[Article initialement publié le 13 décembre 2016. Mise-à-jour du 30 novembre 2018 : bonne nouvelle, Rabbit On The Roof is back ! Près de deux ans après l'incendie, Peter relance enfin sa production cet hiver.]
En septembre, nous avons rendu visite à Peter Steltzner et sa femme Anati Graetz à Chamonix, où sont fabriqués les skis Rabbit On The Roof. Cet article devait s'inscrire dans une série de trois articles consacrés à la fabrication des skis, à trois échelles différentes. Le premier article est sorti il y a deux semaines et raconte notre visite de l'usine Dynastar, à Sallanches.
Ce weekend, nous avons appris avec effroi que cet endroit superbe que nous avions visité, le moulin des Praz ou "Moulin des Artistes", si particulier et hors du temps, a été détruit dans un incendie dans la nuit de vendredi à samedi 9 décembre 2016. Ils ont tout perdu, leur logement, leur atelier, les machines, les réserves de bois, les paires de skis uniques du showroom, les oeuvres d'Anati, les meubles construits par Peter, ainsi que des oeuvres de l'artiste Andy Parkin qu'il y avait aussi dans son atelier.
Joint par téléphone, Peter voudrait remercier tous ceux qui ont spontanément apporté leur aide et le font encore. Ce ne sera pas facile, mais le couple souhaite se remettre de ce sinistre dès que possible et continuer ce qu'ils ont toujours aimé faire, de l'art. Que ce soit de la peinture, de la musique, des oeuvres en bois ou des skis. Les connaissances, expériences et savoirs-faire n'ont pas été perdus, et c'est l'essentiel.
Si vous souhaitez les aider, une cagnotte a été mise en place et a déjà récolté plusieurs milliers d'euros. N'hésitez pas ! Une soirée de soutien est également prévue ce vendredi soir à Chamonix.
Notre reportage, hélas, devient le témoignage de ce qu'était ce lieu si particulier. Nous espérons qu'il vous donnera aussi envie de les aider, et nous espérons que Peter pourra continuer de créer des paires de skis uniques ornées du fameux logo de Rabbit.
Je m’appelle Peter, j’ai 51 ans, je viens de Californie et je crée des skis. Anati elle, vient de Norvège. Avant de venir à Chamonix, j’ai vécu plus de 20 ans à Paris, où j’ai fait de la création de mobilier. J’ai commencé à faire des mosaïques et des structures sur des pièces de récupération, puis j’ai appris à intégrer des éléments de bois ou d’autres matières. J'ai rencontré des artisans menuisiers chez qui je pouvais aller utiliser des machines et surtout apprendre des techniques. Je suis plutôt autodidacte, mais c’est surtout grâce à des rencontres avec des artisans, au fil des années, que j’ai pu améliorer la qualité de mes créations.
J’ai vécu de mon travail de créateur d’objets en bois pendant longtemps. Je ne suis pas devenu riche, mais j’ai vécu de mon envie de créer des choses particulières. Et puis, à travers cet acheminement d’ateliers et d’investissements, j’ai fini par racheter l’ensemble des machines que j’ai aujourd’hui. Elles proviennent d’une vieille usine de bois cintré à la vapeur. Très Jules Verne dans le style… C’était dans mon quartier à Montreuil. J’allais souvent là-bas, ils cintraient des attelages pour les brancards hippiques, ils faisaient des dossiers de chaises courbés, ce genre de choses.
J’avais comme une boulimie de travail des matières à cette époque ! Ces rencontres avec des artisans, ces découvertes de techniques, de différentes finitions, de différentes essences font qu’aujourd’hui, je veux faire des skis tous différents les uns des autres. Grâce à ces années de cintrage, j’ai compris pourquoi on choisit un arbre plutôt qu’un autre, comment le regarder, comment le scier, quelle partie en prendre, laquelle est valable pour un ski, etc. C’était tout de même un parcours assez atypique.
J’avais donc ces machines depuis deux ou trois ans, et je travaillais beaucoup pour des industriels ou des hôtels à faire des dossiers de chaises, tout ça pour payer les loyers d’un atelier assez conséquent à Paris. Je faisais un peu moins de création, et j’ai eu envie de faire quelque chose pour moi avec la presse que j'avais. A cette période je ne pouvais pas aller souvent à la montagne. Comme j’ai toujours adoré le ski étant enfant en Californie, j’ai voulu me créer ma paire. L’idée de départ était celle qui existe encore, celle de mettre en valeur le bois massif, tout en faisant un ski moderne, de freeride. C’est comme ça que tout a débuté !
