Article du Monde - Qui veut encore des JO d'Hiver?
And the winner is... Beijing ! Le 31 juillet 2015, à Kuala Lumpur, sera désignée la ville hôte des Jeux Olympiques d'hiver de 2022. Au rythme où vont les choses, il y à fort à parier que la lauréate sera à nouveau, 14 ans plus tard, la "ville" qui fut l'hôte des JO d'été 2008. En soi, il n'y a rien de choquant à cela. La Chine est revenue en majesté au sein du concert des nations et elle rattrape à toute vitesse le retard olympique accumulé au siècle dernier ; en outre, il ne fait nul doute que la Chine est en mesure d'organiser de très beaux Jeux Olympiques d'hiver. Ce qui, en revanche, obscurcit l'horizon du Comité international olympique (CIO), est l'épidémie de désistement de candidats pour les JO d'hiver (les jeux estivaux demeurant, pour l'instant, source de convoitise). Petit retour sur les 12 mois pendant lesquels la côte d'amour et de désir des Jeux 2022 s'est enfondrée...
Défection de Saint Moritz, Barcelone et Munich
Les candidatures pour les JO de 2022 étaient à déposer avant le 14 novembre 2013, minuit. Depuis 2010, une quinzaine de villes (ou provinces) avaient indiqué être susceptibles de déposer une candidature. A quelques semaines de la date limite, selon un processus très habituel, un tiers des candidats potentiels (Bakou, Brasov, Nice, Québec, et une candidature américaine « à choisir » entre Denver, Reno et Salt Lake City) avaient déjà jeté l’éponge. Il restait alors 9 candidats crédibles, chiffre conséquent qui annonçait une lutte à couteaux tirés. C’est alors que survint l’épidémie. Tout d’abord, Saint Moritz et le canton des Grisons renonçaient suite à la votation populaire du 3 mars 2013 où le camp du non aux JO réunit 52,66 % des exprimés. Ensuite, le 16 octobre 2013, c’est Barcelone qui annonça son retrait. Le 10 novembre, quatre jours avant la date limite de dépôt des candidatures, c’est Munich, qui, suite à une consultation populaire, se désistait à son tour. Lorsque, le 15 novembre 2013, le communiqué de presse du CIO annonça le nom des villes candidates, le ton était néanmoins guilleret, pour ne pas dire triomphant. Le communiqué titrait en effet : « Intérêt croissant pour les Jeux Olympiques d’hiver : six villes se déclarent candidates » ; il était alors question « du fort intérêt que les villes du monde porte aux Jeux » ainsi que « des avantages et de l’héritage durables que les Jeux peuvent apporter à une région ». Dans le climat de défiance qui entourait le CIO à 2 mois de Jeux de Sotchi, l’enthousiasme du communiqué ressemblait à un contre feu, éphémère. L’épidémie n'était pas vaincue.
Défection de Stockholm, Cracovie et Lviv
Le 17 janvier 2014, Stockholm renonçait à son tour au prétexte d’un « manque de soutien politique » dans une atmosphère d'hostilité à l'égard du CIO (on ne plaisante pas avec les soupçons de corruption en Suède) et de réprobation internationale à l'égard de l'action du président Poutine. On était alors à quelques jours du début des Jeux de Sotchi, débauche de dépenses à fonds perdus et pathétique spectacle promotionnel pour le « grand leader Poutine ». Le C.I.O. a-t-il seulement réalisé que les Jeux de Sotchi auront été une publicité désastreuse pour les Jeux ? Si tel n'est pas le cas, le message adressé par les citoyens de la ville polonaise de Cracovie pourrait l'aider à retrouver sa lucidité : le référendum qui y fut organisé en en mai 2014 vit le "non" atteindre 70 %, ce qui entraina la défection immédiate de la cité candidate. Toujours au titre d’un dommage collatéral de l’action du grand leader Poutine, c’est ensuite la ville ukrainienne de Lviv qui fut contrainte de jeter l’éponge le 30 juin 2014. Pas de référendum ici, mais un pays au bord du chaos qui n’a plus guère de milliard à consacrer aux dépenses étouffantes que celui qui tombe dans la trappe de l'olympisme doit engager. L’été 2014 commençait à peine que les JO de 2022 avaient déjà perdu la moitié de leurs villes candidates. Il est peu de dire que rapport du groupe de travail "2022" du CIO, paru mi 2014, fut sensiblement moins fanfaron que le communiqué de presse de décembre. Mais les malheurs du CIO n'étaient pas terminés pour autant.
