Bien longtemps oui qu'on en parlait de ces deux jours à passer skis au pieds. Longtemps que sur le calendrier dans la cuisine, les 2 et 3 mars 2024 sont entourés. Le coup de crayon est daté, usé, mais il ne trompe pas : "Week-end ski de rando avec Félix".
Si la date est arrêtée, notre duo de choc a carte blanche pour le reste : nous irons là ou les conditions seront les plus propices à une belle traversée à ski, peu importe où. L'Alaska, le Japon, l'Iran ou le Kazakhstan sont en tête de liste... Mais pour deux jours, on va se cantonner à la Suisse... Le rayon d'action s'étend du Chablais au Val Poschiavo, du Niesen au Cervin, et c'est déjà pas mal.
Sur le fond, nous souhaitons plutôt réaliser une traversée donc ; parce que partir à peau d'un point A pour rejoindre un point B est toujours fascinant. C'est un peu renouer avec l'essence du ski et ça permet de découvrir des coins parfois très isolés. Nous voulons être au cœur de la montagne et retrouver une certaine idée de nature, autant la notre que la sienne.
Pour coller au mieux avec l'esprit de la chose, nous partirons en autonomie. Réchaud, popote, sacs de couchage, palmes, masque, tuba etc... L'accès se fera en transport en commun. Ça signifie fermer la porte de la maison avec tout le matos sur le dos et en chaussure de ski.
On improvisera pour le dodo, au mieux on trouve un toit, au pire ce sera un trou dans la neige. C'est que c'est lourd une tente...
Pour la bonne réussite d'un projet si ambitieux, une longue et méticuleuse préparation est primordiale. C'est ainsi que tout se décidera... la veille au soir.
La météo s'annonce délicate. Toute la semaine je ponce l'écran de mon portable à essayer de trouver un massif en condition. Les regards se tournent surtout vers l'est, qui bénéficie des meilleures conditions d'enneigement. Mais les prévisions sont pessimistes. La météo sera de facto la principale variable dans le choix de la destination.
Si le samedi parait correct sur une grande partie de la Suisse, le dimanche pose problème. Un temps très perturbé est annoncé, avec des précipitations intenses et continues, un vent tempétueux généralisé... Pas vraiment le genre de conditions dont tu rêves pour un dodo sous les étoiles. J'imagine déjà annuler, ou pire, devoir se rabattre sur une sortie à la journée...
C'est finalement en 20 minutes vendredi soir que nous décidons de partir là-bas. On se met rapidement d'accord par téléphone sur un circuit alléchant, adapté aux conditions nivologiques qui s'annoncent malheureusement défavorables. Ce ne sera pas une haute route de pentes raides, rien d'extrême. On opte pour une traversée Sud Nord pour se laisser les chances de descentes en neige poudreuse sur les versants ombragés. On en profitera ainsi pour peaufiner notre bronzage à la montée dans les faces sud.
Allez, un dernier p'tit check sur le matos : tu prends le réchaud, je prends l'apéro et hop, dodo.
J'ai pas pris de crème solaire, trop lourde.
L'ambiance est détendue, on rigole bien, les trains s’enchaînent. Zurich , Landquart... Ce voyage nous permet de prendre le temps d'affiner notre plan de route et d'échanger sur des détails : passages clefs, alternatives, etc... Il permet également à la banane que j'oublie lentement dans la poche de ma doudoune de passer de l'état solide à l'état liquide.
Dans la vallée du Landquart, nous jetons un coup d’œil intéressé aux versants nord. C'est par là que devrait se terminer notre périple. La limite d'enneigement semble se situer vers 1300m à vue d’œil, un peu plus bas avec de la chance. La gare est à 800m, on ne coupera pas aux joies du portage en fin de parcours, personne n'est dupe.Je suis charmé par la région de Davos, une vraie petite ville haut perchée avec une multitude de possibilités. Un endroit idéal pour les amoureux de la montagne sous toutes ses formes. Pas étonnant que le SLF ait décidé d'y poser ses bureaux.
Nous descendons quelque part au sud de la vallée. Il fait très beau, très doux, pas un pet de vent et j'ai laissé la crème solaire à la maison.
