Seconde partie du pèlerinage des skieurs Stian Hagen et Chris Davenport sur les itinéraires historiques des Alpes : le couloir Marinelli et la face nord du mont Blanc... en rencontrant au passage deux figures du ski extrême : Sylvain Saudan et Anselme Baud.
Chaque arête, face ou pente du mont Blanc a été parcourue, skiée, grimpée en 2008. Ce n'était pas le cas en 1951, quand le guide Lionel Terray et l'Américain Bill Dunaway descendent pour la première fois à ski du plus haut sommet européen. Avec le couloir Spencer de Sylvain Saudan en 1967, ce furent les deux préludes au ski extrême qui allait se développer dans les années 70.
Pendant l'épique hiver 1977, justement, un grand nombre de première sont ajoutées au tableau de chasse des skieurs extrêmes dont l'un des plus actif était Anselme Baud. La montagne dans les gènes, Anselme a foulé le sommet du mont Blanc pour la première fois à 12 ans avec son père Jacques, guide comme lui. "Quand j'avais 16 ans, je cherchais de nouveaux endroits à skier. Et quand j'ai eu 18 ans, j'ai entendu parler de la première descente du Whymper par Sylvain Saudan. Je vivais à Morzine où j'enseignais, mais je cherchais toujours des lignes plus raides entre les cailloux".
Anselme rencontre Saudan en 1971 à Mt Hood, et l'année suivante, avec son ami Patrick Vallençant, ils cochent méthodiquement les lignes les plus techniques des Alpes dans un style impeccable, dont la première répétition du Whymper.
Au printemps, on peut compter une centaine de personnes en route pour le sommet du mont Blanc, skis sur le dos. La benne de l'Aiguille du Midi est pleine en ce samedi matin béni par un ciel bleu comme une pub d'Air France. De l'Aiguille jusqu'au sommet, les guides estiment la montée à six heures. Nous avions réservé l'hélico emmenant la caméra de 12h30 à 13h30, laissant à peine plus de trois heures à Stian et Chris pour atteindre le sommet.
Le chrono s'affole et il touchent le sommet 3h40 plus tard, en passant par le Tacul et le Maudit. Il engagent leur descente en filant directement vers le Dôme du Goûter, itinéraire de la première ascension en 1786. Les négociations sont difficiles avec certains séracs menaçants mais ouvrent de magnifiques lignes dans une poudreuse propre jusqu'aux champs de bosses qui les ramènent dans la vallée. La face nord du mont Blanc n'est pas extrême, mais c'est l'un des itinéraires classiques de tout bon skieur montagnard qui se respecte.
Marinelli, la star
A 4 heures pile, nous serrons la main du skieur de l'impossible à l'hôtel de la Croix Blanche. Sylvain Saudan est habillé impeccablement avec ses longs cheveux gris tirés en arrière. Il prend une tisane alors que nous commandons des bières et nous débutons notre audience avec la légende.
La descente du couloir Spencer, en septembre 1967, fut son premier fait d'armes. L'année suivante, il réussi les couloirs Whymper et Gervasutti en utilisant sa technique de "l'essuie-glace". Guide, il grimpe les faces à pieds, souvent l'été, pour se familiariser avec le relief et ne tente ses méthodiques descentes que par conditions optimales. Et toujours seul.
"L'hiver 1967, j'ai essayé de skier tous les types de neige possible en pente raide en essayant de ne pas tomber. La motivation était de me connaître, savoir qui j'étais... mais encore aujourd'hui, je ne sais pas qui je suis. C'était un challenge personnel pour moi. La question technique était de savoir ce que l'on pouvait faire sur des skis. J'ai skié mon premier couloir en réalisant que je n'avais pas atteint ma limite, je devais tenter plus dur, et par plus dur, je voulais dire plus dangereux".