Oslo prépare l'annonce de sa défection, Almaty à la limite du hors-jeu
Début septembre 2014, les promoteurs de la candidature d'Oslo font savoir qu'ils œuvrent à un projet de réduction des dépenses pour la candidature norvégienne, et en particulier des dépenses à la charge du contribuable. Le gouvernement indique qu'il va consulter le parlement et qu'un vaste soutien populaire sera une condition sine qua non au maintien de la candidature. Les sondages donnent le oui aux JO à un niveau peu différent de la côte de popularité du président Hollande en France, ce qui donne une assez bonne indication sur la vraisemblance de voir Oslo jeter l'éponge dans les semaines à venir. La candidature d'Almaty a elle aussi du plomb dans l'aile. Cette fois, c'est le futur code de la famille du Kazakhstan qui risque de ne pas être "CIO compatible". Le directeur exécutif des Jeux, Christophe Dubi, a adressé aux 3 villes candidates un courrier précisant que sera ajouté dans le contrat de la ville-hôte une clause "anti discrimination", en particulier à l'égard des homosexuels. La tendance du côté d'Almaty serait plutôt d'affirmer le caractère "dégénérescent" de l'homosexualité, ce qui ne devrait guère booster la candidature kazakh. Ainsi donc, la lutte finale pour l'attribution des JO d'hiver 2022 devrait opposer Beijing à Pékin, sauf si la Chine finissait, devant une telle hécatombe, par se demander si les JO d'hiver ne sont pas -pour reprendre la terminologie du colonel Louis-Marie-Alphonse Toulouse (Jean Rochefort) dans le "Grand Blond"- "un piège à cons".
La tournée des autocrates
Les retombées économiques des JO d'hiver sont indigentes. J'ai déjà évoqué dans ce blog l'article de Porter et Fletcher dans le Journal of Sport Management qui démontre la faiblesse de ces flux de dépenses consenties par des spectateurs extérieurs au bassin économique local. La facture, en revanche, ne cesse de progresser, car le cahier des charges du CIO se durcit et le nombre d'épreuves augmente. La seule explication rationnelle à la volonté d'un territoire d'organiser des JO d'hiver est donc aujourd'hui la recherche de notoriété pour un leader politique et/ou une nation émergente. Le prix à payer est substantiel (faut-il rappeler que les JO de Sotchi ont coûté 50 milliards de dollars...), trop élevé pour les contribuables des pays dans lesquels on demande effectivement son avis au citoyen. Dans les contrées où les usages démocratiques sont, disons..., moins ancrés, les JO d'hiver ont sans doute encore un avenir. Le CIO va maintenant devoir convaincre ses grands partenaires commerciaux que leur nom va être associé à une manifestation qui fait la tournée des autocrates de la planète. Même les dirigeants chinois ne vont guère aimer l'idée d'être associé à cette "fraternité" des tyrans et des dictateurs narcissiques !
And the winner is... Beijing ! Le 31 juillet 2015, à Kuala Lumpur, sera désignée la ville hôte des Jeux Olympiques d'hiver de 2022. Au rythme où vont les choses, il y à fort à parier que la lauréate sera à nouveau, 14 ans plus tard, la "ville" qui fut l'hôte des JO d'été 2008. En soi, il n'y a rien de choquant à cela. La Chine est revenue en majesté au sein du concert des nations et elle rattrape à toute vitesse le retard olympique accumulé au siècle dernier ; en outre, il ne fait nul doute que la Chine est en mesure d'organiser de très beaux Jeux Olympiques d'hiver. Ce qui, en revanche, obscurcit l'horizon du Comité international olympique (CIO), est l'épidémie de désistement de candidats pour les JO d'hiver (les jeux estivaux demeurant, pour l'instant, source de convoitise). Petit retour sur les 12 mois pendant lesquels la côte d'amour et de désir des Jeux 2022 s'est enfondrée...
Défection de Saint Moritz, Barcelone et Munich
Les candidatures pour les JO de 2022 étaient à déposer avant le 14 novembre 2013, minuit. Depuis 2010, une quinzaine de villes (ou provinces) avaient indiqué être susceptibles de déposer une candidature. A quelques semaines de la date limite, selon un processus très habituel, un tiers des candidats potentiels (Bakou, Brasov, Nice, Québec, et une candidature américaine « à choisir » entre Denver, Reno et Salt Lake City) avaient déjà jeté l’éponge. Il restait alors 9 candidats crédibles, chiffre conséquent qui annonçait une lutte à couteaux tirés. C’est alors que survint l’épidémie. Tout d’abord, Saint Moritz et le canton des Grisons renonçaient suite à la votation populaire du 3 mars 2013 où le camp du non aux JO réunit 52,66 % des exprimés. Ensuite, le 16 octobre 2013, c’est Barcelone qui annonça son retrait. Le 10 novembre, quatre jours avant la date limite de dépôt des candidatures, c’est Munich, qui, suite à une consultation populaire, se désistait à son tour. Lorsque, le 15 novembre 2013, le communiqué de presse du CIO annonça le nom des villes candidates, le ton était néanmoins guilleret, pour ne pas dire triomphant. Le communiqué titrait en effet : « Intérêt croissant pour les Jeux Olympiques d’hiver : six villes se déclarent candidates » ; il était alors question « du fort intérêt que les villes du monde porte aux Jeux » ainsi que « des avantages et de l’héritage durables que les Jeux peuvent apporter à une région ». Dans le climat de défiance qui entourait le CIO à 2 mois de Jeux de Sotchi, l’enthousiasme du communiqué ressemblait à un contre feu, éphémère. L’épidémie n'était pas vaincue.
