Les Karellis, la montagne pour tous

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Les Karellis, la montagne pour tous

Dans le microcosme de la montagne, la station des Karellis tient une place unique du fait de son histoire singulière.
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Les Karellis sauf mentions

La station des Karellis demeure un modèle unique de développement touristique. Un lieu humaniste, de proximités et d’échanges né de la coopération entre la commune de Montricher-Albanne et l’association Renouveau portée par son initiateur Pierre Lainé. La station existe aussi à travers son domaine skiable qui ne manque pas d’atouts pour séduire tous les pratiquants de glisse. En janvier 2020, nous nous sommes immergés pendant deux jours dans ce bout de Maurienne pour comprendre les ressorts de la station, deviser de l’avenir avec ses acteurs et faire quelques descentes bien sûr.

Une route serpentine nous dresse vers les hauteurs à la sortie du hameau du Bochet au cœur de la Savoie industrielle. On traverse Montricher et on finit en cul-de-sac aux Karellis à 1 600 mètres d’altitude que l’on découvre au dernier moment, fondue dans un magnifique décor de mélèzes. Trois hameaux, trois lieux-dits, trois ambiances qui en disent long sur l’histoire plurielle de la commune de Montricher-Albanne. Les Karellis, ce n’est pas une grande station comme la Tarentaise voisine en foisonne, pas vraiment non plus une station de moyenne montagne quand on regarde les sommets environnants frôlant la symbolique des 3 000 mètres. Elle n’appartient à aucune « grande famille » de stations, et encore moins quand on se penche sur sa genèse issue d’une relation atypique entre une municipalité et un acteur du tourisme solidaire. Au cadre dominant des sports d’hiver dans les années 60 et 70 porté par le plan neige qui a confectionné des stations standardisées, les Karellis répondent par une trajectoire singulière et pionnière calquée sur le tourisme social et associatif. Quelques 40 ans plus tard, ce modèle de développement basé sur l'autonomie foncière et la mutualisation de tous les acteurs socio-économiques est encore vivace même s’il se redessine à la marge pour accompagner son futur.

Une station pas comme les autres

En 1964, la France lançait un grand programme d'aménagement de la montagne et des stations avec des territoires choisis et d’autres restés en marge ne bénéficiant pas de la reconnaissance de l’État. Pour faire partie des élus, la commune de Montricher, qui n’avait pas encore fusionnée avec sa voisine Albanne, avait pris, dès 1958, les devants en municipalisant les prés d'altitude délaissés par une agriculture vaincue par le travail à l’usine. Ce projet de station n’est pas sorti du chapeau puisque la culture du ski était déjà bien présente avec un club des sports créé avant-guerre par les hommes de retour du régiment d'infanterie alpine. Au temps béni des promoteurs, la commune n’essuie que des déceptions ou des refus et finalement se lance seule en implantant au lieu-dit « Plan des Colonnes » quelques remontées mécaniques et une salle hors-sac. Entêtement ou ténacité, les élus, Aimé Pasquier le maire en tête et les habitants ne se satisfont pas de ce stade de neige qui ne correspond pas à leur souhait originel et veulent construire un modèle alternatif basé sur la démocratisation de la neige et la force du localisme. La sensibilité populaire de la montagne pousse à essayer de développer une station répondant pleinement à des valeurs sociales. La rencontre avec Pierre Lainé, un baroudeur du loisir universel comme le présente ses adeptes, va tout changer. Ce nom parle peu mais il se retrouve pourtant en bonne place du livre « les pionniers des sports d'hiver » du regretté Philippe Revil au côté des illustres Émile Allais, Laurent Boix-Vives, Pierre Montaz ou Denis Creissels. C’est le point de départ d’une opération originale de station nouvelle dans sa conception, son organisation et sa gestion.

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À noël 1975, après 18 mois de travaux, la « station pour tous » ouvre ses portes. Elle est le fruit de cette coopération unique entre une collectivité territoriale et l’entité Renouveau associée à d’autres partenaires du tourisme associatif chacun organisés autour d’un village de vacances. Dans sa vision globale, le promoteur retient quatre axes pour le programme d’aménagement : un univers architectural respectueux de la montagne, complètement intégré dans le paysage et favorisant les rencontres, l’implication de la population résidente, des conditions de travail favorables pour les employés, saisonniers ou permanents, et l’intégration de nouvelles couches de clientèle. Le « Plan des Colonnes » est remplacé par les Karellis du nom d’une herbe de montagne la karèle, un petit écureuil devient l’image de la station car les habitants de la commune d’en face, Saint-Julien-Mont-Denis, donnaient ce sobriquet de rongeur aux Montrichelains qui parcouraient de haut en bas la montagne du temps de l’exploitation des carrières d’ardoises. Le succès est immédiat.

