Maxime, 41 ans, skipasseur de la première heure (inscrit depuis 2003 sous le pseudo ventoux84) s'est pris de passion pour un objet bien connu de tous les skieurs : le plan des pistes. Installé depuis 20 ans sur l’agglomération grenobloise et bientôt 9 ans sur le plateau du Vercors, Maxime collectionne les plans de stations du monde entier : "mes plans sont rangés par pays dans des boîtes, les plans qui ont une valeur artistique ou historique sont rangés dans des protège-documents" nous explique t-il.
Sa collection compte désormais plusieurs milliers de plans à ce jour, elle s'est construite au fil des années et des rencontres : avec la famille Novat (Pierre, Frédérique, Arthur), le Mégevan René Sulpice, responsable de la commission d'homologations des pistes à la FIS. Sans oublier l'aide d'autres Skipasseurs : Rodolphe (rodo_af), Vincent (clash), Sylvain (chocard), Laurent de Skivintage qui ont apporté leur pierre à l'édifice du collectionneur-skieur.
Véritable passionné, Maxime garde toujours un oeil sur Delcampe, Ebay ou Le Bon Coin, à l'affut de vieux plans susceptibles de montrer des projets anciens, des stations disparues etc... Il nous ouvre aujourd'hui les portes les boites de sa collection et retrace avec nous l'histoire de ce petit bout de papier, témoin artistique de l'évolution de nos domaines skiables.
Les plans des pistes sont des images emblématiques et symboliques de la montagne. Tout skieur qui se respecte a eu un jour ce feuillet dans la poche. Ces cartes froissables ont créé une véritable relation entre le skieur et les domaines skiables pris sous l’angle du terrain. Un objet universel, intemporel, passager, polymorphe, jetable…
Jetable pas toujours. Je les accumule pour les réunir en collection depuis janvier 1985 précisément : âgé de 10 ans, alors jeune vauclusien en classe de neige de CM2 à Vars Sainte-Marie dans les Hautes-Alpes, je ramasse machinalement un premier plan des pistes. Il a une jaquette bleue, et « une station animée pleine de gaieté » pour le message publicitaire.
32 ans plus tard, c’est des milliers de panoramas de domaines skiables qui sont accumulées quelque part dans le Vercors…une obsession maniaque et décalée, un savant mélange entre différentes passions pour la géographie, la cartographie, le ski et la montagne. Il s'agit aussi d'une véritable affection pour les beaux rendus panoramiques, que des acteurs comme Heinrich Berann ou Pierre Novat ont magnifié sous leurs pinceaux avant que le plan d’aujourd’hui, vidé de son esthétisme, ne tende à devenir plus qu’un simple objet informatique pixelisé et aseptisé.
Retraçons ensemble l’histoire du plan des pistes…
Avant le regard artistique, il y a d’abord eu une longue quête, celle de capitaliser les plans des stations de ski de toutes les stations françaises, et à l’ère du timbre et du courrier manuscrit, cela ne fût pas très simple.
Puis, il y a eu cette rencontre impromptue mais volontairement provoquée avec Pierre Novat en 1997 : la signature stylisée en bas de presque tous les plans des stations françaises depuis les années 70. Retour de vacances au ski à la Rosière, (gros) détour par Tassin-la-Demi-Lune dans la banlieue de Lyon, je sonne et je suis accueilli par le maître français du plan des pistes, une icône pour le collectionneur que j’étais. Frédérique, sa fille, qui travaille avec lui et a co-signé nombre de plans est là, en voisine.
Je visite l’atelier à l’étage, partage le savoir-faire de l’artiste, on me dévoile quelques petits secrets de fabrication, les planches mixtes crayonné/acrylique, je repars les bras chargés d’imprimés, un poster dédicacé. Il existe une relation affective très forte entre le collectionneur et ses objets mais également avec celles et ceux qui font ces objets. Une vraie rencontre entre la passion et le talent...
Je me suis rendu compte à travers cet échange et cette rencontre (suivie de bien d’autres) qu’il y avait dans ma collection une belle articulation entre le plaisir de la pratique du ski, la découverte de domaines skiables par procuration mais aussi un réel attrait pour cette pratique cartographique singulière.
Même si le ski a une très longue histoire notamment dans les pays nordiques, les premiers champs de neige mécanisés (se résumant à quelques remontées parfois rudimentaires) apparaissent dans les années 30 : Megève en 1933, Davos en Suisse en 1935, Sun Valley dans l’Idaho en 1936, Sankt-Anton am Arlberg en Autriche en 1937... À cette époque, il n’était pas utile de disposer de cartes pour trouver son chemin dans la neige, le domaine skiable occupant amplement le regard.