Quand j’ai commencé à faire des skis, avant de connaitre Anati, je descendais beaucoup à la Grave. Ca fait un bon contraste avec Paris ! Là-bas, j’ai rencontré des guides et Sebastien Mayer. J’ai affiné ma production, je les ai rendus un peu plus souples pour le commun des mortels, et ça a beaucoup plu à des guides, ou des passionnés.
Le nom Rabbit On The Roof vient du fait que j’avais des lapins sur le toit de l’atelier à Montreuil. J’habitais au-dessus, ma fenêtre donnait sur ce toit, et des amis m’ont offert un lapin. Comme il mangeait les fils de mes enceintes, je l’ai mis dessus ! Il y avait des murets pour l'empêcher de tomber, et je lui ai fabriqué une petite maison en bois. Puis j’ai eu un deuxième lapin, et là j’ai commencé à avoir des colonies sur le toit. Un copain qui est passé a vu ça, et a dit « Rabbit ? Rabbit On The Roof ! »
J’ai trouvé ça pas mal, alors je l’ai gardé. Plus tard, j’ai vu cette gravure rupestre découverte sur l’île de Rodoy (NDLR en Norvège, réalisée entre 4000 et 5000 ans avant JC), et je me suis dit que ça ressemblait à un lapin sur des skis, alors j’ai combiné les deux ! Et finalement les gens retiennent, comme c’est un peu particulier.
Je continuais à faire des skis, à aller sur des ski-tests notamment avec Swallowmania. J’ai rencontré Bruno Compagnet, avec qui j’ai skié quelques fois, qui m’a dit de venir à Chamonix. Il voulait me présenter un copain pour faire les mises à plat des skis. C’est Lolo (Laurent Declercq), qui est spécialisé dans la finition des skis. Il venait de voir ce lieu, le Moulin des Praz.
Je suis allé voir par curiosité car il m’avait dit que c’était grand avec de vieilles machines. J’ai visité quelques jours plus tard et tout de suite j’ai dit « je peux le faire ! ». Le volume de l’atelier était parfait. Ca s’est fait en quatre mois seulement, entre le « c’est possible » et l’installation. Il m’a fallu deux semi-remorques pour amener toutes les machines ! C’était toute une aventure. La presse, il a fallu une grue de 80 tonnes pour l'installer, après que j’ai renforcé le sol car c’est au-dessus de l’eau, c’est un ancien moulin. C’était il y a sept ans.
Le Moulin des Praz, ou Moulin des Artistes, demeure et atelier de Peter, Anati et Andy, tel qu'il était cet automne, avant l'incendie :
J’ai passé un été à faire des moules. Je savais faire, j’en faisais pour des pièces de contreplaqué moulé en tout genre. Tout est vraiment fait avec des machines de menuiserie de base : ragot, dégauchisseuse, toupie, scie circulaire, calibreuse. Je n’avais pas besoin de recourir à la commande numérique. Je n’utilise pas l’ordinateur. Justement, shaper, pour moi, c’est vraiment beaucoup plus sensuel quand c’est fait à la main ! C’est une histoire de courbes… On va créer quelque chose en imaginant le ski, en imaginant le type de ski que l’on va faire, en fonction du skieur, on va imaginer un shape, et ça va créer un rayon.
Finalement, le rayon va être déterminé par ce qu’on veut, après coup. On peut l’analyser et dire combien de mètre ça fait, mais l’idée c’est plutôt de dire « Ok, on fait un ski avec 96mm sous le pied, en 183cm avec tant de relevé en spatule, tant en talon, un rapport de pintail plus ou moins gros... ». C’est comme le châssis de la voiture, ça conditionne le comportement d’un ski. Toutes ces choses là sont beaucoup plus sympa à imaginer, puis à tracer, avant de s'adapter aux matières que je peux utiliser, les débiter, les poncer, et les finir à la main avant d'enfin pouvoir les skier.
