « dia intensivo, no ? ». La panse bien remplie, une petite bière artisanale pour digérer et il est temps d?aller se coucher. Réveil réglé pour 7h30.

Dia Intensivo

Lever 9h. Nous partons à l?assaut du Piltriquitron sous un grand ciel bleu. A quelques encablures du sommet, un nuage mesquin nous enveloppe pour nous laisser dans une brume intense dont nous ne trouverons la sortie qu?à quelques mètres du sommet. Nous cassons la croute à l?abri du vent, protégés par une congère de près de trois mètres. Une inquiétante accumulation de neige soufflée reposant sur une couche dure nous fait renoncer à l?ascension des 20 derniers mètres nous séparant du sommet. Tant pis. Déjà, le nuage s?en est allé (encore une démonstration du climat patagon !). Le soleil illumine désormais la pente. Quelques virages plus tard nous nous retrouvons au pied du sommet, dans un océan de neige immaculée.

14h30. Le temps joue contre nous. Nous repartons vers un autre sommet d?altitude plus faible présageant une belle descente : couloirs courts et raides qui offrent une sortie sur une face bien large. Reste juste cet océan de neige à traverser. Nous choisissons l?ascension par la crête avec un temps nettement plus nuageux cette fois. Une corniche, à première vue instable, barre l?accès au sommet de son mètre cinquante de haut. Qu?à cela ne tienne, les rochers sur notre droite offrent un manteau plus stable et peut-être un passage plus aisé pour la corniche. Escalade mixte, crampons aux pieds et, au détour du dernier rocher, ô miracle ! Un chemin taillé par le vent met fin à la corniche sur une largeur d?environ un mètre.

Précipitation, fatigue ? Romain chute sur le plateau sommital et casse net son bâton de rando. Crampon enfoncé dans la boots et main qui saigne. Apres quelques jurons sur l?absence de gants, il sort la trousse à pharmacie (« enfin » elle sert) pour déposer un pansement surdimensionné sur la plaie, finalement superficielle.

Nous nous postons à l?entrée du couloir. C?est au tour de Romain d?ouvrir. La neige dure et cartonnée ne correspond pas à nos attentes. Sans compter le brouillard qui repointe le bout de son nez. Un sommet de trop peut être. Nous retournons au refuge pour reprendre les affaires laissées le matin et assurer l?entraînement à la recherche arva promis au refugiero. Alors que celui-ci nous quitte pour aller dormir au sommet du Piltriquitron (!) nous redescendons dans la vallée. Nous arrivons à la limite de la neige au crépuscule. Restent 1000 mètres de dénivelé pour 15 km de piste, de nuit.

Pour le moins, « Dia intensivo » !

Texte : Sylvain Barneron & Romain Vassor
Photos : Sylvain Barneron