Avec cette opération, nous avions un double avantage : la commune restait propriétaire de son sol puisqu'elle ne concédait ses terrains que pour une durée déterminée et par convention signée avec les responsables des Karellis, les habitants avaient une priorité d'emploi dans la station. Et puis, ajoute le maire, ouvrier de la Maurienne, cette expérience me plaisait parce qu'elle s'adressait à des gens comme nous.

Aimé Pasquier, maire de Montricher, dans Le Monde du 6 décembre 1976

Notre route aboutit au bas de la station. Les skieurs à la journée disposent d’un vaste parking et d’un court télésiège qui fait l’ascenseur vers le front de neige pour du « prêt à skier » quand les vacanciers en séjour profitent d’aires de stationnement accolés aux différents villages vacances. La station des Karellis est en effet une destination de sports d'hiver qui se savoure sans voiture. Surprise, nous sommes en pleine semaine, en dehors des vacances scolaires et il est difficile de se garer. Alors que le phénomène immobilier des « lits froids », ces chalets et appartements inoccupés en période creuse, donnent des sueurs à la plupart des stations, les Karellis font le plein. Depuis l’ouverture, les principes fondateurs ont été respectés et entretenus. Le nombre de lits n’a pas dépassé la jauge initiale fixée à 3 000 lits pour 2 600 finalement construits et la station fonctionne toujours autour de six villages de vacances même si certaines associations ont pu changer d’appellation. Les vacanciers sont en séjours tout compris avec le confort de l'hébergement, la restauration, le forfait de ski, les animations, les clubs enfants mais ce format laisse une large place aux skieurs occasionnels puisque le domaine a été dimensionné à ses débuts pour 5 000 skieurs/journées.

C’est à la rencontre des visages et des sourires des Karellis que nous nous imprégnons des particularités de la station.

des objectifs partagés et une prise de décision en concertation

Ce bon fonctionnement repose sur un système de gouvernance renouvelé en 2019 mais profitant toujours d’un dialogue permanent entre tous les acteurs de la station. Le schéma collégial peut apparaître au premier abord complexe mais allons à l’essentiel :

- la commune est propriétaire du terrain de la station et a repris récemment la gestion des communs (voirie, réseaux, déneigement) ;

- les hébergeurs, associations du tourisme social et détenteurs de baux emphytéotiques de 99 ans, commercialisent leurs logements et versent un forfait au lit garantissant ainsi le chiffre d’affaire du domaine skiable, le tout dans une forme de concurrence partenariale. « On est tous concurrents mais on est avant tout partenaire de la gestion de cette station parce que c’était la volonté de son fondateur » nous dit Christian d’Azureva ;

- aucun commerce n’est privé aux Karellis, le pool de boutiques, de la crêperie au magasin de sport, est géré dans une coopérative. « Pas de mercantilisme ici. Les bénéfices servent à faire des investissements dans la station » nous raconte Serge de l’épicerie le panier Savoyard ;

- une régie de remontées mécaniques exploite le domaine skiable ;

- l’office de tourisme, repassé récemment sous le giron communal, s’engage à ouvrir et développer la marque Karellis pour le bien du territoire et de l’ensemble des acteurs. « On veut passer un cap qualitatif, se renouveler tout en continuant à garder notre identité de station familiale, conviviale et attractive » indique Sophie Verney, maire de la commune.

