Après un hiver à se courir après en raison d'emplois du temps respectifs chargés, nous avons -enfin- rencontré Clémentine Junique, l'une des fondatrices de l'association "Girls to the top". Clémentine nous a reçues en mars dernier, chez elle à Chamonix, où nous avons pu échanger sur les actions menées par l'association mais aussi sur la place des femmes dans les sports de montagne. Il nous tenait à coeur d'en savoir plus sur cette association dont la vocation est d'encourager ses adhérentes à devenir moteur des sorties que ce soit en ski de rando, escalade, alpinisme etc. Enfin elle nous a présenté le projet à l'origine de l'association, un film tourné en Inde, Chine et au Népal en 2013 dont nous vous livrons le premier volet en exclusivité.
En rentrant de notre voyage pour notre film, il y avait vraiment cette attente et cette demande au niveau des filles que l’on fréquentait de créer cette communauté active, toute simple, sans revendication, avec un message simple « allez en montagne avec vos amis, formez-vous, passez devant, soyez un peu plus moteur de la sortie ».
Au niveau amateur, quand tu n’as pas trop confiance en toi, tu passes rarement devant que ce soit sur les itinéraires de ski de rando ou dans le choix des voies
L’association existe officiellement depuis 3 ans, l’adhésion est fixée à 10€, nous avons à l’heure actuelle 150 adhérentes. Dynastar est notre partenaire historique qui nous suit depuis le début. Depuis cette année nous avons Ortovox, il nous apporte leur expertise sur la sécurité en montagne et joue vraiment le jeu de la formation. Il y a aussi le CAF, des acteurs locaux, Petzl et Cross Call.
Nous mettons en place 3 événements : l’hiver, l’été et l’automne. Par exemple, cet hiver nous avons organisé une journée sécurité avec Ortovox qui nous a mis à disposition des guides, avec théorie le matin et mise en situation l’après midi. L’été nous nous retrouvons souvent en refuge pour créer du lien entre les filles. J'adore voir que les filles qui se rencontrent sur nos événement deviennent amies et continuent à faire des choses ensemble. Enfin, l’automne, nous nous retrouvons autour d'une sortie sur glacier ou lors d'un festival.
En parallèle, suite à la forte demande des filles, nous avons mis en place des week-ends formation avec des guides. C’est en supplément de l’asso, environ 100€ le week-end. Il y a différents thèmes comme « autonomie en grande voie », cela va de l’initiation au perfectionnement. Dernièrement nous avons organisé un week-end cascade de glace. J’y étais, nous avons eu un bon groupe. Ce sont des filles qui ont les mêmes aspirations, qui sont « à la cool ».
Nous avons un petit défaut pour le moment : le noyau dur est surtout basé à Chamonix, Annecy et Grenoble, c’est assez « Alpes du Nord » mais nous essayons de délocaliser un peu et de proposer des choses dans les Alpes du sud.
Le but n’est pas de se comparer aux garçons, c’est se comparer face à soi même et changer son propre rôle, une perspective beaucoup plus gratifiante. C’est agréable de se faire emmener parfois, il faut garder ce côté là. Filles comme garçons quand t’es avec quelqu’un qui maitrise, c’est la balade et c’est sympa aussi. C’est un sport différent de se dire : « je pense devant ». Même moi, quand je vais en montagne avec mon copain Pierre (ndlr : Pierre Hourticq), on en rigole dans les longueurs, il me dit « Allez Girls to the top, c’est toi qui passes en tête ». Le but c’est de faire de la montagne avec tout le monde mais avec un rôle un peu différent !
Par contre, quand je fais de la montagne avec mes copines ce n’est pas pareil qu’avec des amis forts, mon copain ou mon frère. Je pense que l’on projète moins notre ego dans la montagne. On s’encourage entre nous, on râle moins (rires) ! Je pense que l’on se responsabilise plus et ça nous donne de d’énergie pour progresser davantage. Après nous sommes un peu plus contemplatives, on prend le temps de faire une photo sans se faire gueuler dessus (rires) et forcément les sujets de discussion ne sont pas les mêmes.
Pourtant, il y a aussi cet aspect compétitif, si l’une arrive à faire quelque chose, tu te dis que tu peux le faire aussi. Dans l’association nous avons tous les niveaux, des filles qui préparent le guide à celles qui n’ont jamais mis des crampons.
Le but n’est pas de se comparer aux garçons, c’est se comparer face à soi même et changer son propre rôle
J’avais fait mon mémoire à Science Po sur le rôle du sport, j’ai théorisé le pourquoi du comment. Le sport c’est un terrain « genré », il y a un genre féminin et un genre masculin. Socialement, culturellement, nous avons construit le genre masculin autour de valeurs comme la prise de risque, la force, l’engagement en opposition à des valeurs dites « féminines » comme la grâce par exemple. En plus, la femme est celle qui accouche donc celle que l’on doit protéger au sein de la société et ne pas exposer aux dangers. Historiquement, le sport s’est bâti sur des valeurs plutôt masculines. Quand on était élevé « comme une fille » on avait moins accès à ce domaine là. Il y a ensuite les problèmes de représentations, plus un domaine est masculin moins tu te dis que tu veux faire ça quand tu es petite fille. C’est sur c’est cliché !
Plus des femmes ouvriront la voie en devenant guide de haute montagne, plus des jeunes filles se diront « pourquoi pas moi ? ». Je pense que ça évolue dans le bon sens ! Par exemple la boxe dans les années 70 il n’y avait aucun fille contrairement à aujourd'hui. Parmi tous ces sports masculins, il y a des différences hommes-femmes, le but n’est pas d’être pareil au sein d’un sport. J’ai beaucoup d’adhérentes qui se dévalorisent en disant « je ne suis pas capable » alors qu’elles en sont autant capables que mes copains. A expérience égale en montagne, les garçons vont peut être apprendre sur le terrain, sur le tas, alors que les filles, elles, vont ressentir le besoin de se former un peu plus avant d’y aller. Elles pensent que c’est un univers moins fait pour elle.
