Cet article est une production skipass.com, réalisée avec le soutien de Tecnica.
Comment une chaussure de ski est-elle imaginée, développée puis conçue ? La marque italienne Tecnica nous a invités à son siège à Giavera del Montello, près de Montebelluna, siège historique de la fabrication de chaussures de ski, pour une visite guidée. Au travers de l'article, nous vous racontons le développement d'une chaussure de ski, de l'idée du produit à son arrivée dans les rayons des magasins.
L'histoire de Tecnica est intimement liée à la chaussure. La famille Zanatta, fondatrice et propriétaire du groupe, fabrique des chaussures depuis plus de 150 ans. D'abord des chaussures de travail, avant de passer progressivement à des chaussures de loisirs dans la deuxième moitié du XXème siècle.
L'entreprise sous le nom Tecnica a été créée en 1960 par Giancarlo Zanatta. C'est son fils Alberto qui est actuellement président du groupe. En juillet 1969, dans la foulée de l'alunissage d'Apollo 11, est lancée la fameuse Moon Boot, inspirée par les chaussures des astronautes. Ce premier pas dans l'univers des sports d'hiver sera une grande réussite pour Tecnica. La marque sera sponsor du célèbre film "Les bronzés font du ski", sorti dix ans plus tard, en 1979.
L'année suivante, Tecnica se lance dans la chaussure de ski plastique avec la Tecnus, la première chaussure fabriquée avec un procédé de bi-injection.
En 1985, Tecnica diversifie son activité et s'oriente vers l'été en proposant sa première gamme de chaussures outdoor. Dans la même optique, le groupe acquiert en 1993 le fabricant de chaussures allemand Lowa. Aujourd'hui, ce secteur qu'on appelle "l'outdoor footwear" représente plus de la moitié du chiffre d'affaire du groupe (d'un total de 338 millions d'euros en 2016).
"Tecnica Group" a continué les acquisitions dans les années 2000 : Nordica en 2002, Rollerblade en 2003, et enfin la marque autrichienne Blizzard en 2006. Cette dernière lui permettait d'affilier une marque de ski aux chaussures Tecnica, formant ainsi le duo Blizzard-Tecnica que nous connaissons aujourd'hui.
Aujourd'hui, le groupe Tecnica produit près de 625 000 paires de chaussures de ski par an, essentiellement en Hongrie, tandis que de "petites" séries (environ 40 000 paires), sont fabriquées sur place, en Italie. Le siège est composé de plusieurs bâtiments réunissant les différents domaines : direction, administratif, juridique, marketing, recherche et développement, production et stockage.
Un modèle de chaussure de ski, en moyenne, c'est deux ans de développement pour quatre ans d'amortissement. C'est-à-dire que, du moment où le processus de développement est lancé, jusqu'à l'arrivée dans les rayons des magasins des nouvelles chaussures, il y a deux années de travail intense, planifiées à la semaine près. Ces deux années représentent de gros investissements financiers (entre 1,5 et 2 millions d'euros pour un modèle et ses déclinaisons), qui devront être amortis pendant les années de production suivantes. Durant ces quatre années (minimum), ce sera au tour des autres gammes de chaussures d'être revues, ou de nouvelles gammes d'être créées.
Nota Bene : pour plus de clarté au niveau des dates et du timing, nous prenons l'exemple fictif d'une nouvelle chaussure qui arrive en magasin en ce moment, à l'automne 2017 - produits nommés "2018", car pour la saison 2017-2018.
En amont, deux ans avant l'arrivée en magasin du produit final, des "focus groups" internes et externes apportent des éléments de réflexion pour décider de ce que sera la prochaine chaussure : quel programme, quel public cible et quelles caractéristiques elle aura, en fonction des évolutions potentielles du marché, de la volonté stratégique de la marque, de ce qu'il est possible de réaliser techniquement, etc.
Tout est rassemblé et présenté lors de réunions de lancement de projet en septembre/octobre à N-2. Le difficile travail du "Product Manager" sera de rassembler et répondre à toutes les exigences des différents groupes (marketing, R&D, athlètes, ingénieurs, revendeurs) pour décrire puis développer le futur produit. C'est à ce moment, en fonction du programme et du public ciblé, que le chaussant de la future chaussure est défini.