Le couloir Marinelli, au mont Rose, est la descente alpine qui se rapproche le plus d'un profil himalayen et Saudan tourne son attention vers cette pente jamais skiée. Il essaye trois fois, sans succès, avant finalement d'être posé seul sur le Silbersattel, sans crampons, ni piolet, ni corde, pour sa quatrième tentative. Il allait enfin pouvoir répondre à ceux qui lui disaient que skier le Marinelli était impossible. 2 heures 30 et 2 500 virages plus tard, il parvient au téléphérique de Macugnaga, victorieux.
Il redescend dans la vallée en héros. "C'était la plus impressionnante descente des Alpes, la plus dangereuse, la plus difficile", dit Saudan, "mais aussi la plus belle". Presque quarante ans plus tard, le Marinelli est le dernier chapitre de l'aventure de Stian et Chris... et le plus délicat.
Nous arrivons à Greyssoney pour rencontrer Carlo Cugnetto, encore en décalage horaire du Kamtchatka. C'est l'un des spécialistes du Marinelli. Il a peu d'informations sur les conditions de neige dans le couloir mais il est certain que demain est notre seule fenêtre météo, le mauvais temps approche et restera en place une semaine.
Le lendemain, l'hélico commence sa rotation en déposant les skieurs et le photographe au sommet. Les nuages se rapprochent et la visibilité devient problématique. Une erreur de navigation sur le haut, combinée à une neige travaillée par le vent et c'est la chute. Stian et Chris posent plusieurs broches à glace, passent un sérac en rappel, descendent dans une abysse de purée de pois, accrochés à leur corde, et se retrouvent avec 2 000 m de poudreuse crémeuse entre eux et le téléphérique de Macugnaga.
Je suis leur descente aux jumelles, les dents serrées. Le Marinelli est régulièrement skié par les guides et leurs clients italiens ou suisses venus des deux côtés du mont Rose. Certaines années les conditions sont problématiques et le Marinelli ne voit passer aucune spatule. Chris et Stian sont en train de réussir la seconde descente de l'année, dans l'objectif de mes jumelles, alors que j'aurais du être là-haut avec eux.
J'étais installé dans l'hélicoptère pour la troisième rotation quand les guides m'ont demandé de descendre : le vent s'était levé et il n'y avait plus de dépose possible. La mort dans l'âme, j'ai reposé les chaussures de ski dans la neige : pour la cinquième fois en trois ans, le Marinelli me refusait. Je remâchais ma déception quand il s'est il s'est approché silencieusement de moi. Il avait la soixantaine, un badge de l'UIAGM fièrement épinglé à sa poitrine. "Vous êtes avec eux ?", me demande-t-il en italien. "Oui, mais c'était trop tard pour moi, à cause des nuages". "Peut-être la semaine prochaine", me répond-il, "je pense que vous devriez partir de Zermatt ou d'Alagna à pieds. Ne prenez pas l'hélico, grimpez, c'est beaucoup mieux ainsi".
Texte : Jack Shaw
Photos : Christian Pondella
Traduction : Guillaume Desmurs
20 Commentaires
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-> "Le chrono s'affole et il touchent le sommet 3h40 plus tard, en passant par le Tacul et le Maudit."
bonne caisse!
et sympa la rencontre avec les anciens...
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Mais ne serait ce pas un article publié cet été dans le magazine "POWDER"?
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Le grain des photos est excellent.
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Pour ce qui est des conditions de neige et des photos...euh...nan rien.
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son de la pente est vraiment impressionante!!!
heuresement qu'il n'y a pas d'avalanche qui s'est déclenché!!!
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Superbe ! Vraiment !
Les 2 freeriders les plus alpins
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Trop de belles images!!
Et des faces qui en imposent...
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>"je pense que vous devriez partir de Zermatt ou d'Alagna à pieds. Ne prenez pas l'hélico, grimpez, c'est beaucoup mieux ainsi"
+1 !
Man,
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le panorama en noir et blanc est devenu mon fond d'écran l'instant d'après!!!
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belle image, beau ride,
violent...
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