[récit] Le Mont Blanc de Juliette

En moyenne 20 000 personnes tentent l'ascension du Mont Blanc chaque année mais l'une d'entre elles a retenu notre attention. Vendredi 10 juin 2016, Juliette Farat atteint, avec ses skis, le sommet culminant à 4 810m. Il s'agit d'une première pour la jeune femme mais celle-ci a une portée symbolique : Juliette, 25 ans devient la première personne atteinte de mucoviscidose à gravir le toit de l'Europe. Amie proche de la rédaction, il nous tenait à coeur de vous partager cette ambitieuse aventure menée par une skieuse au mental d'acier. 

- Depuis combien de temps l’idée de gravir le Mont Blanc te trotte en tête ?

J’ai toujours vu ce sommet, depuis mon plus jeune âge, sans jamais penser un jour pouvoir le tenter. C’est en pratiquant quelques courses d’alpinisme dans le secteur de Chamonix que m’est venue l’idée de gravir le Mont Blanc. Et c’est principalement cette année que je me suis sentie les capacités d’y arriver. C’est donc devenu à la fois un rêve, un défi mais aussi un symbole pour pouvoir ensuite transmettre un message.

- C’est une première pour une personne atteinte de mucoviscidose !

Oui, c’est une première pour une personne atteinte de cette pathologie et également en ski. Certes l’ascension allait être plus fatigante en portant des skis mais cela me semblait évident car c’est avant tout ce que j’aime en montagne. Je n’ai d’ailleurs pas regretté car les conditions étaient incroyables : une descente dans la face nord, au milieu des séracs et surtout avec une neige poudreuse !

- Comment t’y es-tu préparée l’hiver dernier ?

Nous avons passé beaucoup de temps avec mon copain cet hiver à Chamonix. En ce début d’hiver la neige n’étant pas au rendez vous, nous avons commencé par plusieurs courses d’alpinisme, telles que l’arête Midi Plan et l’arête des Cosmiques.
Une fois la neige tombée, nous avons d’abord bien profité de la saison de ski pour sortir nos "fats" : Pas de Chèvre par le couloir rectiligne, Glacier Rond, nombreuses "Vallée Blanche" et journées poudreuse aux Grands Montets et à la Clusaz !

Et puis ont commencé les "grosses bavantes" : Brèche Puiseux, les Trois Cols, le Buet... Nous avions ciblé le mois de juin pour réaliser ce défi, après mes examens. Il était donc indispensable au mois de mai de faire un dernier test en réalisant un 4000. Nous avons choisi le Grand Paradis en Italie, par le refuge Chabot, dans de super conditions ! Tout s’étant bien passé, nous étions prêts à tenter le toit de l’Europe !

- Qui t’as accompagnée ?

Je n’ai pas fait appel à un guide, je suis simplement partie avec mon copain. On a fait toutes nos sorties ensemble cet hiver. C’est une personne qui a beaucoup d’expérience en montagnes et qui avait déjà fait l’ascension du Mont Blanc trois fois. J’avais donc une entière confiance en lui.

- Quel itinéraire avez-vous choisi à la montée et à la descente ? 

Nous sommes partis du plan de l’Aiguille le jeudi 9 juin au matin pour rallier le refuge des Grands Mulets à 3 051m d’altitude. Il a fallu 3h30 pour monter dans des conditions plus que moyennes, avec au départ du soleil, très vite rattrapé par le grésil au niveau de la jonction, qui n’était d'ailleurs pas très engageante... Nous avons profité de l’après midi pour nous reposer et déguster la bière brassée par Ludo et Kevin, les gardiens du refuge. Merci à eux !

Nous avons quitté le refuge le vendredi 10 juin à 3h du matin, sous un ciel enfin étoilé, en direction du dôme du Goûter par l’arête Nord du dôme. Une fois arrivés au refuge Vallot à 4300m, il restait l’arête des Bosses à gravir avec les skis dans le dos pour enfin arriver au sommet après 10h d’ascension, sous un soleil radieux. Les derniers pas ont été lents et difficiles, mais l’arrivée n’en a été que plus belle avec une super ambiance au sommet. Avec des conditions optimum, sans vent, ni grand froid, nous avons passé près d’une heure là-haut à admirer le paysage et à passer des coups de téléphone !

Il était ensuite temps de redescendre rapidement les skis aux pieds afin de ne pas louper la benne de retour. Nous avons emprunté la face Nord par l’itinéraire des grands et petits plateaux, dans une ambiance grandiose au milieu de buildings de glace, pour retomber sur l’itinéraire de montée au niveau du refuge des Grands Mulets.

A 16h30, nous sommes enfin arrivés au plan de l’Aiguille pour redescendre à Chamonix.
Nous avons choisi de le faire à ski car c’est j’ai toujours pratiqué ce sport. Mes skis m’ont accompagné durant tout l'hiver, même s'ils ne sont pas les plus légers, il me tenait à coeur de les monter là-haut! 

 - De quelle manière as-tu géré cette ascension à 4 810m et ta maladie ?

J’ai eu la chance de ne pas souffrir d’un mal aiguë des montagnes, qui aurait pu entraîner des complications assez graves. Il restait à gérer l’aspect respiratoire qui aurait pu aussi me faire défaut. En adoptant un rythme lent, une respiration calme et régulière et en s’alimentant et s’hydratant toutes les 20 minutes, je n’ai ressenti aucune gêne tout au long de l’ascension.

Cependant les derniers pas ont été difficiles, sans doute à cause du manque d’oxygène. Ce n'était pas sur le plan respiratoire, mais sur le plan physique, comme pour la plupart des gens. 

Après avoir présenté mon projet quelques mois auparavant à mon médecin, un traitement un peu plus adapté m’avait aussi été prescrit.

- Tu as d’autres projets en tête ?

Pas de projets de cet envergure pour l’instant. Je vais tout d’abord profiter de l’été pour me mettre à l’escalade. Et probablement repasser du temps à Chamonix l’hiver prochain ! Il y a tellement de choses à faire, plus techniques, dans ce massif, mais seulement l’apprentissage et l’expérience me permettront de cibler des courses plus engagés ces prochaines années.

- Quelque chose à ajouter ?

Lorsque je suis née, le sport était totalement proscrit pour cette pathologie. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui n’ont pas suivi cette règle et qui m’ont toujours emmenée crapahuter dans les Aravis.

Aujourd’hui les choses sont en train de bouger et les médecins nous conseillent maintenant de pratiquer une activité sportive régulière. Je le ressens d’ailleurs au quotidien, je vais beaucoup mieux lorsque je ne suis pas en ville et que je me bouge. Je suis donc convaincue qu'il s'agit d'une partie indispensable dans mon traitement et que grâce à tous ces efforts je vais encore très bien à l’âge de 25 ans.

J’espère bien sûr, grâce à cette ascension, apporter un petit peu d’espoir à tous ces gens porteur de cette maladie et leur prouver que l’activité physique est un moyen incroyable pour garder une bonne capacité respiratoire. Pour conclure, un grand merci à mon Pierrot et au refuge pour cet accueil !