L'exotisme de l'ambiance est renforcé par les douces effluves de banane qui se dégagent de mes poches. Il est un peu plus de 11h quand nous mouillons les peaux sur des pentes sud-est.
À ma grande surprise, nous pouvons partir skis au pieds à 1500m. Inimaginable dans les alpes bernoises à cette période en versant sud.
L'enneigement est quasi continu, un léger déchaussage de 2 minutes et c'est tout. À 1700m, j'hallucine sur l'épaisseur de neige sur le toit d'une cabane d'alpage. Je ne suis plus habitué.
Nous sommes en T-shirt, et il fait chaud. Ça par contre, j'y suis bien accoutumé après un mois de Février caniculaire. Dans une forêt de sapin, la neige tombée l'avant veille fond à grosses gouttes. Certaines, plus précises que d'autres, visent la nuque.
Au sortir de cette forêt rafraîchissante, nous trouvons les pentes ouvertes qui nous mènent droit vers le premier objectif majeur du périple : un magnifique bistro d'alpage, ouvert et fort accueillant.
Nous sommes partis depuis une heure et nous voilà enfin déjà en terrasse avec une bonne petite bière. Traversée autonome certes, mais assistance autorisée. On n'est pas sur le Vendée globe non plus. On rigole bien, on profite des conditions plus que printanières et du magnifique panorama sur ces piz par dizaine dont j'ignore tous les noms.
Sur ma montre, je lis 36°. Par chance pour la suite, je ne lis pas ça sur la bière.
Et heureusement... Félix a de la crème.
Petite parenthèse pour les chiffres addicts (cela n'a pas été notre priorité) : A vol d'oiseau notre parcours fait environ 20km sur la carte. En distance réelle, j'en sais rien : une cinquantaine environ. C'est que ça monte, ça descend, ça zigzag... C'est pas tout droit c't'histoire! En terme de dénivelé, environ 3000m de D+, et 3700m de D-, la aussi, estimation grossière, n'ayant pas enregistré de trace gps.
En bref, des chiffres d'une petite matinée d'entraînement pour n'importe quel skieuse arêchoise...
Allez, fin du coup de chiffre, retour aux lettres.
Félix imprime un rythme impressionnant pour quelqu’un qui n'a qu'un croissant et demi (et un demi) dans le ventre depuis 6h du mat. Le bougre trace sans sourciller alors que je me goinfre discrètement de pâte d'amande pour tenir la cadence.
Les pentes sont douces mais magnifiques. Sous le soleil qui baisse, la lumière devient de plus en plus belle. On fait des pauses photos qui, c'est sûr, font du bien à notre horaire. On est là pour profiter de ces beaux instants, alors on s'applique. Je n'ai pas voulu prendre le reflex, trop lourd et encombrant, je me débrouille avec le compact lumineux. Mon binôme, plus courageux, a pris le gros appareil, il se régale.
Au cours de la montée, un voile laiteux s'installe lentement et le vent se lève. L'ambiance se rafraîchit, ce n'est pas si désagréable. Cette sensation mixte entre la chaleur de l'effort et le froid extérieur nous enveloppe. Chaud dedans, frais dehors, un autre plaisir du ski de rando.
Nous croisons un groupe à la descente, mais sommes seuls à monter à cette heure. Être à rebours, c'est parfois être libre.
Nous arrivons sous le premier col du périple. Pause sandwich. Mentalement ça fait du bien : on va enfin pouvoir alléger les sacs. Physiquement... ça fait pas de mal.
Un coup d’œil à la carte, le sommet d'à côté est au menu. Il culmine à un peu plus de 2700m. Nous devons le contourner par l'est, ensuite on peut descendre par un beau couloir Nord-ouest. Enfin ça, c'est la variante la plus directe pour notre itinéraire. Le couloir est raide et demande des conditions bien stabilisées.
Le manteau neigeux est très irrégulier sur sa partie supérieure. Le BERA mentionne un problème de neige ancienne marqué, ça se confirme. Les tests au bâtons ne rassurent pas vraiment, des plaques récentes déclenchées spontanément sur les faces alentours complètent le tableau. Mouai, ça sent pas bon.
N'ayant pas pu tester les pentes nord, nous décidons d’être raisonnables en choisissant un aller-retour par les pentes est, plus douces et moins chargées. Il faudra repeauter pour rejoindre le col une centaine de mètre au dessus. C'est plus long, mais c'est plus safe... et c'est quand même très beau et skiant.