Néanmoins, les stations de ski vont rapidement introduire dans leurs communications des panoramas photographiques pour vanter l’étendue de « leurs montagnes » même s’il n’y avait pas toujours de téléskis pour gagner de la hauteur. « The dream of the ski-er here comes true. Every slope means a safe and swift descent » mentionne ainsi un dépliant touristique de la station d’Arosa en 1936 arborant le drapeau de l’Allemagne nazie. « Mégève, le paradis du ski, la station des sports d’hiver par excellence » indique la station haut-savoyarde dans une brochure d’avant-guerre. L’épopée du ski de loisir est alors en marche et cette évolution va faire naître le plan des pistes du domaine skiable comme objet publicitaire.
Il n’y a pas d’études et de parcours spécifiques pour s’installer panoramiste mais très sûrement des inspirations ou des sensibilités : les gravures anciennes superbes et évocatrices de la vision des Alpes aux XVIIIème et XIXème siècles, John Ruskin et son panorama des Alpes en 1844, Paul Helbronner et sa description géométrique détaillée des Alpes françaises à partir de 1903… La minutie des détails et le rapprochement des plans présageaient déjà des avantages d’une représentation peinte ou dessinée sur la photographie.
La première passion de l’Autrichien Heinrich Caesar Berann [1915-1999] a été la peinture, formé à l’école fédérale d’art et de design d’Innsbruck. Il peint innocemment son premier panorama en 1934 et gagne avec sa production un concours pour l’ouverture de la route du Grossglockner Hochalpenstrasse. Cette distinction le pousse ensuite à utiliser ses compétences pour peindre des paysages à des fins cartographiques ou touristiques. C’est le début de son immense carrière de panoramiste. Son coup de pinceau accompagnera le développement du tourisme alpin, l’aménagement de la montagne en Autriche notamment et les plus grands événements sportifs autour du ski.
Le français Pierre Novat [1928-2007] est également passé par la case beaux-arts à Lyon. C’est en 1962 qu’il livra son premier panorama pour le domaine de Tignes-Val d’Isère. Coïncidence, son commanditaire lui demande alors de retravailler un plan d’Heinrich Berann inachevé. Plan neige de 1964, essor des sports d’hiver, croissance de la clientèle, le talent de Pierre Novat dépasse très rapidement le cadre restreint de la Haute-Tarentaise et les commandes affluent. Les domaines skiables veulent leur "plan Novat". Comme chez Berann, le dessin de Pierre Novat est saillant, épuré, hyperréaliste, un fabuleux travail sur les matières. Il se bonifiera au fil des années et des réalisations donnant une véritable dimension artistique à l’espace skiable. On retrouve dans ses panoramas des atmosphères magiques, de petits nuages légers et fondus, des montagnes ciselées, des jeux d’ombre et de lumière… C’est presque une réalité quasi photographique qui nous est offerte avec une magnifique maîtrise de la distorsion. La signature Pierre Novat a véritablement marqué l’histoire des stations de sports d’hiver en France.
Si Berann a dessiné quelques stations de ski outre-Atlantique, les domaines skiables Américains ont aussi leurs virtuoses du dessin. Le plus connu reste James Niehues, le « Rembrandt of the Ski Trail » comme l’a surnommé le New York Times, avec son style très particulier notamment dans son dessin très minutieux des arbres et qui continue encore en 2017 à 71 ans à perpétuer son art de la représentation des paysages de montagne enneigés. Comme Novat, c’est le hasard qui l’a amené vers ce métier. Graphiste, il rencontre Bill Brown à l’aube de sa retraite. Ce dernier, qui avait pris le relais de Hal Shelton [1916–2004], a peint un grand nombre de stations dans les années 70 et 80 et lui propose de prendre sa succession. Il saura grandement faire fructifier l’héritage et aussi oublier son parrain en produisant plus de 255 plans pour 175 stations à travers le monde (États-Unis bien sûr mais aussi au Chili, en Australie, en Nouvelle-Zélande…). Sans successeur en vue et en l’absence de talents émergents, l’avenir du plan des pistes au-delà de l’Atlantique risque aussi d’être numérique bien loin des esquisses, des crayonnés, des pinceaux et de la gouache.
Il serait réducteur, enfin, de résumer ce chapitre aux acteurs pré-cités bien que leurs travaux et leurs œuvres couvrent, de façon presque monopolistique, un très large spectre dans le domaine de l’imagerie de la montagne skiable. On peut citer, ainsi, les Suisses Louis Koller et Winfried Kettler, l’Allemand Wolfgang Hausamann, les Autrichiens Franz Stummvoll et Hans Oberbacher et les Français Edi et Roger David qui dans l’ombre de Berann ou de Novat ont, avec virtuosité et réalisme, produit aussi nombre de magnifiques panoramas.
