En voyant son film «This is my winter», en exclusivité sur skipass, et je me suis dit que Xavier De Le Rue était peut-être le meilleur freerider du monde. La tignasse bien calée sous le casque, Xavier prend cette interview en straight.
Depuis que Xavier le pyrénéen a gagné à Sölden (Autriche) le premier boardercross en 1999, puis le Banked Slalom de Mount Baker (ça rappelle des souvenirs à certains ?) il est resté dans le radar médiatique... tout en se rapprochant de la pente raide et de la montagne version alpinisme et freeride engagé. Avec son grain de beauté comme un troisième oeil, Xavier a ridé les plus belles pentes du monde. On se souvient tous des quelques moments forts dans sa carrière, comme cette incroyable avalanche dont son ange gardien le tire indemne et le film Life of the artists.
Et puis, un jour, comme vous, j’ai vu le run stupéfiant de Xavier De Le Rue lors de l’X Trem de Verbier 2010. Je me suis dit qu’il allait vraiment vite.
Ensuite, j’ai vu Deeper et je me suis dit qu’il allait vraiment raide.
Ensuite j’ai vu «This is my winter», en exclusivité sur skipass ici même, et je me suis dit que Xavier De Le Rue était peut-être le meilleur freerider du monde. La tignasse bien calée sous le casque, Xavier prend cette interview en straight.
-Ma première question est : comment te sors-tu de la séquence d’ouverture du film, celle où tu es coincé sur la glace ?
-Samuel Anthamatten est venu et m’a balancé une corde. Je n’étais pas loin de la bonne neige, elle tenait juste avant, il n’y avait rien de particulier sur cette pente... j’ai été surpris et j’ai eu super chaud. Si j’avais planté mon piolet une demie-seconde plus tard, j’étais pris dans l’accélération et je glissais jusqu’en bas. Les conditions étaient pourtant bonnes, je n’avais pas pris les crampons et emmené un seul piolet, pour faire comme Samuel. Je m’attendais quand même un peu à un problème, je ne suis pas rentré comme un bourrin !
-Quelles leçons en tirer ?
-Plus les années passent, plus tu vois que tu peux te planter sur des conneries. Il faut être tout le temps super vigilant. Il faut rider presque en ayant peur, sur les freins. Etre toujours attentif à ce qui est autour de toi. Rider au taquet ça ne me fait pas peur. Mais la stabilité du manteau neigeux, les crevasses, les corniches... c’est le plus difficile à gérer. Ca me pèse.
-Tu dis dans le film : «je ride vite parce que j’ai peur».
-Oui, quand je ride vite, j’ai l’impression d’avoir les cartes en main si une plaque part et les sauts sont plus faciles à replaquer... Je me sens plus à l’aise en grande vitesse, je m’appuie sur l’air. Dans mes lignes, je n’aime pas les premiers virages, tu mets de la pression sur la neige, c’est plus dangereux : à 2 à l’heure tu ne peux rien faire s’il se passe un truc.
-Tu glisses dans des terrains très très engagés. Qu’est-ce qui te garde en vie ?
-Je ne passe pas mon temps en montagne à faire des trucs de débile. Je suis parano. Je n’y vais pas presque une fois sur deux. J’ai vraiment besoin que tout aille bien pour que je me lance, je me suis fait baisé plusieurs fois, je suis passé pas loin.
-Qu’est-ce que tu veux montrer dans tes différents films ?
-Je cherche des trucs différents à rider, des nouveaux styles. J’ai commencé par des lignes classiques, comme tout le monde, mais je trouve ça gonflant à rider et à regarder. Quand je vais dans ces couloirs de glace, en pente raide, c’est parce que ça n’a jamais été bien shooté. J’essaie de mettre le speed du freeride dans la pente raide.
Tu peux regarder une montagne et la rider pendant 10 ans et la 11ème année, tu vas découvrir des choses nouvelles qui ne t’étaient pas venues à l’esprit. Ca résume mon état d’esprit. Ce truc de glace qu’on voit dans le film, je suis passé plein de fois devant en me disant : «c’est un joli couloir» et une fois ça a fait tilt : il était en glace, ça ouvrait des nouvelles portes.
Sur le premier essai, j’avais prévu d’aller plus à droite, je n’ai pas eu le choix, je suis parti dedans, ma board dans l’axe, ça n’a pas tenu. Je suis rentré chez moi, j’ai étudié les images, la ligne, j’ai pris le temps, et j’y suis retourné.
C’est la subjectivité du risque, on me dit : «c’est débile», je réponds : «oui c’est impressionnant, mais il y a 50 m de glace propre, une sortie avec de la neige molle sans obstacle, tu ne risques rien, au pire tu te tapes un peu le cul». Je ne faisais pas le malin, il y a une ambiance assez impressionnante, mais ça me fait moins peur que du ski de rando sur un truc vallonné après du vent !
-Ta fameuse ligne de Verbier... racontes-nous.