Nous laissons du matériel sous le col, afin de reposer un peu le dos et accessoirement éviter la tentation de plonger dans le couloir si d'aventures devaient chanter les sirènes...
La pause pique-nique a eu l'effet de tout rapidement refroidir. Des gros nuages semblent fondre sur nous depuis le Sud. En deux heures on est passé de l'été à l'hiver.
La montée finale vers le sommet se passe bien, en doudoune. Je monte en petits gants, ayant laissé les moufles sous le col, brillante idée. Je me caille les doigts.
Nous arrivons sur l'arrête sommitale, bien enneigée. Le vent est curieusement moins soutenu, je retrouve l'usage de mes doigts. Nous décidons de rejoindre le sommet principal au bout de l'arrête. Un petit passage à peine délicat mais ça passe à ski sans soucis. Nous voilà en haut du premier sommet!
Ambiance noir et blanc. Nous ne traînons pas et rangeons soigneusement les peaux dans les vestes. La descente sera irrégulière. La visibilité n'est pas optimale : on n'est pas complètement dans le jour blanc, mais ça en prend la couleur... La pente est belle mais la neige changeante. Quelques passages en poudre, d'autres en neige plus compacte et un peu de croûte. Ce n'est pas là qu'on lâchera les chevaux malgré deux ou trois virages bien agréables.
Nous rejoignons notre matériel et sommes survolés par un hélicoptère de la rega à basse altitude, juste histoire de nous rappeler que nous ne sommes pas seuls au monde.
Allez, le temps est passé vite. Si le dénivelé n'est pas très important, les pentes douces et la distance sont chronophages. L'après-midi est bien entamée, il va bientôt falloir songer à trouver un endroit pour passer la nuit.
Nous savons que derrière le col plusieurs possibilités peuvent s'offrir à nous. Reste à savoir jusqu’où nous pourrons tirer. Nous remettons donc les peaux sous les skis et les sacs sur le dos pour une courte montée sans difficulté. Cerise sur le gâteau : une dernière conversion plutôt coquine, bonne rigolade pour les deux.
Une belle descente s'annonce. Une pente ouest dans un premier temps avant de plonger plein nord dans une magnifique face. Surprise, une éclaircie pointe son nez pour, espérons le, laisser parler la poudre.
Raté, la neige n'est pas d'une qualité fabuleuse. Il est coutume de dire qu'il n'y a pas de mauvaise neige, que des... mauvaises interprétations... Bon, nous ne sommes pas pro-skieurs...
La pente ouest est une alternance de poudre compacte (miam) et de croûte cassante (beurk). Dans la pente nord, ça s'améliore un peu. La partie plus raide est aussi en miam-beurk, mais on trouve de la super neige dans les pentes plus douces en dessous. Enfin de belles sensations pour enchaîner quelques virages en mode cruising.
Ravis de cette neige poudreuse sur les derniers hectomètres, nous sommes conquis par le relief harmonieux éclairé par les derniers rayons de cette belle et longue journée.
C'est trop beau, et nous passons du temps à photographier. Un arrêt tous les 10 mètres pour profiter d'un point de vue sans cesse renouvelé. Quelle chance de pouvoir être en montagne à ce moment là de la journée, qui plus est dans de telles conditions.
Même si la neige n'est pas 5 étoiles en terme de ski pur, c'est toute l'ambiance de cette traversée qui s'imprègne de la beauté de cette lumière rasante. Une bergère me disait il y a peu que lorsqu'elle est en estivage, ce moment de fin de journée est un pur bonheur : tout est calme, les moutons, les chiens. La montagne se repose aussi. Il n'y a plus qu'harmonie et plaisir d'être soi même.
Pas de moutons ici, mais ces sensations sont partagées.
Le shooting du soir se termine et le soleil s’apprête à disparaître derrière les plus hauts sommets. Nous sommes à 2000m et quelques mayens tout proches se profilent comme une belle option pour passer une nuit à l’abri. Le premier est grand ouvert, à moitié enseveli sous la neige. C'est un abris à foin, sans vraiment de foin. On décide avec le plus grand respect d'y installer notre bivouac d'un soir.