Les premiers prototypes en résine sont conçus au cours de l'automne, à partir de moules sur-mesures en silicone, designés par ordinateur et découpés au laser. Ceux-ci ne sont pas skiables, et servent seulement à avoir une première idée de ce à quoi va ressembler le produit et pouvoir travailler pour obtenir le chaussant voulu.
Les premiers prototypes en plastique injectés, skiables, arriveront au mois de janvier de l'année N-1. Ceux-ci seront testés, modifiés et améliorés durant l'hiver en cours et au printemps, pour arriver à des produits "finis" en début d'été. C'est à ce moment, environ un an avant l'arrivée en magasin, que seront fabriqués les "samples", les échantillons de produits destinés aux athlètes professionnels et aux représentants de la marque. A ce moment, ces futures chaussures sont encore sous "embargo", il n'est pas possible d'en parler au public.
Les nouveautés seront présentées lors de journées organisées, et durant des salons tels que le Ski Avant Première (salon professionnel à Meribel en janvier), ISPO à Munich (où la plupart des produits sont présentés au public) ou son équivalent américain le SIA. Durant cet hiver précédant le lancement, de plus en plus de personnes testent ces produits (athlètes, représentants, journalistes, blogueurs, détaillants, etc.) et font des retours. De petites modifications peuvent encore être faites sur les modèles avant la validation et le lancement de la production en série.
Durant les salons, de nombreuses commandes sont passées par les revendeurs et détaillants, permettant à la marque de prévoir sa production. Celle-ci se fait durant le printemps et l'été. Les premières expéditions des nouvelles chaussures pour les magasins seront faites en fin d'été vers l'Amérique du nord, puis durant l'automne pour l'Europe.
Les produits de série, terminés, seront aux pieds des clients plus de deux ans après le début des réflexions, durant l'hiver N-N+1 (dans notre exemple l'hiver qui arrive, 2017-2018). Les personnes travaillant sur ces projets sont ainsi en permanence la tête "dans le futur", actuellement en train de prévoir les tendances et les produits des années 2019, 2020 voire 2021...
Avant d'attaquer dans le dur du sujet (oui, ce n'est que le début), un petit aparté technique explicatif à propos des deux grandes caractéristiques des chaussures de ski.
Le "flex" est la rigidité de la chaussure, plus précisément la résistance en flexion du collier. Plus vous skiez avec une conduite sportive et technique, plus vous appuyez sur vos languettes pour diriger vos skis (et les mettre eux aussi en flexion). Il faut donc une chaussure rigide, capable de transmettre efficacement et rapidement (réactivité) des appuis importants. Cependant, une chaussure trop rigide sera difficile à utiliser pour un skieur de niveau débutant ou intermédiaire, pour lequel une chaussure plus souple sera plus adaptée.
Le flex est obtenu grâce aux propriétés dynamiques de la chaussure, notamment le type et l'épaisseur du plastique. Plus la coque est épaisse, plus la chaussure est rigide et pourra résister aux appuis. L'indice de flex est un chiffre indiqué à titre informatif, n'étant pas normé ou conventionné. Il commence aux environs de 50 pour une chaussure souple, et va jusqu'à 130 dans le grand public (déjà très rigide) voire 150 et même 170 en racing notamment en slalom (chaussures athlètes World Cup).
Cependant, ces chiffres ne sortent pas de nulle part : les marques testent le "flex général" d'une chaussure en le comparant avec d'autres modèles. D'abord avec des machines (voir ci-dessous, à température et dynamique constante). Celui-ci est ensuite soumis à la validation de plusieurs testeurs en conditions réelles, sur la neige et dans différentes conditions. D'une marque à l'autre, cela reste ainsi assez homogène, on peut trouver des différences de l'ordre de +/- 5 pour un même indice de flex annoncé.
Celle-ci représente la largeur du chaussant en millimètres au niveau des métatarses, plus précisément à l'endroit où le pied est le plus large, pour une pointure échantillon donnée (en général 26.0 pour les hommes et 24.0 pour les femmes en pointure Mondo Point - la largeur étant donc différente sur les tailles inférieures ou supérieures). Autant dire que selon les morphologies de pieds et les techniques de mesure, ce n'est pas une science exacte, et comme pour le flex, celle-ci peut varier d'une marque à l'autre.