Les carres métalliques par exemple, je les cintre à froid, à un certain rayon, et ensuite je regarde comment l’acier, à ce rayon là, a envie de rentrer dans la parabole que j’ai décidé de faire. Cet ensemble va dessiner la spatule. J’essaie d’harmoniser la matière, et pas de dire « je veux ce rayon là, il faut maintenant que l’acier se plie comme ça ». Je ne me fais pas dompter par la matière non plus, hein ! Mais l’exemple des carres est bon, car elles donnent une rigidité mécanique supplémentaire au niveau des spatules dont il faut tenir compte.
Je ne les numérote pas ou ne les compte pas, mais quand je vois une paire je peux très bien savoir de quel cru il s’agit, si c’est un noyau hickory (NLDR nom anglais du caryer, un arbre à feuilles caduques d’Amérique du Nord) ou en frêne, etc. Les crus de chaque saison sont différents, car chaque année j’ai de nouvelles idées et je change certaines choses. Si ce sont des skis en mosaïque, ou en marqueterie, en bois piqué, en gravure, ou avec des détails comme des embouts en laiton, ça me permet de reconnaitre des skis que j’ai fait. Ca m’arrive parfois en montagne, et c’est génial ! D’ailleurs j’aime bien avoir un contact, un suivi avec un ski même si c’est espacé dans le temps.
Maintenant, on commence à avoir du recul avec des paires qui ont 7, 8 ou 9 ans qui tournent encore bien, les propriétaires me demandent si on peut faire des empiècements ou refaire les carres au lieu de me dire que le ski est mort et qu'ils en veulent un autre. Moi-même, je suis étonné de cette durabilité et solidité !
Les skis sont faits sous de bons cycles de chaleur, j’applique tout ce que j’ai appris en ébénisterie avec l’application des colles, la saturation, la pression uniforme, pour sortir au final des skis qui s’avèrent solides. Si on avait 10 paires de skis qui revenaient décollées, ça n’aurait pas de sens surtout pour la quantité que je produis. Mais ce n’est pas le cas, heureusement !
Tout ceci demande beaucoup de concentration à chaque étape de fabrication. Il y a plein d’étapes qui sont très rébarbatives… Comme poncer les noyaux au demi-millimètre pour obtenir la surface d’adhésion et la répartition de flex optimale par exemple. C’est long, on en sort claqué ! Tous ces petits détails font la différence dans le produit fini. Nous en dormons mieux la nuit. Nous voyons ensuite que les gens s’attachent à leurs skis. Ils créent un lien avec eux. C’est comme un instrument. On va apprendre à les connaitre, jusqu’à ce que la symbiose se fasse, car ils sont l’extension de nos corps !
Il y a d’abord beaucoup de communication avec les clients, soit sur place, soit par internet, pour savoir ce qu’ils veulent, quel type de ski, quelle finition, etc. Nous avons une clientèle assez internationale, beaucoup de professionnels aussi, comme des moniteurs et des guides. La plupart sont français, mais j’ai des paires un peu partout dans le monde, jusqu’à Singapour ! Dans tous les pays où il y a de la neige, des gens sont passionnés de ski.
Pour faire une paire, il me faut environ deux-trois jours. Mais c’est un ordre d’idée, car je ne compte pas. Je fais souvent plusieurs paires à la fois, je fais des listes de ce que j’ai à faire, je trouve des noyaux, j’envisage quelles tailles de skis ils pourraient faire : des 170, des 180, des 2m, etc. Je choisis la qualité qui serait la meilleure pour le ski.
Les noyaux sont en bois massif, et les deux noyaux proviennent du même morceau de bois que je fends en deux dans le sens de la longueur. J’obtiens ainsi des noyaux qui sont les plus identiques possible. Ensuite il faut les déligner (NDLR retirer les inégalités), les calibrer d’un côté pour une adhésion optimale pour le collage. Puis je les mets en sifflet, avant de finir aux calibrations de ponçage. Tout ce charabia technique de menuiserie, ce sont des procédés pour obtenir la répartition de flex qui correspond au ski, en faisant varier l’épaisseur du noyau. Ca peut durer une ou deux journées, selon le nombre de skis.