L'ensemble du mayens est fait de troncs d'arbres bruts : les murs, les poutres, tout, sauf le toit en tôle. Nous trouvons un endroit sec et à plat sur quelques planches de bois.
On se demande comment les gens ont pu faire pour monter ces énormes arbres jusqu'ici à une époque ou l'hélicoptère n'était encore que fantasmé. Les quelques objets plus ou moins abandonnés nous transportent dans une ambiance du XIXe siècle : une paire de ski en bois, une lampe à huile rouillée. Quel âge ont ils? Quelles histoires conservent ils?
Je me plais à imaginer l'arrière arrière grand père de Candide balancer des doubles back sur ces lattes d'un autre temps... Il est l'heure de mettre la neige dans la casserole.
La température a baissé, le vent s'est levé, et notre abri nous isole étonnamment bien des rafales malgré de larges ouvertures sur l'extérieur. Nous faisons fondre de la neige et buvons du thé chaud, un délicieux bouillon puis un couscous insipide. On a beau entendre que les repas de bivouac sont souvent les meilleurs du monde, le seul bienfait que je trouve à ce couscous lyophilisé est qu'il ne donne pas envie d'en reprendre. Sur la carte des desserts, on opte pour quelques carrés de chocolat, ça relève le niveau.
Bien rassasiés, nous tentons des autoportraits au retardateur... Les poses longues nous valent quelques sorties de corps.
Allez, ça commence à cailler , un collant et au lit.
Y'a pas à dire, un vrai sac de couchage, c'est le pied total. C'est trop douillet tout ce duvet de canard. Miam du canard... Bon, c'est pas le moment.
On jette un coup d’œil aux cartes topo, le constat est assez simple : en terme de distance, nous avons dû faire un tiers du programme. Il nous reste pas mal de km à parcourir pour un dénivelé positif d'environ 1600m. Quelques portions en traversées et quelques faux plats. C'est largement jouable.
En attendant, nous discutons et rigolons bien avant de nous endormir pour une nuit qui évidemment sera parsemée d'une multitude de petits réveils. Bonheur des nuits en pointillés... La prochaine fois, je prends un sac de 80l et j'emmène un oreiller.
Le vent souffle très fort en rafale, il invite quelques flocons de neige soufflée sur nos sacs. Je suis heureux de ne pas être dans un trou de neige.
Au matin, j'ai l'impression de ne pas avoir vraiment dormi, mais suis quand même reposé. En ouvrant les yeux, il fait déjà jour. Au final, la longueur de la nuit semble avoir compensé la qualité du sommeil.
On retrouve ce décor d'un autre temps. Un air de far west. Félix en profite pour passer un morceau country de Gillian Welch qui pose l'ambiance :
- Les chevaux sont toujours là cow boy?
- Yep.
- Alors, je dirais on continue vers le Nord.
- Yep.
La prochaine fois, je prends un sac de 120l et j'emmène un banjo. Allez, un petit déj, on plie et on selle les skis.
Le ciel est gris, mais le vent s'est calmé. Nous n'avons pas eu la chance d'assister à un lever de soleil aux couleurs transcendantes ce matin, c'est une lumière diffuse, un noir et blanc naturel qui a pris les commandes.
Nous repartons en mode montée pour plusieurs kilomètres de plat relatif. Les quelques "descentes" se feront à peaux.
Il est environ 10h lorsque nous traversons un splendide village, endormi sous une épaisse couche de neige. Le hameau est accessible en voiture l'été, mais l'hiver, il faut monter à ski. Pas d’âme qui vive lors de notre passage... Toujours cet arrière-goût de far west.
Les maisons sont magnifiques. C'est un petit paradis dans une ambiance mystique. Seule la trace ose traverser les ruelles. Si je devais vivre ermite le temps d'un hiver, il y aurait là une place de choix.
Nous dépeautons à la sortie du village pour plonger au Nord.
Sur la carte, c'est une descente dans la forêt. Une trouée en forme d'entonnoir : un peu plus large sur le haut avant de se resserrer inlassablement vers une végétation plus dense. Si la neige a été conservée correctement, cela peut être très ludique. Trois traces de la veille nous précèdent.
Les premiers virages donnent le ton, ce sera miam-beurk. On vise les orientations miam, en trafollée, ça skie pas trop mal en haut. Plus on descend, plus c'est beurk.