Chez Tecnica, voici les différents types de chaussants identifiés en fonction des pratiques (en millimètres, pour une pointure échantillon homme) :
- Inférieur à 98 mm : World Cup,
- 98 mm : Racing,
- 100 mm : Haute performance,
- 102 mm : Sport performance,
- 104 mm et plus : Confort, grand public.
Revenons au début du processus. Les bureaux de ce qu'on appelle la "R&D"(Recherche et Développement) travaillent (en collaboration étroite avec les commerciaux) sur la création du produit lui-même en fonction du cahier des charges. C'est là-bas que sont créés les différents prototypes en résine, à partir de moules en silicone, eux-même réalisés à partir de modèles 3D dessinés sur ordinateur.
Des ingénieurs testent différents types de matériaux et composants, leur résistance, leur déformation (traction, torsion), pour pouvoir choisir le plus adapté en fonction de son poids, son prix, etc. Les couleurs des plastiques et leur évolution au fil du temps sont également testées.
A côté de la recherche sur la partie fonctionnelle du produit, une grosse partie du travail concerne l'esthétique. De nombreux essais sont effectués avec différents types de plastiques et de couleurs. Cette partie concerne d'ailleurs les gammes en production aussi bien que celles qui sont développées, le design étant parfois modifié d'une année sur l'autre, bien que le produit reste identique dans ses caractéristiques.
Les ingénieurs testent aussi bien des parties de la chaussure que des produits entiers, et ce dans des conditions ressemblant le plus possible à des conditions de pratique. Ci-dessous, une machine effectue des cycles de flexion sur une chaussure, représentant les appuis d'un skieur à chaque virage, le tout dans un congélateur à une température de -10°C. La machine était partie pour trois cycles de 10 000 flexions chacun (trois jours de test environ au total). L'ingénieur analyse les effets de l'utilisation à long terme : abrasion, casse, déformation, détachement de pièces, etc.
Après une première validation d'un prototype, celui-ci part en production pour d'abord fabriquer les "samples", les échantillons qui iront aux athlètes, ambassadeurs, testeurs et journalistes. Cette production s'effectue ici en Italie, au siège de Tecnica, à quelques mètres des bureaux de R&D.
Cette unité de production permet de fabriquer de "petites" séries de chaussures de ski : 40 000 paires y sont faites chaque année. Outre la fabrication des prototypes et échantillons, elle permet aussi de "simuler" la future production en série d'un nouveau modèle, qui sera mise en place ensuite à l'usine en Hongrie, pour en déceler les éventuels problèmes.
Les moules en aluminium sont les pièces maîtresses de la fabrication des chaussures de ski. Ils permettent de donner sa forme à la coque et au collier de la chaussure, lors du procédé d'injection plastique (voir plus bas).
Ils sont usinés essentiellement à la main, directement dans l'aluminium, par un sous-traitant à proximité du siège. Vous vous demandez pourquoi les chaussures de ski coûtent ce prix ? Les moules en sont une des raisons principales : un moule de coque (partie interne et externe, gauche et droit, soit quatre pièces pour une paire), pour une taille, c'est quinze jours de travail minimum pour un prix variant de 40 000€ à 60 000€. A cela s'ajoute le moule du collier, un peu moins cher : entre 15 000€ et 25 000€. Au total, une série complète d'un modèle, toutes tailles comprises, c'est entre 600 000€ et 800 000€, soit un peu moins de la moitié du budget total du développement (1,5 à 2 millions d'euros).
Là, nous sommes au coeur du poulet. La région de Montebelluna est connue pour être le berceau de l'injection plastique, et donc des chaussures de ski. Il s'agit d'une technique de fabrication permettant de faire des pièces en grandes séries à partir de matière plastique. Comme pour les moules, cette partie du processus est effectuée chez un sous-traitant, à quelques kilomètres du siège de Tecnica.
Le principe : les parties extérieures du moule sont placées au sein d'une presse hydraulique, ou "presse à injection" (une en haut et une en bas). Le système est ouvert au départ, et un bras articulé vient se placer au milieu la partie interne du moule.
L'ensemble est fermé puis compressé par la presse. A l'arrière de celle-ci, une "vis de plastification" (sorte de gros entonnoir), chauffe et thermorégule la matière plastique "brute" pour l'envoyer dans le moule, à une température relativement élevée (220°C) et surtout sous pression, pour que celle-ci se répande dans tous les espaces libres du moules, formant ainsi la future pièce.