une fidélité aux valeurs originelles

Les valeurs des Karellis, certes souvent implicites, éclairent sur les mécanismes de la station. Les valeurs sociales ont pu varier au cours des dernières décennies en même temps que la société a évolué mais c’est assez incroyable de ressentir ce qu’il se dégage des échanges épars. Proximité, relation, bienveillance, partage, hospitalité sont les maîtres mots. Rien n’est dévoyé, forcé, exagéré, Serge de nous dire d’ailleurs « quand j’ai embauché ici, je ne venais pas chercher un salaire mais arrivais pour participer à un projet global. Pour certains, cela peut paraître des valeurs de mode mais pour moi ce sont des valeurs de fibre. On est une marque. Il y a quelque chose qui nous dépasse dans l’ambiance qui règne dans cette station ». Même son de cloche avec Thierry, du côté de l’école de ski pourtant en dehors de la gouvernance de la station, « on est main dans la main dans un fonctionnement intégré. On a tous besoin les uns des autres pour avancer ». Anthony qui vient de prendre les rênes d’Odesia Vacances de renchérir, « l’humain est la valeur ajoutée de la station. Ce plus que l’on ne retrouve pas forcément ailleurs. Je crois que les gens viennent aux Karellis car il y a cette formule du tout compris très attractive mais ils ne reviennent pas que pour cela ». Et l’usager dans tout cela ? « Les clients ressentent cela, c’est une réalité de terrain qui se vit. On peut changer de station mais on revient toujours à la case Karellis. C’est une affection qui est difficilement palpable » nous dit Fabrice à l’office de tourisme. D’ailleurs, Bernard, postier de son état, qui vient ici depuis 35 ans confirme ce ressenti « la station n’est pas du tout impersonnelle. Sa configuration permet de créer beaucoup de liens. Les échanges sont faciles. Pour rien, je ne ferai d’infidélité aux Karellis ». Les salariés trouvent aussi leur compte dans cette entreprise d’un genre différent et s’imprègnent rapidement de cet « esprit Karellis ». « Tu sais quand tu arrives mais tu ne sais pas trop quand tu repars. On s’attache vite à l'ambiance sans pareil et pour le moment je n’ai pas envie de quitter les Karellis car je m’y sens bien » indique Patrick, à la manœuvre pour produire de la neige de culture.

Tous les 15 jours, on se retrouve tous en réunion de coordination. On partage nos problématiques. L'individualisme dans le tourisme a ses limites. La bonne idée permet de prendre de l'avance. Ici, au contraire, on partage nos bonnes idées.  

Anthony, directeur du village de vacances Odesia Vacances

grandir sans se renier

Cette harmonie a quelque peu vacillé avec la reprise en main de la commune notamment sur la politique touristique mais personne ne souhaite que ce bel équilibre chancelle. Les salariés de la station poussent pour conserver cet ADN unique et faire que tous ces changements opérationnels et structurels soient purement transparents pour l’usager. « Je suis prêt à travailler cinq années de plus s’il faut pour que les Karellis ne deviennent pas une station lambda » nous dit Serge. Même son de cloche chez les hébergeurs avec Christian « On s’était éloigné avec la commune. L’esprit d’équipe s’est étiolé mais il ne faut pas qu’il y ait de trou au niveau relationnel. Il faut que l’on prenne le bon tournant ». Les projets ne manquent pas pour grandir sereinement nous dit Sophie Verney : « La régie des remontées mécaniques a un projet de remplacement du télésiège des Chaudannes par un six places à attaches débrayables. La construction d’une auberge de jeunesse va nous permettre de rajeunir notre clientèle. On va créer de nouveaux lits avec un refuge d'altitude, une résidence hôtelière et une aire de camping-car également car le domaine skiable peut absorber plus de skieurs. Mais on ne deviendra jamais Courchevel. On veut continuer à faire au mieux et tous ensemble ».

les Karellis, versant ski

Évoquer les Karellis, c’est bien souvent parler de son modèle de fonctionnement atypique en occultant ce qui est son premier atout à savoir son domaine skiable. Petit tour du propriétaire pour clore notre rapide séjour.

Quand on tient le plan des pistes entre ses mains, on peut penser que l’on aura rapidement fait le tour. Étendu sur une superficie de 530 hectares, le domaine offre pourtant bien plus qu’il n’y parait. Comme nous le confirme Christophe, « ici, on skie partout entre les lignes, il n’y a pas de pièges ». La foule en moins également car il n’y a jamais d’attente, le lieu étant surdimensionné par rapport à la capacité d’accueil.