Les arbres nous aident pour le contraste, mais la pente est technique à skier dans une croûte de plus en plus infâme. Beaucoup de petits virages, des arbustes, un relief miné, ça transpire sous les doudounes. Félix est le premier à s'en mettre une belle. Je rigole mais sors l'appareil trop tard.
Karma oblige, même pas 5 minutes et c'est mon tour : en sortant vite entre deux arbres je vois une bosse au derniers moment. Bon, je freine ou je saute?! Allez, je suis joueur. Ça passe, mais je plante mon ski droit dans une autre petite bosse à la réception et c'est un magnifique tête pied avec déchaussage et masque qui vole. La totale... Ça faisait longtemps que j'avais pas déchaussé... On se marre bien.
La suite est sans plaisir, mais avec beaucoup de concentration. Après quelques passages de torrents et du ski sanglier sous les sapins, nous sommes enfin en bas. J'ai l'impression de me fatiguer plus en descente qu'en montée. Par respect pour notre santé mentale, je ne joins pas de photos de cette descente.
Nous remettons donc les peaux pour nous reposer sur une route confortablement enneigée.
Et oui, il est midi lorsque nous passons devant un splendide refuge/auberge. Tout ça est prémédité : nous avions bien prévu de nous y arrêter pour un p'tit café. C'était la carotte au bout de notre matinée, notre phare dans la tempête d'une descente phacochère. Mais nous sommes en retard, et la faim commence à se faire sentir.
A l'intérieur, l'accueil est tellement charmant que le café sera précédé d'une bonne bière et d'un maxi Rösti aux lard, fromage et œuf. D'autres groupes de skieurs et skieuses arrivent doucement, toutes et tous sont à la descente de ce que nous prévoyons de monter une fois le repas terminé. À rebours, encore. Lorsqu'on nous demande d’où on vient et ou on va, la surprise est palpable. Un court silence puis cette deuxième question : Pas trop lourds les sacs?
Bon, il est presque 12h49, et on est encore loin de la fin. Pour la première fois du trip, nous faisons un point carto avec une estimation horaire précise. On va passer en mode patrouille des glaciers, avec des barrières très personnelles et sans glaciers.
Il nous reste un sommet à enchaîner avec une belle descente nord puis une remontée vers un col avant la longue descente finale. On s'imagine à 15h au sommet, puis à 17h au col. Ça nous laisserait 1h30 pour descendre les derniers 1500m de D- sans avoir à finir de nuit. Un plan précis, j'adorerais qu'il se déroule sans accroc.
Il est environ 13h08min16s lorsque nous enlevons la fleur des spatules, attention, ça va friser.
J'avançais à bon rythme et je me souviens seulement m’être fait dépasser par deux éclairs, puis plus rien. Juste une étrange odeur de Rösti dans leur sillage...
C’est parti pour une montée d'environ 1000m de D+. Le début de cette grimpette emprunte une route parfaitement enneigée et damée pour quelques lugeurs courageux. Nous n'en croiserons aucun. La route est plutôt raide, ça nous permet d'être efficaces.
L’énergie du plat chaud est palpable, je n'ai jamais été aussi en forme de tout le séjour. Je sens la force du rösti se révéler à l'intérieur, et c'est sans crier gare que nous accélérons pour trouver une rythme qui flirte l'indécence avec des sacs aussi balaises. La magie opère : tour à tour le lard, le fromage et les œufs libèrent toutes leurs vertus.
Les peaux fument, et telles deux Bugatti un dimanche matin sur une autoroute allemande, nous dépassons un collant pipette aux allures de Twingo. Une pointe d'accent catalan sonne dans son cri de surprise. Il me rappelle vaguement quelqu'un mais pas le temps de s'étendre. Il y a des bosses, et à cette vitesse, même en montée, attention au décollage intempestif...
Plus sérieusement, sur ce versant Sud, la neige est croûtée partout. Le couple croisé à la descente n'en peut plus : "C'est horrible à skier", nous lâchent ils. J'ai l'impression que la dame pleure. Courage, la piste de luge n'est pas loin. Je comprends mieux pourquoi un peu plus tôt l'auberge s'est si vite remplie de randonneurs à la descente. La recherche du réconfort. Ces deux là seront les dernières âmes que nous croiserons pour le reste de notre traversée. A partir de là les Alpes nous enveloppent, nous leur appartenons.
