Notre conclusion après avoir vu les dernières productions vidéo lors du High Five Festival était quelque chose comme « Ok donc en 2018, si t'as pas un drone pour filmer tes exploits, t'as raté ta vie ». Car les images prises en drone, c'est trop cool : tu peux faire des prises de vue originales (en tout cas, elles l'étaient en 2015) qui vont claquer sur Instagram. Et un drone, c'est plus léger, moins cher et moins polluant qu'un hélicoptère, pour un rendu d'image assez proche, au moins en terme de cadrages. Résultat, on entend de plus en plus de ces petites bestioles vrombir en montagne, et les contenus filmés depuis le ciel fleurissent sur les réseaux sociaux et plateformes vidéos.
Or, ce n'est pas sans causer de potentiels conflits d'usages car, comme l'a si bien expliqué un grand penseur français, "quand il y en a un ça va, c'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes". Si bien que la législation française a rapidement dû mettre en place une règlementation stricte à propos de ces "aéronefs télépilotés qui circulent sans personne à bord", et des formations pour ceux qui veulent les piloter (dans certains cas, on y revient plus loin).
Nous avons voulu revenir sur ce phénomène drone, rappeler les risques éventuels, la règlementation entrée en vigueur cette année et enfin, étudier quelques pistes pour que la cohabitation en montagne entre les pratiquants et les pilotes (pratiquants également, bien sur) se déroule sans anicroche. Cet article ne s'adresse donc pas qu'aux pilotes de drones, mais à toute personne qui se retrouverait un jour ou l'autre à proximité d'un de ces engins volants : il est intéressant de savoir ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas. Car nous vous avouons tout de suite que des pratiques à la limite de la législation (ou carrément interdites), on en voit en montagne, et un peu trop souvent.
Un drone est, grosso-modo, un engin qui vole sans pilote embarqué. Nous n'allons pas vous faire toute leur histoire, ni faire le tour de tous les types qui existent et leurs applications, car cela remplirait un article entier et d'autres l'ont déjà fait mieux que nous ne le ferions jamais. Retenez juste qu'il en existe de tous les types et de toutes les tailles, depuis le drone qui tient dans la main à celui qui fait la taille d'un petit Boeing. Et les possibilités dépassent probablement ce que vous pouvez imaginer.
Du plus petit au plus gros ci-dessous, un PD-100 Black Hornet Nano de l'armée américaine, un Mavic Pro (le drone classique de loisir), un DJI Matrice 600 Pro UAS, et enfin un RQ-4 Global Hawk, également de l'armée américaine :
Le marché du drone civil en France a commencé en 2012, et a pris son envol dans les années qui ont suivi. Le nombre d'opérateurs de drones enregistrés (essentiellement des professionnels) en France est ainsi passé de 90 en 2012, à 3200 en 2016 et plus de 7500 en octobre 2018. Le parc de drones lui, a suivi une courbe bien supérieure car une grande partie d'entre eux peuvent être pilotés sans que l'opérateur ou le drone n'aient besoin d'être enregistrés. Ainsi, les ventes de drones en France tournaient autour de 100 000 en 2014, 377 000 en 2016.
Un tableau extrait d'un rapport de 2017 sur les perspectives de développement de la filière des drones civils professionnels à l'export, démontrant le décollage du marché entre 2012 et 2015 (qui a encore bien grossi depuis) :
Ce qui nous intéresse dans le cadre de la pratique du ski, ce sont les drones de loisir qui permettent de faire des prises de vues. Ce marché est actuellement essentiellement trusté par le chinois DJI. Le français et pionnier Parrot, tout comme quelques autres plus petites marques, peinent à se tailler leur part du gâteau.
Le marché des drones de loisir donnait l'impression d'être LE futur gros gâteau à se partager il y a quelques années. C'était en partie vrai comme l'avez vu ci-dessus : ça a décollé fort, et d'après les dernières perspectives, ce n'est pas fini. Mais il semblerait que les attentes aient été plus élevées que ce que le potentiel réel de ces machines et les avancées technologiques permettaient vraiment de faire, menant à un phénomène de bulle médiatique (déjà identifié dans cet article en 2013).