Après un court refroidissement, la pression est relâchée, le moule s'ouvre et le bras articulé extraie la pièce fraîchement moulée. Dans notre cas, cette dernière se transférait automatiquement via le bras dans une deuxième presse, pour mouler la partie supérieure de la coque.
On parle ici de bi-injection car sur une même pièce, deux parties sont injectées par deux machines différentes, à la suite l'une de l'autre. Sur la troisième photo ci-dessous, la chaussure sort de la première presse et on devine sur le moule la forme de la partie qui va être moulée lors de la deuxième injection.
Les coques sont prêtes, la forme basique est là, mais nous sommes encore loin d'avoir une chaussure entière et fonctionnelle. Nous retournons à l'unité de production du siège pour l'assemblage des différents éléments. D'abord des chaussons : ces derniers sont cousus à la main, à partir des différentes pièces.
Les coques arrivent "brutes" de l'injection, il leur manque tous leurs accessoires : semelle, crochets, strap, etc. C'est le travail des ateliers suivant, avant le dernier où tout est lié pour former la chaussure finie : collier, coque et chausson. Celle-ci part ensuite pour l'emballage puis le stockage.
Sur la route du stockage, après emballage, se trouve la "Fit Room", une grande pièce remplie des dernières chaussures assemblées. Deux fois par semaine, des modèles récemment produits sont aléatoirement testés par des employés pour vérifier que leurs taille, correspondance et "fit" correspondent aux valeurs prévues et annoncées.
L'intégralité de la production de Tecnica passe par le centre de stockage, qu'elle soit faite sur place ou en Hongrie, avant d'être redistribuée aux quatre coins du globe. Ces entrepôts contiennent également les matières premières pour la production italienne.
Vous vous en doutez, l'endroit est immense. Ci-dessous à gauche, une partie du stock des skis Blizzard 2018. Une partie de l'entrepôt est dédiée à la préparation et expédition des commandes.
L'Amérique du nord sera la première à être livrée, dès le mois de juillet, leur clientèle étant intéressée par l'achat de matériel plus tôt que chez nous, dès la rentrée. L'Europe est livrée à partir de la fin du mois d'août, et jusqu'à fin décembre pour la production de l'année en cours.
Pour finir, nous avons pu entrer dans un lieu un peu particulier, une sorte de caverne d'Ali Baba perdue au milieu du siège de Tecnica : l'atelier de Ivan Rensi, le bootfitter des athlètes de haut niveau des marques du groupe.
Cet homme a la difficile charge de satisfaire les demandes particulières des skieurs professionnels en terme de chaussures, il fait donc de l'ultra-sur-mesure. Ce travail unique est effectué essentiellement à l'oeil, en analysant le pied et le physique des coureurs, et en ajustant millimètre par millimètre la forme des coques des chaussures en fonction de leur ressenti.
Par exemple, Loïc Collomb-Patton utilise une Cochise 130 Pro modifiée, avec un spoiler avant, un blocage du mode ski/marche pour encore plus de rigidité, un élargissement au niveau des métatarses et un chausson injecté.
Pour les athlètes de Coupe du Monde, il travaille sur des coques si épaisses d'origine (pour des flex de 170/180, utilisées en slalom) qu'il peut enlever jusqu'à 3 ou 4mm de plastique sur certaines zones pour adapter à la morphologie. D'origine, les athlètes prennent une coque d'une à deux pointures inférieures à la leur, qu'Ivan va leur déformer. Couplée à un chausson injecté, cela leur permet d'avoir le maximum de précision. L'inclinaison frontale de base du collier de ces chaussures est de 18° (contre 12° normalement), et jusqu'à 22/23° avec spoiler.
Il conserve toutes ses "oeuvres" et les plans qui leurs correspondent, une fois celles-ci à la retraite, dans son stock. Parmi elles, certaines ont remporté des médailles, et notamment d'or, aux Jeux Olympiques...
Voilà, vous savez tout de la conception et de la fabrication d'une chaussure de ski. Ce qui arrive dans les rayons de vos magasins en ce moment, c'est le fruit de plusieurs années de travail, du développement, à la conception puis la production en série. Rien que le prix des moules peut vous permettre de comprendre pourquoi il faut mettre un minimum la main à la poche pour être "bien dans ses pompes" !
Cet article est une production skipass.com, réalisée avec le soutien de Tecnica.
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