Nous arrivons finalement au sommet en 55 secondes... et une heure cinquante deux minutes environ. La météo est nuageuse et le vent de sud de plus en plus soutenu. Il est très fort au sommet, nous nous abriterons dans la face Nord pour préparer la descente.
Nous sommes à 2600m, la face Nord de cette montagne est magnifique. C'est clairement la plus belle pente que nous aurons à skier du week-end. C'est aussi celle qui nous aura demandé le plus d'analyse avant de s'y aventurer. C'est avalancheux, mais nous sommes rassuré de ne pas trouver d'accumulations importantes dans la partie raide, à mi pente.
Nous choisissons de skier une très belle ligne, un par un. Je reste en haut et Félix s'élance en premier sur cette neige vierge. J'ai un magnifique point de vue pour les photos, mais je n'ai pas l'appareil le plus adapté et je suis en retard dans mes manip. Le bougre skie vite, sa trace est belle, une petite éclaircie vient éclairer la face, c'est magnifique. J'arrive quand même à déclencher.
En voyant la facilité de Félix, je pense que la neige est parfaite ; qu'on a enfin trouvé une poudre bien conservée n'ayant pas trop souffert de la chaleur ni du vent. Je m'engage avec un enthousiasme débordant. Je pars d'un peu plus haut, directement sous le sommet et manque de m'en mettre une d'entrée en trouvant une neige cartonnée...grrr... Je skie donc prudemment la première partie. Ce n'est pas facile, toujours cette croûte... de plus en plus fine... lentement gérable... Impossible une fois de plus de se lâcher totalement mais y'a du mieux!
La suite est un court passage étroit et raide s'ouvrant sur des pentes larges d'environ 30°. Je m'engage en premier, aucun signe d'instabilité. La neige s'améliore, l'éclaircie se maintien, la routourne serait elle en train de tourner?
En débouchant sur les pentes ouvertes, nous sommes accueillis par une superbe poudre compacte. Soulagement, enfin. Nous aurons 400m de D- d'une excellente skiabilité dans un décor grandiose.
Le danger d'avalanche est derrière nous, les appareils photos protégés dans le sac, nous en profitons pour skier ensemble, côte à côte, ce qui sera la plus belle descente de ces deux journées.
Le plaisir de partager ce moment est apprécié à sa juste valeur. Et si l'effet Rösti commence à s'estomper, le facteur humain prend le relais.
Nous sommes dans une vallée parfaitement calme à 1900m. Deux choix s'offrent à nous : remonter vers le dernier col et entamer la longue descente finale, ou s'arrêter là en suivant la vallée qui redescend vers l'ouest. Il est presque 16h, on est parfait dans notre timing et pour être honnête, la question ne s'est à ce moment là pas posée. Nous sommes tous les deux naturellement en train de recoller les peaux. Nous profiterons de la montagne jusqu'au bout.
Un épais voile gris vient s'installer pendant notre montée. Félix trace efficacement et arrive au col avec une précision de gps sans un coup d’œil à la carte. Bravo garçon. Je regarde la montre, il est 17h00. Incroyable, pile à l'heure, un vrai train suisse.
Nous marquons une courte pause, la fatigue commence à se montrer. Depuis le départ de l'auberge à la mi-journée, on ne s'est presque pas arrêté. Ça fait du bien de s’asseoir un peu. L'effort se fait sentir, le poids des sacs également. Mais nous sommes heureux d'être arrivés là. Nous rangeons les peaux une dernière fois dans le sac, une page se tourne.
L'ambiance est devenue austère. La montagne a plutôt des airs de "cassez-vous" que des invitations à la contemplation. Il fait frais, notre pause ne s'éternisera pas. Le vent est soutenu mais le point le plus négatif est la visibilité : on est dans le jour blanc le plus total au moment d'entamer la descente.
La dernière descente présente un dénivelé négatif d'environ 1500 à 1600m pour un peu plus de 10km. Aucune difficulté technique, c'est une pente facile à skier, pas de précautions particulières à prendre niveau avalanche, bref, relax.
Nous claquons les fixations, c'est parti.
