Après un coup de foudre à Gavarnie lors du premier épisode, passons juste la frontière calcaire en direction du troisième plus haut sommet des Pyrénées. Il figurait dans ma short list depuis un moment mais c’était surtout en skis que je voulais le conquérir. La découverte de sa face Nord lors d’une randonnée épique sur le faîte du cirque de Gavarnie à la fin de l’été dernier n’avait fait que renforcer ma motivation. C’est aussi la montagne qui alimente la grotte Devaux et le gave de Pau. Le Mont-Perdu porte bien son nom puisqu’il est isolé et quelque soit l’itinéraire choisi, la course sera longue !
Minute histoire: ce « 3000 » a tenu une place importante dans la quête du SOMMET des Pyrénées dès la fin du 18ème siècle. Il a fallu près de cinq années pour que son premier découvreur, Ramond de Carbonnières, se hisse sur le sommet en 1802. Et puis quand on lit les multiples ascensions d’Henry Russel dont un aller-retour de 35 heures… On ne peut que vouloir toucher cette haute cîme ! Trêve d’histoire de pyrénéistes du passé, revenons à l’itinéraire emprunté pour aller faire quelques traces sur ce colosse esseulé !
Par un beau week-end de janvril, c’est un dimanche matin, à Luz Saint-Sauveur, que je retrouve les quatre potes fous motivés par cette mission: Antoine, Laurent, Manu et Stan. Désireux de vouloir garder le choix pour l’itinéraire de retour depuis le sommet, nous effectuons une navette de façon à laisser une voiture à la station de ski de Gavarnie. Le départ de notre randonnée est prévu depuis le lac de barrage des Gloriettes (1668m).
L’objectif de la journée est de remonter le vallon et le cirque d’Estaubé puis de gagner le refuge de Tuquerouye (2666 m) pour y passer la nuit. Sur la route du cirque de Troumousse, notre élan est vite mis à mal en mettant le clignotant à droite. La barrière donnant accès au départ est cadenassée ! Après quelques tergiversations, nous déchargeons le bazar et finalisons les sacs de sherpas. Cette surprise va nous conduire à faire 250 mètres de dénivelé supplémentaires mais qu’importe !
Après une petite demi-heure, nous traversons le pont du barrage et je suis déjà subjugué par le vallon affichant en fond un cirque magnifique. Le couloir de Tuquerouye est immanquable : il est chargé en neige et exempt de traces sahariennes. Mais nous ne sommes pas prêts de chausser les skis, la vallée est longue et assez plate sur les premiers kilomètres. Les dernières cascades de glace exposées plein Est finissent de céder sous le soleil dominical. Isards et marmottes s’en donnent à cœur-joie dans les prairies ressuscitées.
Après un bon 500 D+ de portage, nous chaussons les skis vers 1900 m. Les nuages commencent à décorer le ciel et donnent de superbes lumières à l’approche de ce couloir historique. Peu avant ce dernier, Antoine doit renoncer à la course pour cause physique. L'aventure se poursuit désormais à quatre. Les 350 derniers mètres donnant accès à la brèche et au refuge de Tuquerouye sont très poudreux. De temps à autre, on sent toujours bien la couche sableuse qui fait déraper le deuxième suivant le traceur. A mi-chemin, la vierge perchée juste au-dessus de notre hôtel du jour brille de tout ses feux avec un soleil de plus en plus mordoré. Il est déjà 18h. Avec ces conditions, on sort du couloir avec les skis aux pieds. Nous ne comptions pas sur cela, bonne surprise !
L’arrivée au refuge est un moment unique en soi, une bréche en V avec un replat d’une vingtaine de mètres dont le panorama espagnol vous met une claque. C’est le doyen des refuges pyrénéens (construit en 1890) mais aussi le plus haut perché ! C’est ici que l’on pose un pas en France ou Espagne selon de quel côté on fait face. La vue découverte sur l’imposante face Nord du Mont-Perdu et le lac glacé du Marboré ne m’a pas déçue. J’ai lu pas mal d’écrits sur à ce sujet mais la réalité colle bien aux descriptifs dithyrambiques. La coupole blanche du sommet brillera jusqu’au dernier rayon couchant. Un sentiment de ne pas savoir où l’on se trouve : dans les Pyrénées, les Alpes ou sur une autre planète ?