Ainsi, la réalité a rattrapé les attentes exacerbées et les acteurs qui s'étaient jetés sur ce marché ont eu affaire à quelques bémols :
- Le premier concerne le produit lui-même, qui est un concentré de technologie complexe à développer, produire et entretenir ensuite (SAV, etc.),
- Le second bémol, c'est la réaction des autorités face à un afflux de petits engins volants dans l'espace aérien : forcément, la législation s'est fortement rigidifiée, notamment en France. Cela a eu pour effet de limiter l'essor du marché du drone de loisir.
Parmi les victimes de ce phénomène de bulle, on notera l'échec de GoPro avec son drone Karma, depuis arrêté, et le faux départ des drones suiveurs, pour les raisons évoquées ci-dessus.
La France est tout de même bien placée avec une filière drone forte côté professionnel : on dénombre 25 constructeurs en 2017, plus de 9000 emplois pour 140 millions d'euros de chiffre d'affaire.
Un Mavic Pro en action, en loisir :
Il est intéressant de connaitre ces règles en tant que "simple" pratiquant de montagne voire en tant que "simple" citoyen : elles signifient en gros que si vous n'avez pas donné votre autorisation et qu'un drone de loisir vous survole, il est hors-la-loi.
"L’aéromodèle doit être utilisé de façon à ne pas mettre en danger les personnes et les biens à proximité. Les personnes et les véhicules ne doivent pas être survolés et une distance minimale de sécurité doit être respectée, prenant en compte la possibilité de pannes. L’aéromodèle doit rester nettement éloigné de tout rassemblement de personnes."
Si vous voyez un drone voler à proximité de vous et que son pilote ou une personne tierce pouvant prendre les commandes ne sont pas à vue à proximité, il est probablement également hors-la-loi.
Si vous êtes reconnaissable dans une vidéo de drone postée sur internet sans votre autorisation et prise dans le cadre de la vie privée, il est probablement hors-la-loi.
Si vous voyez quelqu'un faire décoller et voler un drone dans le Parc National des Ecrins ou le Parc National de la Vanoise (ou autres réserves naturelles interdites au vol de loisir), il est probablement hors-la-loi.
Attention, pas la peine de vous braquer directement : si vous observez ce qui vous semble être une infraction, allez voir le ou les opérateurs et voyez avec eux s'ils ont les autorisations pour ce qu'ils font, car il est possible d'en obtenir dans certains cas en usage professionnel (d'où le "probablement" ci-dessus).
Les règles édictées ci-dessus ne sont pas des guides de bonne conduite, ce sont bel et bien des règlementations dont le respect est obligatoire :
"L’utilisation d’un drone dans des conditions d’utilisation non conformes aux règles édictées pour assurer la sécurité est passible d’un an d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende en vertu de l’article L. 6232-4 du code des transports. Faire survoler par un drone une portion du territoire français en violation d’une interdiction de survol est passible de 45 000 euros d’amende, 1 an de prison, et de la confiscation du drone en vertu des articles L. 6232-12 et L 6232-13 du code des transports."
Et autant vous dire qu'à l'heure où l'on suspecte de plus en plus des projets d'attentats à l'aide de drones, les autorités risquent de devenir de plus en plus tatillonnes avec le respect de ces règles. D'autant plus si un nombre croissant de pilotes ne respectent pas les règles.
Ci-dessous, la carte des restrictions de vol pour les drones de loisir sur Geoportail, avec la légende de couleur en fonction des hauteurs de vol autorisées :
"Dès lors que l’utilisation n’est pas limitée au loisir ou à la compétition, que l’exploitant soit ou non une société et que cette utilisation ait lieu ou non dans le cadre d'une transaction commerciale, on parle d’activités particulières ou, pour les vols de développement ou de mise au point, d’expérimentation.
[...] A partir du 1er juillet 2018, pour exercer une activité de télépilote dans le cadre de l’usage professionnel de drones, il convient d’être titulaire d'un certificat théorique de télépilote délivré après une réussite au nouvel examen théorique adapté aux activités de télépilote.