Je passe aussi des journées entières de sciage de bois massif pour la finition. Ce que j'appelle finition, c'est une couche de bois qui forme le dessus du ski, qui est apparente. Je scie, je ponce, je rabote, je calibre, je re-scie, je re-calibre, etc. Comme pour les noyaux, les finitions d’un même ski sont issues d’un même morceau de bois, fendu en deux. Tout ça pour finir avec une épaisseur uniforme et une bonne adhésion pour les collages.
Toutes ces choses là sont très longues, mais je ne calcule pas donc je ne peux pas dire exactement combien de temps ça me prend. Je peux passer une journée à genoux pour couper des carres, après les avoir déroulées et avant de les cintrer à froid pour les accrocher au mur. Puis j’ai tant de paires à faire, donc je vais préparer le gabarit, je vais usiner les semelles, avant de fixer les carres dessus.
Ce n’est pas du tout fini : il faut sortir le ski, dégrossir les excédents, le polir, poncer les chants à travers plusieurs grains jusqu’aux carres, le mettre en huile, poncer les chants à la main pour les arrondir, à nouveau de l’huile, etc, et j’en passe !
Il faut le rendre skiable, en travaillant les semelles et les carres. Là-dessus j’ai un copain qui m’aide, Lolo, qui a les bons outils, il fait du "tuning" pour les skieurs passionnés. C’est long aussi cette partie… On utilise des machines mais il y a toujours une part de finition à la main. Et enfin, j’appose le logo de Rabbit, soit un logo en bronze, soit appliqué au fer rouge directement sur le ski.
En ordre de prix, nous commençons à 1200€ pour les skis en stock, en skis à la commande c’est 1300/1400€, puis ça peut monter à 1500/1600€ selon les finitions, s’il y a des assemblages à marqueterie, etc. Cela permet de mettre en valeur de petits bouts de bois précieux ou des essences de bois rares.
Il m’arrive parfois de skier avec les gens avant la fabrication, pour mieux savoir ce qu'il leur faut. Je vois si la personne est plutôt à l’attaque, ou plutôt ludique, etc. Le plus difficile, c'est à partir de là, quand il faut choisir tous les éléments pour sortir LE ski que j’imagine pour la personne, tout en lui laissant le choix de certains critères.
J’appelle toutes mes créations des pièces uniques, je n’utilise pas le terme de prototype par exemple qui implique qu’une paire n’est pas aboutie : j’essaie d’aboutir chaque paire en faisant en sorte que ça corresponde à la personne.
J’ai amélioré mes connaissances du ski pour savoir comment fabriquer le ski qui va correspondre à une personne grâce à de nombreux très bons testeurs comme Seb Mayer. Ils m’ont permis d’affiner mon plaisir personnel en construisant des skis qui correspondent à ce qu’on cherche, en jouant avec les relevés de spatule, la rigidité d’un talon, etc.
C'est un processus très empirique, en tâtant le ski après de petites modifications de calibration, pour aller vers quelque chose qui est sain. J’essaie de faire des skis qui sont sains, grâce à cette construction en massif, avec des fibres naturelles d’une densité spécifique.
Pour moi, le flex est vraiment super important. Il n’y a pas UN flex qui est bien, attention ! Si on a un ski légèrement plus fin pour la rando, c’est cool qu’il soit assez tonique par exemple, par rapport à un énorme fat qui lui a déjà pas mal de surface, ou par rapport au niveau de la personne. J’essaie de faire des flex qui sont justes pour les différents registres de skis et de skieurs. Pour jouer sur le flex, je joue directement sur la calibration des noyaux, c'est-à-dire sur leur épaisseur.
Je mets les mêmes quantités de fibres pour chaque paire, le minimum, et je fais seulement varier cette épaisseur. Les fibres servent seulement au noyau à garder sa mémoire dans les appuis répétés que le ski subit. Si on a un ski avec beaucoup de fibres, on va le sentir, mais cette inertie n’est pas très intéressante et le ski devient un peu pataud… On peut aussi obtenir des différences subtiles avec la finition (la couche de bois supérieure, je n’aime pas le mot topsheet). Selon les bois, ça joue légèrement sur le flex final.
Mon idée, c’est que chaque ingrédient va vibrer dans un ski. Chaque vibration va être transmise au skieur, à l’échelle du micron peut-être, mais nous allons sentir ce cumul de vibrations. Le titanal ou les autres alliages métalliques ont leur qualités, mais aussi un côté froid, nerveux. Le ski en bois, lui, va être très harmonieux, très doux, et je préfère travailler à travers la qualibration du noyau pour jouer sur le flex.