La pente est exposée nord et fait face à une large vallée. Le vent a énormément travaillé sous le col, la neige est sculptée de grands sastrugi : des trous, des bosses, des épées ou des enclumes sortent du sol ; impossible de skier droit. La visibilité est catastrophique. Nous ne distinguons aucun relief, aucun contraste. Lorsque nous retrouvons une surface de neige plus lisse, c'est le retour de la croûte infâme, de l'immonde carton, du diable.
J'en arrive à sincèrement souhaiter une neige béton et la nuit, ça ne peut pas être pire.
Nous perdons un temps fou dans cette descente à tâtons, l'objectif est clairement de ne pas se faire les croisés.
A 1900m, il nous faut traverser sur un kilomètre pour changer de versant. Nous sommes un peu bas, et cette traversée demande un effort colossal en poussant sur les bâtons. J'hésite à remettre les peaux, je sue, j'en chie. Félix est devant, il avance tête baissée. Je l’aperçois quitter la traversée pour plonger vers la forêt. Enfin. Je le suis sans sourciller, il suit quant à lui de vieilles traces...
Nous trouvons une neige presque potable, c'est le bonheur. Mais nous arrivons dans la forêt, très dense, et dans mon souvenir sur le carte, ça ne ressemble pas du tout à ça. Nous devrions évoluer dans une trouée ouverte.
Arrêt, carte, GPS... Et merde... On se rend compte qu'on s'est trompé, nous avons quitté la traversée trop tôt. Nous allons droit vers une impasse, sauf si l'idée de faire du canyoning nocturne nous attire. La journée se termine, les dernières lueurs nous abandonnent. Mon langage est de plus en plus fleuri, nous sommes tous les deux fatigués.
Une demie heure et une traversée de ruisseau épique plus tard, nous retrouvons enfin la voie normale. Victoire! Il fait nuit noire.
Ma frontale est une daube.
Si elle fait le job pour une soirée en bivouac, elle n'éclaire pas à plus de 3m.
Je pense à ma lampe de VTT sagement rangée dans un tiroir... Elle éclairerait jusqu'au Texas.
Skier dans ces conditions relève du masochisme. Suite à quelques problèmes de piles sur lesquels je ne m'étendrai pas, Félix opte pour la descente sans artifices, no light. Je le soupçonne de fermer les yeux, il fait du vaudou.
La neige est de plus plus maigre, nous commençons doucement nos premiers virages mi herbe mi blanc, ce qui a pour effet d'améliorer sensiblement la skiabilité. Je prends une dernière gamelle bien parfumée et à 1400m, nous sommes forcés de constater qu'on est sur terre.
Félix allume sa frontale avec les piles du DVA, elle se révèle être un vrai phare, je ris. Le verdict est sans appel : skis sur le sac.
Il est 19h30, la question de savoir si nous aurons encore un train pour Berne commence à se poser. Le dernier part un peu avant 21h, ça va le faire. Félix me raconte comment il y a quelques années, un dimanche soir également, une avalanche avait coupé toutes les communications de la vallée dans laquelle il terminait une rando avec un ami. Arrivés au village, ils furent obligés de prévenir le boulot, un grand sourire au lèvre, qu'ils ne seraient pas là le lendemain, cas de force majeure...
Notre week-end de ski se termine par une vraie rando estivale. 600m de D- avec les skis sur le sac. La fin est rude pour les muscles et les articulations. Nous empruntons un dernier pont au dessus de la rivière Landquart et atteignons la gare peu après 20h30. La traversée est bouclée, nous sommes rincés. Pas de neige sur les voies ce coup ci, nous irons bosser demain.
Les trains s’enchaînent, nous sommes de plus en plus avachis dans les fauteuils. Curieusement, le wagon se vide alors que j'enlève mes chaussures. Après ce périple, ça fleure pas que les röstis...
Nous arrivons à Berne peu après 23h30 tous deux cuits à point mais trop heureux de ces deux jours magnifiques. Merci Félix pour ce voyage.
Un dernier train pour ma part, un de plus... un dernier petit km de portage, un de plus... Tout est calme dans les ruelles alors que je referme la porte de ce chez moi que j'ai seulement quitté hier matin ; un matin si lointain.
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félicitation à vous deux
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