La semaine dernière, un trio de skieurs que nous connaissons a descendu une belle pente du côté de Chamonix. Ces derniers sont coutumiers du fait : ils aiment les choses plutôt engagées, raides, avec beaucoup de cailloux, des virages sautés, des rappels... Il s'agit de Tony Lamiche, connu pour ses apparitions dans Bon Appétit, Hélias Millerioux (déjà apparu dans des aventures de pente raide pyrénéenne) et Alex Pittin. La pente en question n'était pas n'importe laquelle : il s'agit du versant du Nant Blanc (nord-ouest) de l'Aiguille Verte à Chamonix, un itinéraire de pente raide mythique, réputé pour sa difficulté et pour les grands noms qui l'ont descendu auparavant. Nous avons demandé au trois skieurs de nous raconter cette descente un peu particulière...
Les alpinistes s'attaquent régulièrement à ce versant de l'Aiguille Verte, mais le Nant Blanc n'a été descendu à ski que quelques fois. Il demande une technique irréprochable durant les 1200m de la face, avec une exposition maximale tout le long. Il est au maximum de la difficulté des cotations soit 5.5, E4 (5.5 signifiant que la pente avoisine ou dépasse les 50° sur une grande partie de l'itinéraire, E4 signifiant une mort certaine en cas de chute).
- 12 juin 1989 : C'est le fameux Jean-Marc Boivin, décédé en base-jump quelques mois plus tard, qui a effectué la première descente à ski du Nant Blanc, après l'avoir remonté. D'autres skieurs comme Anselme Baud et Patrick Vallençant l'avaient tenté auparavant, sans succès.
- 17 juin 1999 : Dix ans plus tard, c'est un autre nom connu qui signe la deuxième descente de cet itinéraire, le regretté Marco Siffredi, âgé de seulement 20 ans et cette fois-ci, évidemment, en snowboard.
- 19 juin 2008 : Un autre grand nom, Pierre Tardivel, signe la troisième descente à ski du Nant Blanc, accompagné de Sylvain Meyet et Eric Guilhot. Leur itinéraire, la "Variante Tardivel", est légèrement différent de celui de Jean-Marc et Marco et emprunte une rampe plus à droite dans la face (voir la photo ci-dessous, en rouge).
- 13 juin 2009 : Pierre Tardivel persiste et signe, il effectue une répétition de sa variante, accompagné cette fois de Stéphane Brosse.
- 20 avril 2016 : le trio composé de Tony Lamiche, Alex Pittin et Hélias Millerioux réalise la cinquième descente connue de l'itinéraire du Nant Blanc, par la variante imaginée par Pierre Tardivel.
- Qui êtes-vous et comment vous-êtes vous retrouvés tous les trois au sommet du Nant Blanc ?
- Alex : il y a donc Hélias Milleroux, 28 ans, guide de haute-montagne et habitant de Chamonix, Tony Lamiche, âge indéterminé, guide également et oscillant entre Chamonix et ses Hautes-Alpes, et moi-même, Alex Pittin, 31 ans, moniteur de ski l'hiver, cristallier l'été et je prépare actuellement le concours probatoire pour la formation d'aspirant guide. Tony et moi sommes tous les deux ambassadeurs Salomon.
- Hélias : J'ai rencontré Alex il y a trois ans dans la voie Mallory, nous sommes devenus amis et nous avons beaucoup skié ensemble. Et lui, il skiait avec Tony, c'est donc le lien entre nous trois ! Il y a une bonne affinité, un bon feeling entre nous.
- Qu'est-ce qui vous a poussés à vous lancer sur cet itinéraire ?
- Tony : Les grandes descentes de 1200m de dénivelé, très raides comme le Nant Blanc, il n'y en a pas énormément. Dans le bassin de l'Argentière, nous avions fait pas mal de choses. Donc c'est un peu la voie normale, l'évolution, le processus... Une fois que l'on a fait quelque chose, on se tourne vers la suivante... Et comme ces choses existent, nous allons les faire !
- Alex : Il y a le côté mythique aussi, évidemment. Ces descentes du Nant Blanc de Jean-Marc et Marco, elles ont bercé ma jeunesse. C'est une pente que l'on voit depuis Chamonix, depuis le sommet des Grands Montets, et c'est quelque chose de très impressionnant et imposant. Nous sommes descendus en ski, mais ça reste de l'alpinisme ! Il y a une traversée assez exposée où nous sommes repassés en crampons et piolets, et nous avons fait plusieurs rappels.
- Qu'est-ce qui a fait que c'était LE bon moment pour vous d'y aller ?
- Tony : Nous étions entrainés, réglés, équipés et rodés après un hiver plutôt mauvais où nous avons pas mal skié sur de la neige dure et de la glace, mais je ne suis pas sur que c'était LE bon moment. Nous avons eu des conditions assez difficiles, et nous n'avons pas pu remonter dedans comme nous l'avions prévu au départ. Il y avait de meilleures conditions deux semaines avant, et il y en aura peut-être de meilleures plus tard dans la saison. Les autres descentes ont toutes été faites en juin. Mais c'est difficile d'être là où il faut, quand il faut et nous avons tous des obligations, ce serait plus simple si nous étions libres tout le temps. Nous y sommes donc allés cette semaine là, avec une première tentative avortée le lundi 18, avant de réussir le mercredi 20 avril.