Je préfère ainsi faire des skis avec le moins d’ingrédients possibles, pour limiter ces vibrations. J’évite les jonctions dans des parties faibles du ski, surtout devant les fixations. Mon but est que ça dure le plus longtemps possible ! Une sorte de minimalisme, bien fait, sincère et cohérent.
Beaucoup de skis industriels, eux, visent une facilité d’accès pour le commun des skieurs qui va skier une ou deux semaines par an, sans forcément avoir le bagage technique et la condition physique pour skier fort. Attention, c’est génial de faire des skis pour ce genre de personne, ils ont leur façon de prendre du plaisir et c’est ce que j’adore avec le ski, on a pas tous besoin de sauter des barres rocheuses pour s'amuser, et moi le premier.
Mais par rapport aux différences entre les skieurs, que ce soit en gabarit ou en niveau de ski, je n’ai pas le problème des industriels : j’adapte le noyau et donc le flex à chaque personne, directement. Et les gens apprécient énormément.
Par exemple, un ski pour Seb Mayer, c’est un ski très différent des autres. C’est la personne pour qui je fais les skis les plus raides (NDLR : nous confirmons), je fais donc un noyau plus épais, simplement. Il adore les skis raides, et grands. Il est physique, il a un bagage de ski alpin, il aime bien le derby, il aime bien skier très vite, il aime bien les grandes courbes en permanence. Il a le terrain pour le faire à Verbier ! Il skie de haut en bas tout le temps, et il est sportif. Toujours avec la banane, sans se mettre au-dessus des autres. Il a des skis qui ont plein de saisons qui restent bons pour lui, qui gardent leur flex.
Faire des skis pour Seb m'a beaucoup appris, car si tu fais un ski trop souple pour quelqu’un qui a un gros bagage technique, qui veut bien finir ses virages, qui veut un talon qui ne décroche pas, ça ne va pas lui plaire. Seb quand il est à Mach 2, il va être content d’avoir un ski avec un talon présent qui va lui permettre de se remettre en avant s’il part un peu à cul…
Concrètement, pour le ski en lui-même, l’important ce n’est pas tant l’origine de l’arbre, mais sa qualité de croissance. Avec le frêne, c’est une essence européenne maintenue, surveillée et gérée, on a donc des arbres de très belle qualité qui peuvent venir de Bourgogne ou d’autres endroits en France. Néanmoins, je préfère travailler avec des arbres qui viennent de la vallée, que je peux observer avant qu’ils ne soient coupés. Mon regard sur les arbres, plus que la provenance, c’est la qualité des fibres. Les arbres sont comme nous : on grandit, on se blesse, on passe dans une tempête, etc. Ca laisse des traces, et au moment de scier, on voit ces choses là chez eux.
C’est important pour moi d’être très sincère et de ne pas se dire « oh bah c’est pas grave, ils ne vont pas le voir ». Mais plutôt de se demander ce qui serait le mieux pour ce ski. Par ce processus, je tente d'amener ce que je peux de meilleur de mes connaissances à chaque niveau de fabrication, dans le but final d'augmenter le plaisir que l'on prend en skiant. C’est ça l’artisanat pour moi.
Pour le bois, l’important c’est que la croissance de l’arbre soit positive et saine. Certains arbres, quand tu les coupes, tu vois que ça ne va pas. Si l’arbre grandit dans une zone où il y a souvent des vents ou qu’il subit une tempête, il va se vriller et se créer des stress internes qu’on va voir au moment du sciage. On va aussi voir la qualité de son port (NDLR sa morphologie, la forme de ses branches par rapport au tronc), qui représente la vitesse et la façon dont il a grandit. Il faut chercher une belle fibre pour faire le ski, et non pas une partie avec des noeuds, des défauts, du stress. Il y a plein de petites subtilités qu’il faut prendre en compte pour que le ski ait cette souplesse qui existe dans le frêne.