Défection de Stockholm, Cracovie et Lviv
Le 17 janvier 2014, Stockholm renonçait à son tour au prétexte d’un « manque de soutien politique » dans une atmosphère d'hostilité à l'égard du CIO (on ne plaisante pas avec les soupçons de corruption en Suède) et de réprobation internationale à l'égard de l'action du président Poutine. On était alors à quelques jours du début des Jeux de Sotchi, débauche de dépenses à fonds perdus et pathétique spectacle promotionnel pour le « grand leader Poutine ». Le C.I.O. a-t-il seulement réalisé que les Jeux de Sotchi auront été une publicité désastreuse pour les Jeux ? Si tel n'est pas le cas, le message adressé par les citoyens de la ville polonaise de Cracovie pourrait l'aider à retrouver sa lucidité : le référendum qui y fut organisé en en mai 2014 vit le "non" atteindre 70 %, ce qui entraina la défection immédiate de la cité candidate. Toujours au titre d’un dommage collatéral de l’action du grand leader Poutine, c’est ensuite la ville ukrainienne de Lviv qui fut contrainte de jeter l’éponge le 30 juin 2014. Pas de référendum ici, mais un pays au bord du chaos qui n’a plus guère de milliard à consacrer aux dépenses étouffantes que celui qui tombe dans la trappe de l'olympisme doit engager. L’été 2014 commençait à peine que les JO de 2022 avaient déjà perdu la moitié de leurs villes candidates. Il est peu de dire que rapport du groupe de travail "2022" du CIO, paru mi 2014, fut sensiblement moins fanfaron que le communiqué de presse de décembre. Mais les malheurs du CIO n'étaient pas terminés pour autant.
Oslo prépare l'annonce de sa défection, Almaty à la limite du hors-jeu
Début septembre 2014, les promoteurs de la candidature d'Oslo font savoir qu'ils œuvrent à un projet de réduction des dépenses pour la candidature norvégienne, et en particulier des dépenses à la charge du contribuable. Le gouvernement indique qu'il va consulter le parlement et qu'un vaste soutien populaire sera une condition sine qua non au maintien de la candidature. Les sondages donnent le oui aux JO à un niveau peu différent de la côte de popularité du président Hollande en France, ce qui donne une assez bonne indication sur la vraisemblance de voir Oslo jeter l'éponge dans les semaines à venir. La candidature d'Almaty a elle aussi du plomb dans l'aile. Cette fois, c'est le futur code de la famille du Kazakhstan qui risque de ne pas être "CIO compatible". Le directeur exécutif des Jeux, Christophe Dubi, a adressé aux 3 villes candidates un courrier précisant que sera ajouté dans le contrat de la ville-hôte une clause "anti discrimination", en particulier à l'égard des homosexuels. La tendance du côté d'Almaty serait plutôt d'affirmer le caractère "dégénérescent" de l'homosexualité, ce qui ne devrait guère booster la candidature kazakh. Ainsi donc, la lutte finale pour l'attribution des JO d'hiver 2022 devrait opposer Beijing à Pékin, sauf si la Chine finissait, devant une telle hécatombe, par se demander si les JO d'hiver ne sont pas -pour reprendre la terminologie du colonel Louis-Marie-Alphonse Toulouse (Jean Rochefort) dans le "Grand Blond"- "un piège à cons".
La tournée des autocrates
Les retombées économiques des JO d'hiver sont indigentes. J'ai déjà évoqué dans ce blog l'article de Porter et Fletcher dans le Journal of Sport Management qui démontre la faiblesse de ces flux de dépenses consenties par des spectateurs extérieurs au bassin économique local. La facture, en revanche, ne cesse de progresser, car le cahier des charges du CIO se durcit et le nombre d'épreuves augmente. La seule explication rationnelle à la volonté d'un territoire d'organiser des JO d'hiver est donc aujourd'hui la recherche de notoriété pour un leader politique et/ou une nation émergente. Le prix à payer est substantiel (faut-il rappeler que les JO de Sotchi ont coûté 50 milliards de dollars...), trop élevé pour les contribuables des pays dans lesquels on demande effectivement son avis au citoyen. Dans les contrées où les usages démocratiques sont, disons..., moins ancrés, les JO d'hiver ont sans doute encore un avenir. Le CIO va maintenant devoir convaincre ses grands partenaires commerciaux que leur nom va être associé à une manifestation qui fait la tournée des autocrates de la planète. Même les dirigeants chinois ne vont guère aimer l'idée d'être associé à cette "fraternité" des tyrans et des dictateurs narcissiques !
Message modifié 1 fois. Dernière modification par tartiflette_power, 01/10/2014 - 17:27
inscrit le 28/10/07
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