-C’était le jour où je la sentais et je l'ai ridée. Ce genre de truc, tu n’a pas envie de passer ton temps à le faire. Tu as ton jour de gloire, après tu restes tranquille parce que sinon il va t’arriver des problèmes. En ce moment, je ne suis plus du tout motivé par la compétition, peut être parce que sur cette ligne, je vois mal comment faire mieux. Je ne vois pas trop l'intérêt de m’emmerder à faire des compet. Je vais faire Verbier seulement.
J’étais passé en février avec ma fille sur la piste et soudain, avec un certain angle, j’ai vu que cette ligne passait. Je suis donc tombé par hasard sur le point de vue qui me révélait cela. Deux mois plus tard pour la finale, les conditions étaient top. La difficulté était que la cliff avançait énormément, donc il fallait prendre du speed mais l’attero ne tape pas, mais il n’y a pas d’impact à la réception.
-Dans ton copieux palmarès, quelles sont les distinctions dont tu es le plus fier ?
-Le plus important, c’est peut-être le Mount Baker Bank slalom en 2002. Il y a aussi les trois titres au Freeride World Tour avec des victoires à Verbier et 4 fois champion du monde de boardercross. Ce que j’aime dans la compet c’est de faire mieux que dans la vie normale, ça me booste, ça me stimule. La compet est hyper dure, sur le moment, tu as la boule au ventre, mais tu te mets dans un état de concentration qui te permet de faire des trucs chouettes. La ligne de Verbier, jamais je n’aurais eu la patience et l’énergie de la repérer, de la réfléchir hors du cadre de la compétition, ça m’évite de rester dans mes habitudes confortables, dans ma zone de confort. Tu vois des jeunes, des vieux, ça m’a aidé de regarder les skieurs, tout le monde sur le même terrain, tout le monde avec les mêmes chances.
-Il paraît que tu aimes rider avec les chaussures bien desserrées ?
-Oui, c’est vrai. J’ai des chaussons Conformable qui ont sept ans. Mon pied est bien tenu, moulé, je n’ai pas besoin de serrer mes boots, je me sens bien, et puis à haute vitesse, j’ai besoin de flex.
-On te taxait toujours de pyrénéen, ce qui avait le don de t’énerver. Aujourd’hui, on te le dit encore ?
-Non (rires). J’ai dépassé la petite comparaison Alpes/Pyrénées. Avant, j’étais le petit jeune du sud, aujourd’hui les journalistes pensent à autre chose quand ils me voient. J’y garde quand même ma maison principale (à Saint-Lary, ndlr).
-Comment gères-tu la pression des shootings, des compétitions ?
-Avant les gros shootings, je suis hyper tendu. La nuit, je ne suis pas bien. C’est assez dur, c’est un côté qui me pèse, comme la veille d’une compet. Il faut y aller, c’est comme avant de sortir de la tranchée, tu as la boule au ventre. Je n’aime pas engager tous les jours, parfois il faut que je me lâche, en vélo de descente, en skate, en snow, je me tire la bourre. Le réel plaisir de tous ces trucs, ce n’est pas sur le moment, c’est après.
Avant, j’étais plus sur le moment, maintenant avec toutes mes expériences et toute la tension que ça amène pour être vigilant... je suis tendu comme une arbalète, c’est pas agréable. Ensuite, une fois que j’ai pris confiance dans les conditions, je profite.
-Comme dans ce run très tendu sur l’Aiguille du Plan ?
-Oui, ce run, je m’étais dit que je ne le ferai jamais. Je suis content d’y être allé mais bon, ça n’a pas vraiment de sens de rider entre les séracs, c’est même un peu stupide, en plus tu ne rides pas beaucoup ! C’est un peu jouer au con, je n’ai pas envie de rentrer dans cette spirale. Malgré les apparences, je suis prudent. Comme quelqu’un me suit tout le temps pour me filmer, tu mets les trucs engagés bout à bout et tu as l’impression que je fais ça tout le temps, mais ce n’est pas vrai.
-Comment apprends-tu à rider en Alaska ?
-C’est complètement autre chose. Il faut commencer petit, tu te fais slougher un paquet de fois, ce sont les pièges classiques de l’Alaska, tu te fais prendre entre les spines. Je me suis fait choper deux ou trois fois et j’ai commencé à comprendre. Ce que j’aime en Alaska, c’est que la neige est stable et plus c’est safe, plus je me sens à l’aise. Alors que dans les Alpes, des pentes chargées comme en Alaska, j’ai du mal à y aller...
7 Commentaires
Ça vient De Le Rue !
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Je me rappelerais toute ma vie de cette fameuse avalanche. C'est d'ailleur comme ça que je l'ai connu.
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En un mot : RESPECT!
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Les gars qui arrivent à un haut niveau dans leur spécialité prennent rapidement le melon.
Ici, il n'en est rien.
Réaliste, pragmatique, il a su conserver cette simplicité qui lui permet de conserver tous ses moyens à un moment où d'autres pourraient les perdre.
Un grand, un très grand monsieur.
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