L’année dernière j’ai fait un ski de randonnée en noyau en balsa. Du coup il faut compenser avec des fibres. Le ski va être léger, mais c’est un ski qui ne va pas être confortable dans les neiges dures ou sur la glace. Et surtout il n’est pas flexible, il n’a pas une qualité naturelle dense. Avec le frêne, on faisait des arcs ! Ce sont des choix qui sont dictés par la mécanique du bois.
Maintenant, il y a ce phénomène des skis light. Effectivement, on peut faire des skis plus légers. Seulement, ils ne vont plus avoir le même amorti neige ou la même capacité d’absorption, qui sont très importants pour la descente et le plaisir qu’on va en tirer. Et aussi une durabilité différente. Pour l’industrie c’est OK, la personne va s’adapter, et au bout de deux saisons il va changer, après avoir oublié qu’il a dépensé ses 700 euros. Ce n’est pas la même démarche.
L’industrie a réussi à faire penser aux gens qu’il faut un ski light. Mais ils ne pensent pas au fait qu’il y va avoir un transfert de performance. C’est super marketing ! Nous on le voit, depuis deux ans on a des demandes sur le poids des skis. Alors qu’avant personne ne se posait la question ! Pour un guide, ou quelqu’un qui monte beaucoup, ça justifie la petite perte de performance au profit du poids, mais en ce qui me concerne, je ne veux pas tomber là-dedans. A la descente, tu es à la rue dans les changements de neige, entre neige dure et neige souple, en trafolle, etc.
Nous ne faisons pas beaucoup de pub. Nous avons un site et une page Facebook, mais nous nous en servons peu. La plupart des clients viennent par le bouche-à-oreille, et c’est adapté à notre production ! Nous fabriquons autour de 80 paires par an. Je pourrais en faire plus, mais ça ne m’intéresse pas vraiment. En plus l’été, je fais aussi des travaux à côté, une belle table par-ci, un beau comptoir par-là. Ca permet de faire un break dans la monotonie de la répétition ! C’est vraiment ce choix de ne pas se dire « pour gagner tant à la fin de l’année, il faut que j’en fasse 150… ».
Je préfère augmenter les prix selon les paires pour avoir un prix de base qui permet de payer les charges, l’URSSAF, la structure artisanale et avoir le temps pour skier, partir en montagne, aller à la mer une semaine et ne pas devenir esclave à travers le travail. Il faut que ça reste une passion ! Je ne veux pas rentrer dans ce cercle vicieux, où on investit dans des machines qui permettent de faire plus de paires, mais qui aussi qui nous y obligerait à cause de cet investissement.
Je veux surtout partager la passion et faire des produits qui correspondent aux gens, qui augmentent le plaisir par la qualité des ingrédients, et aussi l’esthétique. On s’y attache quand c’est beau ! Un vieux ski qui s’est fait marcher dessus, qui a boité quelques fois sur des obstacles, ça ne l’abime pas, ça le patine. C’est une éducation ça ! Avec de temps en temps un coup d’huile, on l’entretient.
Je fais des finitions huilées, pour ne pas tomber dans des finitions plastifiées qui elles vont se rayer puis casser. Les vernis en polyuréthane sont efficaces, mais c’est finalement une fine couche de plastique, et quand on va les rayer, ça va blanchir. Le bois ne va pas respirer et s’embellir. Donc la technique de huiler, c’est naturel, et ça fait des objets comme ceux que nous avons ici, avec des petites marques qui ont toutes une histoire. Et le ski reste performant !
Cela fait le lien avec mon amour pour les objets anciens, les antiquités, la brocante, etc. C’est ce que j’aime dans le ski, unir la beauté et la haute performance, joindre la réflexion au ski dans ce qu’on recherche, affiner tout le temps. C’est comme les voiture, et nous, nous avons une marque de voiture un peu particulière, ou bien une recette de cuisine, et nous essayons de ne faire que des bons plats afin que les gens reviennent.
Nous avons passé un après-midi "hors du temps" à discuter avec Peter de son travail, son art et sa vie. Il nous a offert une vision différente et originale de cette passion du ski que nous avons en commun. Nous voulons sincèrement le remercier pour ça.
Une grande partie des choses qui sont présentées dans cet article ont donc été détruites, l'atelier, le logement de Peter et Anati, l'atelier et les oeuvres d'Andy, les stocks, les skis, les outils. Mais tout le monde est sauf, même le chat, tout n'est donc pas perdu, les savoirs demeurent.
