CHAMONIX (AFP) - Déchiré, nostalgique ou simplement résigné, le monde du secours en montagne de Chamonix se sépare samedi de sa "grande dame", l'hélicoptère de légende "Bravo Lima", dont le bourdonnement a résonné dans la vallée pendant 32 ans.
"C'est la quintessence de l'hélicoptère. Du fait de cette longévité sur le massif du Mont-Blanc, c'est sûrement l'hélicoptère qui a sauvé le plus de vies au monde", a déclaré le commandant de la section aérienne de la gendarmerie de Lyon, Emmanuel Sillon. Avec plus de 15.000 heures de vol dans ce temple de l'alpinisme, cette Alouette III a secouru 16.000 personnes depuis 1972.
"Bravo Lima, c'était le secours en montagne", souligne l'adjudant-chef Jean-Yves Claudon, secouriste du Peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM). "C'était un bruit caractéristique que tous les gens de la vallée connaissaient".
Véritable "Rayon de soleil" pour les alpinistes en perdition, "Bravo Lima", agile et légère, a inlassablement survolé goulets et séracs, s'immobilisant en vol stationnaire contre les parois pour hélitreuiller une victime.
Elle ne nous a jamais trahi, il n'y a jamais eu aucun accident, c'est une machine qui porte chance", déclare le pilote Hervé Fabry.
Pilotes, mécaniciens-treuillistes et secouristes, qui montent à son bord au gré des missions, diront adieu avec émotion, samedi 8 mai à Chamonix, à celle qu'ils surnomment tantôt "Mémère", tantôt "Pépette" ou encore "Titine".
"C'est comme la fin d'une grande histoire d'amour", confie le jeune secouriste Alexandre Grether, "c'est une grande dame du PGHM, je suis très fier d'avoir croisé son chemin".
En 32 ans, elle a tout doucement atteint un statut presque humain, explique le commandant du PGHM, Nicolas Bonneville, "c'est rare qu'une machine perdure aussi longtemps; tout doucement une légende s'est créée".
"C'était un peu la fille de tous les pilotes, une personne à part entière", ajoute l'adjudant-chef Didier Méraux, qui pilote "Bravo Lima" depuis douze ans.
Dès ses débuts, l'Alouette a constitué un véritable espoir pour tous ceux qui avaient assisté à l'agonie en 1956 de Jean Vincendon et François Henry, deux alpinistes restés bloqués douze jours sur les contreforts du Mont-Blanc, et que l'on ne pouvait alors atteindre. Aujourd'hui, 80% des interventions sont héliportées.
Produite depuis 1961, l'Alouette III est devenue une "figure emblématique" à Chamonix, selon le secouriste Alain Darrhort, 56 ans, qui prendra sa retraite en même temps que l'appareil.
Parmi les peluches qui ornent le cockpit de "Bravo Lima", un petit lion, oublié dès 1972 par le fils d'un pilote, fait figure de porte-bonheur pour un équipage parfois superstitieux.
"Il y a un aspect affectif, sensuel avec cette machine", poursuit le lieutenant Fabry. "Il y a aussi un aspect mythique, c'était une grande fierté de s'asseoir dans le siège où se sont assis tous les grands pilotes de la gendarmerie", observe encore le pilote.
"Pour toute notre génération, elle est irremplaçable", renchérit le mécanicien-treuilliste Christian Bare-Guillet, qui la "bichonne" depuis neuf ans. "Si cela avait été possible de garder la même cabine et de la remotoriser...", ajoute-t-il.
L'Alouette bleue est remplacée à Chamonix par le nouvel EC145 d'Eurocopter, opérationnel depuis quatre mois. Elle rejoindra Lyon le 10 mai, avant de prendre sa retraite vers 2006 et d'occuper, comme beaucoup l'espèrent, une place au musée de l'Air et de l'Espace du Bourget.
"C'est une page qui se tourne", estime l'adjudant-chef Claudon, "mais le grand livre de la montagne reste ouvert".
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