[...] L’arrêté définit en outre la formation pratique qui devra être dispensée par les exploitants. A l’issue de celle-ci, les exploitants remettront aux télépilotes une attestation de suivi de formation pour les scénarios correspondants."
Voilà, c'est clair et simple : du moment que vous effectuez une activité commerciale avec votre drone (par exemple si vous filmez avec pour ensuite faire un édit que vous monnayerez d'une façon ou d'une autre), vous entrez dans le cadre des pratiques particulières, et donc vous devez passer une formation théorique et pratique délivrée par un organisme agréé. Nous n'allons pas vous expliquer précisément en quoi cela concerne car c'est long et complexe (la formation dure une semaine et coûte entre 2000 et 3000€), mais en gros, c'est bien plus encadré que la pratique de loisir ou compétition : les pilotes doivent apprendre les règles précises de vol en fonction de quatre scénarios distincts.
Si cela vous intéresse, vous pouvez lire le guide des aéronefs circulant sans personne à bord : activités particulières (63 pages).
A gauche, synthèse des exigences règlementaires en fonction des différents scénarios de vol (à droite) et des masses des engins :
Ok mais moi tout ce que je veux, c'est faire quelques plans dans ma station ou ma montagne pour mon édit de fin de saison que je montrerai à mes grand-parents. Donc je dois faire quoi ? Petit rappel d'abord sur la prise de vue, extraite du règlement sur l'usage des drones de loisir :
"Les activités de loisir permises en aéromodélisme incluent la prise de photos ou de vidéos si ces
prises de vue n’ont pas été réalisées avec l’objectif d’en tirer un bénéfice financier ou d’en faire un
usage professionnel"
Sinon, on passe en usage professionnel, avec les formations et tutti quanti. Ensuite eh bien, il faut s'assurer de respecter toutes les règlementations : au niveau du drone lui-même (poids, puissance, etc.) puis ensuite lors de la pratique.
Il vous faudra vérifier votre assurance de responsabilité civile, consulter la carte des restrictions, éventuellement demander une autorisation au propriétaire ou exploitant du terrain où vous souhaitez filmer, et bien sur vous tenir à distance de toute « zone peuplée » (comme une piste de ski, un sommet avec des randonneurs, une remontée mécanique ou une terrasse de restaurant d'altitude). Il vous faudra voler à vue, de jour, loin des sites sensibles et zones interdites, bref tout ce qui est décrit dans le document usage d’un drone de loisir. Ne pas oublier les règlementations spécifiques pour les vols en suivi et les vols en immersion (obligation de personne tierce pouvant reprendre le contrôle).
Un dernier petit aparté juridique pour la route :
"Un aéronef est dit évoluer en « zone peuplée » lorsqu’il évolue :
- au sein ou à une distance horizontale inférieure à 50 mètres d’une agglomération figurant sur les cartes aéronautiques ;
- à une distance horizontale inférieure à 150 mètres d’un rassemblement de personnes"
Rassemblement de personnes vous dites ? Voici la précision apportée par le Guide des activités particulières :
"Il s’agit d’un attroupement de plusieurs dizaines de personnes, notamment : public de spectacle ou de manifestation sportive, parcs publics, plages ou sites touristiques en période d’affluence, défilé…"
Bon, ce n'est pas le point le plus clair de la règlementation (qui est en pleine évolution d'ailleurs, tout comme le marché du drone) mais cela donne une bonne idée tout de même de ce qu'on doit éviter : voler au-dessus de personnes, où que l'on soit. Et si vous souhaitez tout de même voler dans une zone peuplée, c'est possible sous conditions : il s'agit de conditions particulières (scénario 3) donc il vous faudra passer la formation professionnelle, demander une autorisation préfectorale en amont, demander également une autorisation en cas de prises de vue, etc.
Les obligations précédentes, c'est dans le cadre de la règlementation mais dans la vie en société, il y a des us et coutumes qui sont généralement appliquées par tous et qui permettent de meilleurs rapports entre les personnes. Par exemple, la règle implicite de la priorité au randonneur ascendant en randonnée.