Nous sommes de tout coeur avec eux dans cette épreuve qu'ils traversent.
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De tout coeur avec le lapin pour ses créations magiques, qui m'ont laissé ce souvenir unique, que j'aimerai bien retrouver !
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J'avais eu la chance d'en skier au UTT à la Grave il y a 3 ou 4 ans, par curiosité au départ, pour découvrir finalement des planches exceptionnelles, hyper vives, bien loin de l'idée que je me faisais d'un ski en bois.
Et Merci à Peter pour ce discours plein de bon sens sur la recherche effrénée du gain de poids.
Longue vie au Lapin !!!
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"Il y a plus de deux mois, un violent incendie détruisait les ateliers de l’artisan Rabbit on the roof et de l’artiste Andy Parkin Les artistes du Moulin ont retrouvé un toit
Quelques paires de ski, noircies, ont survécu à l’incendie. Mais ces quelques spatules estampillées “Rabbit on the roof” doivent encore être toilettées. Le sculpteur et peintre Andy Parkin a, lui, pu sauver davantage d’œuvres. Depuis s’ils ont trouvé refuge dans le local de l’ancienne pharmacie d’Argentière, la question de la reconstruction se pose.
On pousse la porte de l’ancienne pharmacie d’Argentière et voilà qu’une odeur de cire d’abeille s’engouffre dans nos narines. Le local, dans l’artère principale de ce village situé entre Chamonix et Vallorcine, expose, au rez-de-chaussée, quelques paires de ski en bois estampillées “Rabbit on the roof” ainsi que des tableaux et sculptures d’Andy Parkin. Pas une adresse définitive, non. Mais un « camp de base » provisoire…C’est la solution proposée aux sinistrés après le terrible incendie ayant, pendant plusieurs semaines, hanté leurs nuits. Le feu a détruit en décembre un bâtiment communément appelé Moulin des artistes, situé aux Praz, sur la commune de Chamonix. Cette ancienne scierie équipée d’un moulin à eau, d’où son nom, propriété de la familleVouillamoz, abritait leurs ateliers.Seules quelques paires de ski ont pu être sauvées Le sculpteur et peintre Andy Parkin considère qu’il a « eu de la chance » car il a pu récupérer une partie importante de ses œuvres. L’issue est plus tragique pour Peter Steltzner : l’artisan a perdu la totalité de son atelier Rabbit on the roof, dans lequel il créait à la main des skis en bois avec Laurent Declerq, chargé de la “mise au point” des skis. Seules quelques paires ont pu être sauvées parmi un stock important qui ne demandait plus qu’à être livré pour Noël. Parmi les survivantes, certaines, noircies, doivent encore être “nettoyées” La pharmacie ayant récemment quitté les locaux, des amis d’Andy Parkin, propriétaires des murs, ont proposé gracieusement ce local. C’est ainsi que, plus de deux mois après l’incendie, les artistes et artisans, parmi lesquels la compagne de Peter Steltzner, Anati Graetz, recollent peu à peu les morceaux.Il a d’abord fallu sortir les gravats et récupérer ce qui pouvait l’être au Moulin. Puis protéger les voûtes avant l’arrivée - tardive heureusement - de la neige.« Garder le contact avec les clients »Et maintenant l’installation dans cette boutique d’Argentière, qui permet de « garder la présence intellectuelle » de Rabbit on the roof et d’apporter une activité artistique supplémentaire au village: « C’est un endroit où on peut imaginer une expression créative et garder le contact avec les clients ». Un vernissage devrait bientôt être organisé.Imaginer une solution provisoire de production Il faut aller de l’avant. Ce week-end se pose la question de la reconstruction: « Nous avons une discussion prévue avec les propriétaires du Moulin pour imaginer une suite à long terme et ainsi mieux imaginer une solution provisoire de production », raconte Peter. Son objectif: réintégrer un jour le bâtiment des Praz qu’il aimerait voir renaître de ses cendres. « Cet endroit a une âme, on s’y sentait bien. » Même sentiment pour Andy Parkin qui a passé 24 ans là-bas. Reste désormais à savoir selon quelles conditions et à quel point l’équipe, qui n’était pas assurée, devra s’investir dans le projet de reconstruction."
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Tout mon soutien à Peter !
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