L’espace skiable a été intelligemment réparti en trois secteurs bien identifiables :

- La forêt accessible par les deux télésièges débrayables situés sur le front de neige. Si les larges forêts de mélèzes permettent de s’initier à un freeride de proximité, c’est aussi le paradis des débutants qui trouvent là trois très belles pistes pour s’aguerrir avec lac, copies et ponsonnière. Si vous cherchez bien dans vos déambulations skis aux pieds, un arbre remarquable le Gros Mélèze, vieux de 600 ans, se cache au cœur des pinacées ;

- Élévation verticale pour retrouver ensuite les zones d’alpage du secteur des Arpons de l’autre côté du Crêt de Talière ; la piste bleue des Arpons est un régal pour les skis mais aussi pour les yeux avec une vue plongeante sur la vallée de l’Arc. L’enchaînement avec la piste de Vé permet d’atteindre le charmant hameau d’Albanne et son style architectural de montagne parfaitement préservé. Un petit arrêt s’impose dans le très rétro restaurant le Narcisse pour un simple café ou se laisser attendrir par l’odeur de gigot qui tourne au-dessus des braises. Si votre temps de ski s’en trouvera diminué, vous serez l’instant de quelques heures transporté dans un autre monde loin de la fulgurance moderne ;

- Comme dans la représentation schématique des différents niveaux de végétation, le dernier degré est la haute montagne. D’ailleurs, Nathan, un jeune Mosellan, rencontré sur la terrasse des Carlines résume bien cet étagement dans sa pratique « d’année en année, je progresse et je prends de la hauteur. Des pistes bleues de l’Arpon, je suis passé aux rouges du secteur des fontagnoux et des vordaches ». L’ambiance ici est plus minérale et l’exposition nord-est conserve une neige froide et savoureuse. La plus belle piste est incontestablement la rama du nom du ruisseau qui prend sa source à la tête des Chaudannes, point culminant du domaine skiable. 900 mètres de dénivelé négatif à avaler d’une traite. Pour du ski plus engagé, on basculera sur la piste des enfers, « une piste qui ne s’oublie pas » selon Fabrice, qui pour ne pas chagriner les amateurs de neige fraîche n’est plus damée par la régie.

- Dans sa diversité de pratiquants, la station n’oublie pas les personnes à mobilité réduite pour l’initiation au ski avec sept tandems-ski. Ce matériel s'adresse également aux non-skieurs leur permettant d’accéder aux hauteurs du domaine, accompagnés et en toute sécurité.

En adéquation avec les nouvelles expériences du ski tournées vers les grands espaces, les Karellis ne manquent pas d’opportunités aussi pour de la freerando à proximité du domaine skiable. Trois secteurs se détachent (à explorer avec le matériel de sécurité nécessaire bien entendu) :

- La combe des vallons à gauche du télésiège des Arpons pour une belle descente plein sud jusqu’à Albanne ;

- toujours côté Arpons, les couloirs des Sallanches sur la crête de la paroi du Midi avec de l’initiation au ski de couloir en aller et retour ou à coupler, en itinéraire, avec le sommet voisin de la Grande Chible et ses 2 931 mètres ;

- et bien sûr, la Combe Messolard accessible par gravité depuis la tête d’Albiez (mais le journaliste qui écrit ce nom risque de ne pas se faire que des amis là-haut) qui est le spot hors-piste de la station attirant même chaque année des skieurs Finlandais tombés amoureux du secteur et de l’ambiance.

Mickaël Bimboes, jeune retraité du freeride world tour, disait il y a quelques années qu’aux Karellis, où il a appris à skier, l'addiction commençait dès la première descente. Cette maxime reste plus que jamais vrai. Ajoutez la neige qui tombe ici abondamment du fait d’un positionnement central dans la vallée de la Maurienne permettant de bénéficier des perturbations d'est et d'ouest. D’ailleurs, et sauf rare exception, grâce à son exposition et à son altitude, la station ouvre à 100 % et ferme à 100 % ! Une autre singularité finalement.

La station des Karellis conserve, en héritage de sa construction historique, sa fonction de laboratoire de l’innovation touristique. Depuis son ouverture, la station démontre que l’utopie de croire qu’il était possible de créer une station de montagne originale était encore possible. Les valeurs humanistes, de solidarité et de partage portées par Pierre Lainé fédèrent encore aujourd’hui. Anthony résume poétiquement cet univers étonnant « La vraie différence, c’est finalement être comme les autres mais différemment ». Dans la continuité des valeurs originelles, le prochain défi va être d'affronter le futur et le monde d’aujourd’hui en pérennisant un merveilleux outil de travail pour les salariés et un incroyable espace de liberté pour les vacanciers.

Cet article est une production Skipass.com réalisée avec le soutien des karellis
ventoux84
Texte Maxime Petre
Cette montagne que l'on découvre...Au loin de toutes parts est presque toujours devant nos yeux

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