Le voila
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L'Expansion, no. 0689
Idées - réflexions, Septembre 2004, p. 144
Idée reçue
« La mondialisation uniformise les produits »
Franck Dedieu
Notre consommation est loin de se standardiser. En fait, les produits n'ont jamais été aussi nombreux et variés.
Tous nourris au McDo, habillés par Gap et meublés chez Ikea... Voilà le destin promis au consommateur du XXIe siècle sous l'effet de la mondialisation triomphante. Cette opinion dominante est largement entretenue par les adversaires du commerce mondial. La place occupée dans les paniers des consommateurs européens par les géants de l'agroalimentaire comme Nestlé ou Danone conduit effectivement à redouter la standardisation et la dictature de la marque. Pourtant, cette prédiction a peu de rapport avec la réalité : la globalisation n'uniformise pas les goûts, elle les multiplie ! En dix ans, le nombre de produits dans les rayons des supermarchés a ainsi augmenté de 66 %, selon une étude réalisée par Panel International et l'IFM (Institut français du merchandising). Et à la variété dans les rayons s'ajoute la différence : le nombre d'articles identiques vendus dans plus de deux pays européens ne représente que 10 à 15 % du total, surtout dans le non-alimentaire.
« Si aucun chariot de supermarché ne ressemble tout à fait à un autre, cela correspond d'abord à une demande des ménages. La hantise de tomber dans le moule alimentaire ou vestimentaire fait du consommateur un chaland très sophistiqué et non un robot, comme d'aucuns pouvaient le craindre », confirme l'économiste Franck Lehuédé, au Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc). Le « ménage globalisé » varie de plus en plus son mode de consommation. « Il consomme des produits français du terroir ou des produits africains, méconnus il y a quelques années, en plus des produits standardisés et non à leur place. En clair, il ne change pas ses habitudes culinaires, il en ajoute d'autres », explique Olivier Kopp, directeur de Scamark, la filiale marketing de Leclerc.
Côté offre, l'industrie agroalimentaire, relayée par la grande distribution, met déjà à profit ce besoin de variété et de nouveauté. Environ 13 000 références trouvent leur place dans les linéaires d'un supermarché, contre 7 800 en 1994. Le nouveau credo : coller aux particularités locales avec, si possible, des produits du cru. « Les grandes surfaces veulent se singulariser par leurs produits locaux. En France, 116 000 références viennent des PME, soit deux fois plus que celles des grands groupes », décrypte Georges Ferronière, directeur marketing de Panel International. A contrario, les produits alimentaires exactement identiques vendus dans les hypermarchés Carrefour en Europe ne représentent que 3 % du panier d'un consommateur type. Ce « sur-mesure » commercial finit même par engendrer une inflation des produits. Carrefour entre chaque année 500 à 600 nouveaux produits alimentaires. Pour introduire des références dans leurs rayons, les grands distributeurs demandent désormais à l'industriel d'en retirer. « Les géants de l'agroalimentaire finissent par mener de véritables politiques de segmentation pour des niches de consommateurs », constate Franck Lehuédé.
Tel est le paradoxe de la mondialisation : elle se fonde sur la consommation de masse et fait passer chaque consommateur pour un être unique. « Elle veut faire manger de la pizza à tous les Européens, mais permet à chacun d'y mettre une garniture différente », résume un professionnel. En fait, la globalisation standardise le processus de production, le conditionnement, la mise sur le marché. Mais surtout pas le consommateur, qui, bien heureusement, n'en fait qu'à sa tête !
inscrit le 16/12/03
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