Les canons à neige artificielle favorisent la pollution des sols
LE MONDE | 23.04.04 | 13h10
[/i]Cet effet préoccupant a été mis en évidence par deux équipes de chercheurs français et italiens. Le coupable serait le snomax, un produit obtenu à partir d'une bactérie.[/i]
Grenoble de notre correspondante
En France aujourd'hui, 4 000 hectares de pistes de ski, dans 185 stations, sont enneigés artificiellement. Dans ce contexte, les résultats des études, rendus publics jeudi 22 avril lors du Salon d'aménagement de la montagne (SAM) de Grenoble, jettent un froid. "Ils soulèvent de nombreuses questions", note Françoise Dinger, ingénieur au Cemagref de Grenoble. Son équipe, spécialisée dans la remise en état des sols en station, a mené le volet français du programme de recherche, en association avec une équipe de l'université de Turin. Dans les années 1990, un précédent programme, financé par le ministère du tourisme et de l'environnement, avait montré que les particules d'huile trouvées dans la neige provenaient des engins de damage et non de la neige de culture. Cette fois, c'est l'étude d'un additif, le snomax, qui révèle le problème de la qualité des eaux utilisées par les installations de neige de culture.
Fabriqué et largement utilisé aux Etats-Unis depuis les années 1980, cet additif est obtenu à partir de la culture d'une bactérie, la Pseudomonas syringae, qui vit sur les feuilles des végétaux et dont la caractéristique est de favoriser la formation du gel. Autorisé dans certains pays (la Suisse), réglementé ou proscrit dans d'autres (dont deux provinces d'Autriche, où l'usage d'additif est interdit), son impact sur l'homme et l'environnement n'avait pas encore été analysé.
L'enjeu est de taille. En agissant sur le processus de cristallisation de la goutte d'eau, le snomax le rend plus rapide. Surtout, il permet de produire de la neige à des températures de plus en plus élevées (donc à des altitudes plus faibles) et de réduire de façon significative les quantités d'eau et d'énergie nécessaires pour la production d'une même quantité de neige. L'Agence de bassin Rhône-Méditerranée-Corse a fait le calcul : 10 millions de mètres cubes d'eau sont consommés par an pour alimenter les canons à neige, soit l'équivalent de la consommation annuelle d'une ville de plus de 170 000 habitants...
"PRÉSENCE DE GERMES"
Pour rassurer les exploitants, il convenait de vérifier que les bactéries ne se retrouvaient pas dans la neige produite et que l'additif ne polluait pas la végétation des pistes. Les équipes françaises et italiennes ont réalisé des campagnes de mesures durant trois hivers, respectivement à Valloire (Savoie) et à Antagnod, dans le Val d'Aoste. Bilan : aucune trace de Pseudomonas n'a été décelée dans la neige. A peine l'étude française a-t-elle mis en évidence certaines différences dans la végétation permettant de conclure à "des effets faibles et à long terme". "Mission accomplie", se félicite le commanditaire du programme, l'américain York Snow Inc (80 salariés dans le monde pour un chiffre d'affaires de 40 millions d'euros en 2003).
Sauf que le snomax, en offrant un bouillon de culture, a un effet multiplicateur. "La cuve favorise le développement des micro-organismes", confirme Françoise Dinger. Or les analyses microbiologiques, réalisées, il est vrai, dans la seule station française, ont mis en évidence "la présence de germes d'origine fécale, à la fois dans l'eau de ruisseau servant à approvisionner l'usine à neige, mais également dans le circuit de fabrication de la neige de culture". Résultat ? Les gouttelettes projetées par le jet d'air glacé, qui se transforment en petits cristaux de glace pour faire la joie des skieurs, sont infectées.
Les auteurs de l'étude n'en concluent pas, pour autant, à l'existence d'un risque pathogène pour l'homme. "Il conviendrait pour cela d'engager un programme de recherche spécifique sur la survie et le développement de ces agents pathogènes dans la neige", écrit Françoise Dinger, pour qui le problème n'est pas tant la présence de micro-organismes, qui existent de toute façon dans l'environnement et dans la neige naturelle, que leur mode de propagation et leur quantité. "Quel est le niveau acceptable ?", interroge la chercheuse, qui a saisi, il y a deux ans, le ministère de la santé ainsi que le Conseil supérieur d'hygiène.
Pour s'affranchir du risque pathogène, la solution passe par des contrôles et, si besoin, des traitements de l'eau entrant dans le processus de fabrication de la neige, et ce, quel que soit le mode de prélèvement : nappes, cours d'eau, réseau d'eau potable ou retenues artificielles. Mais cette démarche est fort coûteuse...
"Traiter la question de l'enneigement artificiel par le seul biais des additifs revient à éviter d'aborder le problème dans sa globalité", réagit l'association Mountain Wilderness, qui craint, en outre, une interprétation abusive des résultats. "Les aménageurs risquent de les prendre pour un blanc-seing", s'inquiète Vincent Neirinck. Or, selon lui, bactérie ou pas, les inconvénients environnementaux demeurent : atteintes au paysage avec des bassins de stockage de plusieurs centaines de milliers de mètres cubes, appauvrissement des ressources en eau, impacts sur le milieu. La neige de culture conduit en effet à équiper toujours plus. "Destinés au départ à assurer le retour au bas des domaines existants, les canons servent aujourd'hui à créer de nouvelles pistes", martèle Vincent Neirinck, qui stigmatise l'installation de canons à neige sur le glacier de la Grande Motte à Tignes, à 3 000 mètres d'altitude.
Nicole Cabret
Risque de conflit sur la ressource en eau
Un rapport réalisé en 2002 et 2003 par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) sur "la qualité de l'eau et de l'assainissement en France" aborde "l'incidence de l'enneigement artificiel sur la ressource en eau". Il note que la production de neige artificielle pourrait "provoquer à terme des conflits d'usage". L'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse indique que "80 % des stations de sports d'hiver alpines sont équipées de canons à neige". Le rapport note qu'avec 4 000 m3 d'eau à l'hectare, l'enneigement artificiel consomme "une quantité très supérieure à l'irrigation du maïs et voisine de l'irrigation en arboriculture provençale". Néanmoins, la plupart du temps, la pression sur la ressource est faible ou modérée et "n'entraîne donc pas de conflits d'usage". Cependant, "des difficultés peuvent apparaître dans les communes situées en aval". Ainsi, en 2001, une commune de Haute-Savoie a été "confrontée à une dégradation sensible de la qualité de ses eaux de consommation". Les prélèvements d'eau pour enneigement ont alors dû être stoppés.
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 24.04.04
inscrit le 30/11/02
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