Et dans le cas qui nous préoccupe, il y a ce qu'on pourrait appeler le "paradoxe du drone" : la plupart d'entre nous allons en montagne pour être loin du bruit et de l'affluence des zones urbaines. C'est d'ailleurs ce côté calme et magnifique qu'essaient de retranscrire les images prises en drone. Or, sur place lors de la prise de vue, cela se manifeste par une nuisance visuelle et sonore opposée à ce que l'on recherche généralement dans ces environnements naturels. Comment concilier les deux ?
Quelques possesseurs et utilisateurs de drones nous ont ainsi donné des pistes que les pilotes de drones avisés devraient suivre, au moins s'ils ne veulent pas voir un jour leur engin définitivement privé de vol en raison d'une nouvelle règlementation plus restrictive :
"Si des gens sont proches de l'espace où je souhaite voler, leur demander avant si ça dérange. Si des gens arrivent près de ma zone de vol, leur demander si ça les dérange. Et même s'ils disent que ça ne les dérange pas, toujours garder une distance plus grande que ce que la législation oblige pour éviter au maximum la nuisance sonore et visuelle." Clément
"Evidemment respecter la règlementation (surtout ne pas prendre de risques avec les personnes), mais aussi respecter les gens, notamment en randonnée. Il faut faire preuve de courtoisie, ce n'est pas parce qu'on a le droit que l'on ne dérange personne... Une simple demande aux personnes à proximité suffit généralement à éviter les contentieux." Théo
Remerciements : Sylvain Wojerz (AltiView), Johan Milani (Lyon Drone Service), Jérémy Montfrais (Direction Générale de l'Aviation Civile) et la gentille dame de la préfecture que j'ai eue au téléphone.
Tout sur les drones :
- Les drones, loisir et compétition.
- Les drones, activités particulières.
8 Commentaires
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Je suis le premier à faire très attention aux gens, un peu trop timide pour leur demander si ça les dérange, mais en soit, un vol de 10min n'est pas spécialement une nuisance sonore pour moi. Cela peut s'appliquer à tout après (hélico, avions, enfants qui crient...)
C'est un très bon article en tout cas, et je compte toujours faire attention avec mon drone !
Si tu souhaites exercer une activité professionnelle il te faudra être titulaire d'un certificat théorique de télépilote délivré par la DGAC, c'est un peu l'équivalent du code de la route dans le monde de l'aviation. Tu as d'autres démarche administrative à faire par la suite pour voler en toute légalité mais tout est gratuit. Ne pas oublier l'assurance si tu souhaites voler en tant que professionnel, le coup est relativement important !
Je te conseille de te rapprocher de la DGAC (Direction Générale de l'Aviation Civile) de ton département pour en savoir un peu plus !
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Dans toutes ces superbes production combien sont dans les clous vis a vis de toutes ces réglementations ?
Y'a beaucoup de vidéos , webisodes filmé avec du drone et dont certains passe au cinéma ( high five ou autre ) par des productions amateurs
C'est une bonne question...
Concernant les productions au High Five, pas mal de skieurs et caméramen ont passé les formations professionnelles (Fab de Bon App, notre ex-cameraman Ludo Chauchaix, Julien Colonge chez Ubac Images, et pas mal d'autres). Bon ce ne sont pas vraiment des amateurs non plus
Après si c'est une production amateur (mais VRAIMENT amateur), cela veut dire qu'ils n'en retirent aucun bénéfice financier (pas de partenaires, etc) mais juste la "gloire" de passer sur grand écran. Difficile de dire si cela rentre ou non dans "l'usage commercial" défini pour le passage en activités particulières. Ils pourraient peut-être rester dans le cadre du loisir (à définir ou vérifier), tant qu'ils respectent les règles "basiques" de vol.
Dans tous les cas, c'est compliqué de voler en drone et nous estimons que c'est normal, étant donné les risques de cet usage bien développés dans l'article.
Attention toutefois à ne pas se braquer à la moindre vidéo qui semble sortir des clous : il est toujours possible d'obtenir des autorisations auprès de la DGAC et des préfectures pour déroger à certaines règles.
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