Ce film était notre premier projet officiel en 2013 avant la création de l’association. A la base nous avions crée la structure juridique parce que nous voulions que les financements du projet soient communs.
J’ai toujours eu la volonté de rencontrer des filles qui pratiquent les mêmes sports que moi dans des pays différents. C’est une façon originale de voyager. Au même moment Alice (ndlr : Alice Grenier, co-fondatrice de l'asso et partenaire du projet) venait d’avoir son concours d’avocat et j’étais tout juste diplômée de Sciences-Po, nous pouvions donc nous libérer une année et monter ce projet.
Se lancer dans un projet de film amateur c’est beaucoup de boulot ! Nous n'avions aucune expérience préalable et avons dû apprendre à cadrer ou faire une prise de son. En Inde, pendant 3 jours nous avons fait des interviews sans micro car nous pensions qu’il était branché alors que non (rires). C’était une catastrophe au début, un gros challenge !
Nous ne voulions pas décevoir nos partenaires qui avaient financé le projet (ndlr : à la suite d'un crowfunding), des 5€ de ta copine au 1500€ de la chaine d’hôtels Temmos, ils ont la même importance. Il était aussi essentiel pour nous de rapporter les témoignages des filles sur place de la manière la plus fidèle possible.
A notre retour, le montage a duré 6 mois, quelqu'un de PVS Company s'en est chargé. Le film a ensuite été diffusé pendant 2 années sur des festivals mais nous ne nous sommes pas arrêtées aux festivals de montagne. Nous l’avons par exemple projeté à la journée de la femme à Lyon. C’est un film porteur d’un message au sens large qui n’est pas obligé de se contenir au monde de la montagne.
Pourquoi ces pays ? J’avais vu qu’une jeune Indienne avait participé en ski aux Jeux Olympiques de la jeunesse : Aanchal Thakur. Nous l’avons contactée et il s’est avéré que son père était directeur de la fédération des sports en Inde. La Chine, il y avait eu un Petzl Road Trip en escalade (ndlr : voir la vidéo) du coup nous avions pas mal de contacts. Et enfin le Népal c’était aussi grâce à nos contacts communs. C’était intéressant ces 3 pays étaient relativement limitrophes. Même si les cultures sont différentes ce sont des pays qui vivent des transitions économiques semblables et un peu les mêmes transformations sur le plan des droits des femmes. Pour nous il y avait une logique, un lien...
Nous avons toujours été extrêmement bien reçues. En Inde, la famille d’Aanchal nous a accueillies chez elle, le cousin a même été défrayé pour nous faire la navette. La Chinoise avec qui nous avons grimpé était prof d’arts plastiques, elle a posé ses deux semaines de congés annuels pour nous. Idem pour la Népalaise, elle a pris 20 jours pour nous accompagner. Nous étions presque un peu frustrées de pas être avec une vraie équipe de prod, comme Arte, pour vraiment faire ressortir les aspects sociaux. Notre voyage était avec nos propres moyens, notre propre échelle, nous ne sommes pas des journalistes. Il y a surement des reportages plus profonds à faire…
Pour l’Inde nous sommes parties également avec mon père, ce qui nous a sécurisées car le premier jour nous avons quand même vécu une énorme avalanche. Pour l’anecdote nous sommes allées dans 2 stations sachant qu’il y a 3. La première c’était Manali et la seconde Gulmarg dans le Cachemire. Il s'agit de la région la plus militarisée d’Inde, même les Indiens nous disaient « mais non n’allez pas là bas ». Niveau avalanche, ils ne font rien péter y’a pas de PIDA, rien. À la moindre explosion ils pourraient penser que le Pakistan les attaque. Interdiction donc de faire péter, tu peux être à 3m du télésiège et te faire prendre, et c’est un peu ce qui nous est arrivé.
Des liens se sont crées, nous sommes restées en contact avec elles, on aimerait leur renvoyer l'ascenseur et les faire venir à Chamonix.
Nous soutenons d’autres projets au féminin, nous avons aidé grâce à l’association le voyage de copines qui sont parties en Bolivie. Nous avons apporté un soutien financier mais aussi donné une partie de nos dotations Petzl aux Boliviennes. En ce moment nous essayons de faire venir une jeune Népalaise, une grimpeuse, qui aimerait s’entrainer en Europe. C’est de l’échange de bons procédés comme l’aider à se loger, lui trouver un coach…
Nous sommes alertes sur tout ce qu’il se passe dans le milieu féminin. Il ne faut pas se cloisonner mais plutôt regarder tous les projets existants et essayer de les soutenir que ce soit en partageant une info ou en donnant des contacts de partenaires. J’ai vraiment cette vision de se serrer les coudes et se pousser les unes les autres vers le haut.
Après j’aimerai bien repartir en voyage, au Moyen-Orient par exemple, rencontrer la première femme guide pakistanaise. Il se passe tellement de choses dans le monde de la montagne au féminin...
5 Commentaires
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Et puis voir autant de filles d'un coup au pied de la Dibona ça fait une photo énorme
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Avec le CAF, on n'hésite pas à te faire passer devant pour montrer la trace en ski de rando afin de te former, de devenir plus autonome et peu importe du sexe.
C'est sur que sur certains groupes, il y a l'esprit de compétition mais tout dépend du niveau de chacun. Dommage que l'on n'arrive pas à faire du sport ensemble.
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