La révolution numérique n’est pas encore totalement passée par la neige… Le plan des pistes souple, polymorphe et jetable a encore de beaux jours devant lui. Ses concurrents numériques ont nettement plus de désavantages. Seul le congestionnement des remontées peut présenter une information en temps réel qualitative par rapport au papier. Le visuel digital pénètre à peine le marché de la neige : Paradiski indiquait 150 000 comptes créés pour son application Yuge en 2016, 50 000 téléchargements sous Android pour iSki Arlberg... La courbe des impressions ne s’est pas encore totalement inversée ! La station des Deux Alpes éditera encore 250 000 plans pour cet hiver 2018. Un chiffre quasi-constant depuis 2009. Le plan des pistes éphémère reste encore le véritable mode d’emploi du domaine skiable, la carte routière du skieur.
Un virage visuel est par contre en train de s’opérer depuis quelques années, en France tout du moins. Les plans Kaliblue remplacent petit à petit le patrimoine Novat. Processus de renouvellement, effet de mode inter-stations, coût de réalisation moindre ? La technique du modèle numérique de terrain supplante petit à petit la cartographie artistique. Le temps des esthètes semble révolu : James Niehues n’a toujours pas trouvé de successeur alors que les plans VistaMap gagnent du terrain, Heinz Vielkind et Ingrid Schultus-Föger, les héritiers de Berann n’ont jamais totalement reproduit la dextérité et le style du maître incontesté du panorama. La directrice marketing de Sankt-Anton Am Arlberg écrivait cependant en 2010 dans SkiMagazin « Nous avons toujours travaillé avec les panoramas Berann (et ses successeurs) et nous continuerons d'utiliser ces cartes peintes, car elles sont très bien faites ». Cela reste encore vrai en Suisse ou en Autriche où Sitour, leader de la publicité sur les domaines skiables continue à mettre en valeur les plans dessinés à la main comme ceux de Arne Rohweder. Est-ce que cela durera ?
33 Commentaires
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La nostalgie c'est dangereux mais quand on voit les bouses industrielles que produisent Kaliblue et certains communicants (j'ai pas de meilleur exemple en tête que le plan de Grandvalira édité par TzschSnow), on voit que ce n'est pas donné à tous de produire des objets qui soient informatifs, communicatifs, et beaux, par dessus tout.
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J'ai "juste" un tiroir rempli chez mes parents... si un jour je décide de faire de la place je sais maintenant à qui faire plaisir !
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Merci pour cet article mérite un petite reconnexoin pour écrire un commentaire.
Merci Skipass, au passage, pour la longue conservation des comptes qui datent temps où le fond était bleu avec des flocons^^
Merci ventoux84 pour la conservation, dont on sait qu'elle sera longue, de ces documents qui représentent un pan de l'Histoire de la montagne, et qui me passionnent toujours malgré tout !
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Concernant, l'avenir, je pense qu'il y a de la place pour les 2. Les plans purement numériques sont très bien foutus pour préparer des sorties (Fatmap, opensnowmap...). Pour les plans type Kaliblue, je serais plus nuancé que Mathouf74. Ça n'a peut-être pas le charme d'un dessin au crayon et à l'aquarelle, mais il y a toujours des gens derrière la souris. C'est pas «un ordi qui fait tout». C'est le début, on sent qu'il y a toujours l'influence des styles des grands maîtres mais ils développeront leur patte j'espère.
Le dessin reste toujours intéressant pour déformer les montagnes pour rendre les plans plus compréhensibles... bref, j'en parlerais des heures... d'ailleurs il se fait tard donc je la boucle et au pieu. Mais merci pour ces bien beaux documents monsieur ventoux84 !
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J'ai appris beaucoup de choses et le fait de découvrir d'anciens plans de domaines déjà skié est très intéressant !
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Content de participer à la collecte de cette collection.
D'ailleurs : va falloir penser à une new Enveloppe pour le Vercors !
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Superbe article, merci. Je suis un grand fan de ces plans même si ma collection n'a rien à voir et avec les déménagements elle s'est bien "émiettée"...En tout cas pour la partie "lisibilité", de retour à Tignes cette année 30 ans après, je me disais que le plan des pistes était bien peu lisible (au niveau de Val Claret on ne comprend rien si on ne connaît pas)...en ressortant mon Novat de 1988 j'ai compris pourquoi, il y a très peu de "relief", c'est saisissant...j'ai posté un comparatif ici remontees-mecaniques.net
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Y a-t-il d’autres livres sur le les plans des pistes sur les oeuvres de H.C. Berann, Heinz Vielkind ou d’autres artists ou studios? Merci!
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Bonjour, voici quelques réponses à l'évolution des plans de pistes : linkedin.com
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