Le refuge est incroyablement positionné plein Sud et miracle à notre arrivée, pas un brin de vent ! Cette belle construction offre un dortoir pour 12 personnes. La neige poudreuse à proximité des couchages donne une idée de la température de la chambre ! D’ailleurs les murs scintillent mais c’est de la décoration naturelle… Nous pensions être seuls mais c’était sans compter sur un trio d’alpinistes espagnols qui arrivent du vallon de Pineta (et depuis Barcelone!). Moins de 75 ans à eux trois. Ils ont pour objectif la classique face Nord du Mont-Perdu qui finit bien en mixte en ce moment. Nous lutterons pour allumer le poêle et finirons par avoir fondu quelques volumes de neige et de glace pour recharger les outres. Approche de 12 km pour 1300 D+ (Portage 2h).
« Du Mont-Blanc même, il faut venir au Mont Perdu : quand on a vu la première des montagnes granitiques, il reste à voir la première des montagnes calcaires. »
Habillé quasiment en tenue de ski avec un petit duvet et trois couvertures, la nuit fût tout de même rude mais les yeux se sont reposés un peu. L’éclairage matinal sur le lac et la face à gravir après le petit-déjeuner motivent. Une descente d’un quart d’heure, nous collons les peaux pour traverser le lac et gagnons la grosse colline entrecoupée de barres plus ou moins hautes et striées de cheminées. Arrivés au pied d’une courte pente verticale, on troque les skis pour les crampons afin de passer la difficulté bien glacée. Notre vaillant traceur Stan posera une corde pour sécuriser le passage. Nous permutons encore une fois les crampons avec les skis pour gagner le col du Cylindre (3074 m).
Au pied du Cylindre du Marboré (3335 m), cette molaire géante impressionne et nous découvrons surtout le couloir Ouest amenant au sommet convoité. Il est vierge de traces mais la neige semble assez dure. Une descente de moins d’une centaine de mètre pour contourner l’étang glacé (2985m) et il ne « reste » plus qu’à remonter cette large combe finissant en couloir. Après avoir franchi une petite arête secondaire (3150 m), la pente devient déversée au-dessus de barres rocheuses : l’exposition est très forte. Les espagnols nomme ce passage "l'escupidera" (le crachoir). La neige étant fortement croûtée sur les 200 derniers mètres et au-vu de l’historique funèbre de ce passage, nous continuons en crampons pour aller fouler le sommet. Cela a été dur pour moi d’abandonner les skis mais la raison l’a emportée. Quelle réussite d’avoir un pur ciel à notre arrivée la-haut !
La vue à 360 ° est captivante mais l’ampleur du retour et le timing ne nous ont pas laissé beaucoup de temps de contemplation ni même un casse-croûte. La vue aérienne sur le gigantisme du canyon d’Ordesa sera une des images qui restera à jamais gravée dans mon cerveau ! Quand on se retourne vers la France, la brèche de Tucquerouye est impressionnante et la vision sur le lac de départ fait bien mesurer l'expédition. Et la vue sur les sommets de la Maladeta, et, et… 5h pour le sommet depuis le refuge.
Les quelques courbes sur les pentes de ce sommet mythique nous ont fait du bien après les dix heures d’ascensions cumulées depuis la veille. Au vu du timing, nous ferons l’itinéraire en sens inverse et laisserons le retour envisagé par la Brèche de Roland pour une autre fois. La redescente sous le col du Cylindre m’arrachera la caméra embarquée du casque mais les pertes s’arrêtent là. Il nous faudra faire un petit rappel sur un champignon de neige pour repasser la cheminée du matin et dérouler des courbes dans une moquette agréable. A cette heure, mes jambes commençaient à être bien cuites. Le cramponnage, ça attaque sévère !
De retour au refuge, à nous le couloir de Tuquerouye encore poudreux. La meilleure qualité de neige du trip avant de retrouver la couche saharienne inamovible mais en super moquette ! Déchaussage à 1900 mètres d’altitude puis une dernière longue marche pour retrouver notre taxi-man de la vallée. Que les sacs étaient lourds sur les trapèzes sur la dernière heure ! Une belle journée de 22 km et 1500 D + pour clôturer cette course fabuleuse.
10 Commentaires
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Ça s'écrit Tuquerouye sans c
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
j'aimais pas trop le retour quand on reprenait le sac lourd pour descendre la vallée!!
et à l'époque il y avait une barre de séracs de plus de 50m; on entendait dégueuler toute la nuit depuis le lac!!
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire