Chaque année, Fred Jarry de l'ANENA (l'Association Nationale pour l'Etude de la Neige et des Avalanches) épluche les compte-rendus d'accidents d'avalanche pour établir le bilan des accidents d'avalanche de l'hiver précédent. Son analyse est très intéressante car l'expertise de Fred permet de mettre en relation la situation nivologique avec les accidents qui arrivent. Nous vous présentons ce qu'il en ressort pour l'hiver 2015-2016, un hiver moins dramatique que la moyenne mais avec tout de même 21 décès sur l'ensemble des massifs français.
Ce qu'on appelle "l'année avalanche" à l'ANENA (et dans les autres organismes mondiaux de prévention du risque d'avalanche) et qui permet de délimiter la comptabilité des accidents va du 1er octobre jusqu'au 30 septembre de l'année suivante.
L'année dernière, nous avions fait un article global, retraçant l'historique de ces bilans depuis la création de l'ANENA en 1971 et les conclusions que nous pouvions en tirer. Pour ceux qui souhaitent un résumé (on aime bien radoter sur ce sujet, ça ne fait pas de mal), les voici :
- Il n'y a ainsi pas de réelle tendance à l'augmentation ou à la baisse quand au nombre moyen de décès par hiver : sur les quatre dernière décennies, on passait de 28 dans les années 70 à 31 dans les années 80, puis 30 dans les années 90 et finalement 32 dans les années 2000 (sur les cinq derniers hivers, de 2012 à 2016, nous sommes à 29). Pendant ce temps, même si c'est difficilement chiffrable, il est certain que le nombre de pratiquants de la randonnée comme du hors-piste a lui bel et bien augmenté. Avec des pincettes, on peut se permettre de penser que la prévention porte ses fruits.
- Les hivers se suivent et ne se ressemblent pas, les disparités sont grandes d'un hiver à l'autre. Il faut être honnêtes : les nombres de victimes ne sont pas très élevés (quelques dizaines), ainsi il suffit d'un ou deux gros "cartons" avec plusieurs victimes pour faire pencher la balance du côté d'un hiver meurtrier. Les chiffres varient ainsi autant en nombre de victimes, qu'en localisation (Alpes du nord, Alpes du sud, Pyrénées, etc.) ou en type de pratique (randonnée VS hors-piste).
- Au fil des années, de plus en plus de victimes emportées sont retrouvées équipées de DVA. Tandis que ce chiffre est plus élevé du côté des pratiquants de la randonnée, il y a encore du travail pour les pratiquants du hors-piste (environ la moitié des victimes retrouvées ne portaient pas de DVA sur la période 2001-2011). Ces derniers sont moins équipés, moins bien formés et plus dépendants des secours en cas d'accident. Cependant, dans les statistiques de mortalité, ils ne sont pas forcément plus touchés que les randonneurs du fait de la présence des pisteurs à proximité et du déclenchement préventif des avalanches sur les domaines skiables.
- Enfin, contrairement à une idée reçue assez répandue, ce ne sont pas seulement "les pimpins" qui se font prendre dans les avalanches mais surtout les pratiquants réguliers et confirmés. Pourquoi ? A cause des facteurs humains sur lesquels nous reviendrons bientôt. Pour faire simple, plus on connait la montagne, plus on joue avec la limite...
Vous pouvez retrouver les bilans complets des accidents d'avalanche des cinq derniers hivers sur le site de l'ANENA, ainsi qu'un bilan des 40 ans d'accidents d'avalanche que l'ANENA a couvert, depuis sa création. Le bilan de l'hiver 2015-2016 est consultable en intégralité dans le numéro #155 de la revue Neige et Avalanches de l'ANENA.
Pour retrouver l'intégralité des graphiques et leurs analyses, consultez notre bilan des accidents d'avalanche de 1971 à 2015 (graphiques de Fred Jarry, ANENA) :
L'hiver 2015-2016 est l'un des hivers les moins meurtriers depuis la création de l'ANENA en 1971, avec au total 21 victimes (voir le détail des chiffres ici). Voici ce qui a été recensé :
- 45 avalanches accidentelles,
- Dont 12 avalanches mortelles,
- 107 personnes emportées,
- 41 ont été ensevelies,
- 21 sont décédées, 40 ont été blessées, 46 s'en sont sorties indemnes.
Sur la période 1980-2015, la moyenne est de 22 accidents mortels pour 31 décès. Cet hiver est donc bien dessous, c'est le cinquième hiver le moins meurtrier depuis 1971.
Comme vous le savez surement, l'hiver 2015-2016 a commencé par une sécheresse exceptionnelle durant le mois de décembre. Aucun accident d'avalanche n'a été recensé avant le 3 janvier 2016, lors des premières chutes de neige depuis le mois de novembre : la première grosse période d'instabilité du manteau neigeux va du 5 au 13 janvier 2016.
La neige manquait mais une vieille couche subsistait dans les orientations nord à haute altitude. Lors des périodes anticycloniques de décembre, elle avait formé une couche fragile de grains anguleux. Combinée à la neige fraîche par endroits soufflée par le vent, formant des plaques, cette configuration a causé deux gros accidents qui ont fait la une des médias généralistes :
- Le 13 janvier 2016, aux Deux Alpes, des skieurs en amont déclenchent une avalanche qui atteindra une piste noire fermée sur laquelle évoluait un groupe. Cinq personnes seront emportées, trois périront, une sera gravement blessée et la dernière s'en sortira indemne.
- Une semaine plus tard, le 18 janvier, un groupe de légionnaires du 2ème régiment étranger du génie de Saint-Cristol, en stage d'aguerrissement montagne, est frappé par une avalanche alors qu'il montaient au col du Petit Argentier, du côté de Valfréjus. Dix-huit d'entre eux sont emportés, onze seront ensevelis et six décèderont. C'est l'un des plus gros cas récents d'accident multi-victimes.
Ces deux cas ont eu lieu dans les zones déconseillées par le BERA (Bulletin d'Estimation du Risque d'Avalanche) du jour (risque "marqué" sur ces massifs) : orientation nord-est, au-dessus de 2200m d'altitude, à l'abri du vent dominant.
Durant ce mois de janvier, quatre autres accidents mortels ont eu lieu :
- Le 3 janvier, sur Chamonix, trois alpinistes lituaniens déclenchent une plaque sous la rimaye de la Petite Verte. Encordés, ils ont emportés dans la face nord-est rocheuse. Deux d'entre eux décèderont, le troisième est blessé.
- Le 5 janvier, à Val d'Isère, un skieur espagnol non équipé d'un DVA est emporté alors qu'il évolue sur une piste fermée et décèdera des suites de son ensevelissement. Le même jour, un skieur tchèque meurt à Saint-Colomban-des-Villards. Ces deux massifs étaient annoncés en risque "fort".
- Le 30 janvier, un skieur de randonnée décède à la Clusaz suite à une avalanche déclenchée au sommet de la Combe du Grand Crêt. Le risque était "limité", mais l'accident a eu lieu dans les zones décrites comme dangereuses par le BERA.
Ce mois de janvier a été particulièrement mortel : il rassemble le tiers des accidents recensés pendant l'hiver, et la moitié des accidents mortels. Presque tous les accidents ont eu lieu dans les Alpes du nord.
Deux périodes d'instabilité ont lieu durant ces deux mois :
- La première entre le 8 et le 15 février, avec un risque souvent "fort" sur la plupart des massifs alpins. Une personne décèdera le 13 février après avoir sauté une barre rocheuse, emporté par une avalanche, sur la commune de la Perrière.
- La deuxième période s'étale de la fin février au 10 mars, avec des risques oscillants entre "marqué" et "fort" selon les massifs et les altitudes. Le premier a lieu le 23 février sur la commune de Ceillac, où trois skieurs de rando sont emportés. Une randonneuse perdra la vie. Sur la journée du 27 février, quatre accidents d'avalanche sont recensés, dont un mortel du côté du Brévent, à Chamonix, où un randonneur est retrouvé mort, plusieurs heures après le déclenchement de l'avalanche. Le 9 mars, un skieur de randonnée décède sur la commune du Grand Bornand, en Haute-Savoie.
L'avalanche du 9 mars du côté du Grand Bornand (source Data-avalanche.org, voir la fiche complète) :
De la mi-mars à la fin avril, plusieurs accidents ont lieu dans des conditions printanières avec l'humidification du manteau neigeux. Notamment, deux enfants emmenés dans le cadre d'une classe de neige, sont emportés et blessés lors d'une sortie de ski de fond sur une piste fermée à Bessans le 15 mars. Ils s'en sortent, mais blessés.
Le 22 mars, sur la commune de Barèges, un accident aurait pu très mal finir : vers 17h30, un groupe d'une quinzaine de randonneurs en raquette accompagnés par une professionnel redescend dans la vallée quand il est atteint par une avalanche partie naturellement en amont (humidification importante en versant ouest). Quinze personnes sont emportées, mais grâce à l'intervention rapide d'un groupe de pisteurs témoins de l'accident, la majorité du groupe s'en sort indemne. Cinq seulement auront été ensevelis, et quatre étaient blessés.
Dans les Pyrénées, un seul accident mortel a eu lieu le 17 avril, lorsque trois alpinistes ont été emportés dans le couloir "des Poubelles" du Pic du Midi. Deux d'entre eux décèderont des conséquences de leur chute, le troisième sera blessé.
Le dernier accident mortel recensé a eu lieu le 20 juin, dans la face nord du Mont Blanc du Tacul. Deux alpinistes déclenchent une plaque à la montée qui les emporte ainsi qu'un guide de haute montagne qui évoluait beaucoup plus bas, lui aussi à la montée. Il décèdera suite à son ensevelissement.
Voici quelques comparatifs des caractéristiques de cet hiver 2015-2016 par rapport aux précédents (moyenne 1980-2014). Tout d'abord au niveau géographique, les Alpes du sud et les Pyrénées étaient les massifs qui ont le plus souffert du manque de neige. Par conséquent, peu d'accidents y ont eu lieu : un seul mortel dans chaque région. On notera aussi deux accidents non mortels dans les Vosges et un dans le massif Central.
Au niveau des activités, la randonnée était cette fois-ci la plus meurtrière. On reste en dessous des moyennes :
Le mois de janvier a bel et bien été meurtrier, il est légèrement au-dessus de la moyenne. Le début très tardif de l'hiver a aussi joué sur le nombre final de victimes :
Nous laissons complètement la parole à Fred pour la conclusion :
Une fois de plus, du fait de conditions hivernales particulières, la saison 2015-2016 se révèle totalement différente, notamment en termes de chiffres, de la précédente. Ces variations inter-annuelles sont directement liées aux conditions météorologiques et nivologiques générales rencontrées chaque hiver. Elles ne doivent cependant pas cacher la tendance globale : la stabilité dans le temps du nombre moyen d’accidents mortels et de décès par avalanche, en France, comme dans le reste de l’arc alpin. Une récente étude menée par l’IFENA, à laquelle l’ANENA a collaboré, démontre cette stabilité, nous y reviendrons bientôt.
Cependant, il est important de noter que bon nombre d’accidents, parfois mortels, trouvent une part de leur origine dans des causes qui relèvent des bases de la prévention. Il semble encore nécessaire de rappeler que lorsque l’on souhaite sortir en terrain non sécurisé, il est fortement recommandé :
- de ne pas le faire seul mais pas en trop grand nombre ;
- d’être équipé d’un DVA, d’une sonde et d’une pelle (à minima d’un réflecteur Recco) ;
- d’éviter/renoncer aux secteurs (orientations, altitudes, etc.) clairement énoncés dans le BERA du jour.
Autant de conseils pratiques fondamentaux que l’ANENA ne cessera de porter auprès des pratiquants qui peuvent être confrontés à l’avalanche (NDLR vous retrouverez très bientôt le listing complet des formations et conférences sur skipass). Vous pouvez consulter la totalité des accidents recensés par l’ANENA sur la page Facebook dédiée : "Base Avalanche". Chaque accident est évoqué et certains éléments le caractérisant sont indiqués.
Notre conclusion à nous à la rédaction, c'est que nous avons tous besoin du travail de l'ANENA pour continuer à pratiquer notre sport favori, autant pour continuer d'en apprendre sur les avalanches et la neige que pour former les jeunes ou faire des piqûres de rappel aux vieux. Et en ce moment, c'est l'ANENA qui a besoin de vous !
L'association a lancé une campagne de crowdfunding pour ses prochains projets et à besoin de votre soutien. Voici les différents buts :
- Mettre en ligne un portail d'accès aux formations et conférences destinées au grand public pour faciliter l'inscription et l'organisation,
- Créer un outil interactif pour tester soi-même ses connaissances sur la neige et les avalanches, qui permettra de s'orienter vers la formation adéquate,
- Financer la formation annuelle des pisteurs maîtres-chiens d'avalanche.
Si vous souhaitez participer, ça se passe par ici ! Nous reviendrons en détails bientôt sur cette campagne et sur les formations et conférences de l'ANENA pour l'hiver 2016-2017.
Un grand merci à Fred Jarry pour son aide sur cet article.
6 Commentaires
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Serait-il possible de mettre une plate-forme internet sur pieds pour ça ?
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