- Quel itinéraire avez-vous suivi dans la face ?
- Alex : Nous sommes partis du téléphérique des Grands Montets, nous sommes descendus au pied du couloir du Couturier, en versant nord-ouest, au pied de la Verte. Nous sommes remontés par la fameuse voie du Z. Deux heures et demi plus tard, nous étions au sommet et nous préparions le matériel. Nous avons attaqué la descente en suivant le même itinéraire que Jean-Marc Boivin, en longeant l'arête qui va jusqu'à l'Aiguille Sans Nom. Nous sommes rentrés dans la face par la gauche du sérac (du point de vue skieur) :
- Alex : Mais là, mauvaise surprise, il y a eu de la glace tout de suite. Quelques centimètres de neige cachaient seulement de la vilaine glace noire.
- Tony : Nous avons donc fait deux rappels successifs pour aller voir comment étaient les conditions dans la face. Ils m'ont contre-assuré par au-dessus pour que je descende installer le relais en haut des rochers (le rappel n°3 de la photo ci-dessus). Ils m'ont rejoint et nous avons descendu ce premier rappel de Boivin qui met vraiment dans la pente, au pied du couloir de Tardivel. A partir de là, ça skie ! Mais ce n'est pas vraiment lisse, ça fait une sorte de bol, avec des pentes plutôt ouest et d'autres plus orientées est. Toutes les pentes à l'ouest ont pris le soleil, ce qui n'était pas bon car elles avaient regelé...
- Alex : Nous n'avons pas skié cette partie comme les précédents l'ont fait, ils étaient descendus côté droit (point de vue skieur), parce que c'était en juin et que ça dégelait. Nous sommes restés complètement sur la gauche, mais du coup c'est aussi plus raide...
- Tony : Comme nous étions encore tôt dans la saison, le soleil n'avait pas chauffé suffisamment et cette partie droite formait une belle vitre bien lisse qui ne nous plaisait pas trop !
- Tony : Après ce premier névé (le névé supérieur sur le topo), nous arrivons sur une petite banquette suspendue dans les falaises qui part sur notre gauche (du point de vue skieur). C'était en neige dure, voire très dure, c'est donc de la grimpe : on remet les crampons pour traverser après s'être assuré.
- Tony : De l'autre côté on retrouve de la neige changeante, parfois glace, parfois un peu de poudre mais sur quelques centimètres. Il restait une difficulté sur le bas, sur notre droite, dans cette écharpe qui permet de sortir. Nous avons remis la corde car la neige était moins haute que lors des autres descentes, avec deux barres à passer. Comme ça ne passait pas en seul, nous avons fait deux rappels. Là c'était bon, nous avons enchainé jusqu'en bas !
- Pourquoi n'êtes-vous pas remontés dans la face comme les autres l'avaient fait ?
- Tony : Nous avions tenté la veille, mais il y a eu beaucoup de vent, ça avait énormément accumulé dans les zones d'accès à la face. Les autres descentes avaient été faites en juin, en neige dure et plus stable. Là, il y avait pas mal de risques d'avalanche, nous avons donc cherché un autre accès. Et l'autre chose, c'est qu'en montant dedans nous restions encore plus longtemps sous les séracs, et ça, ça ne me plait pas trop !
- La pente raide, qu'est-ce que c'est pour vous ?
- Tony : C'est dans l'état d'esprit. C'est être capable d'aller dans la montagne et faire ce qu'elle propose, être capable de descendre ce qu'elle te propose. Une pente de 40° en poudre, ça reste plus facile à skier que 30° en glace ! Donc tu peux appeler une pratique ou l'autre comme tu veux, freeride, freetouring, ski mountaineering, pente raide... etc. Mais à mon sens, la pente raide, c'est arriver à monter dans la montagne en toutes conditions, arriver au sommet, et ensuite arriver à descendre ce que tu as imaginé, que ce soit en neige fraîche, en neige dure, avec de la glace, des goulottes, des rappels... Bien sur, cela comprend une dimension d'alpinisme, sinon c'est simplement du freeride ou du hors-piste de proximité. Et dernière chose, en pente raide tu dois être autonome.
- Et le matériel de montagne a pas mal évolué ces dernières années...
- Tony : Oui et évidemment ça a bien aidé. Personnellement c'est ce qui me passionne le plus, je travaille beaucoup à développer du matos. Mais ce n'est pas ça qui fait qu'on sait faire un virage en pente raide ! Si je te mets au sommet des Autrichiens avec le meilleur matos du monde, tu fais un virage, et si tu ne sais pas skier, tu finis en bas...
- Alors d'après vous, est-ce que cet itinéraire mérite sa cotation (la maximale, 5.5 E.4) ?
- Hélias : C’est une question difficile, car ça dépend toujours des conditions de neige. Tu peux avoir une pente cotée très difficile, si c’est en très bonne neige ce sera "relativement facile". Donc tout dépend des conditions.
En ce qui concerne le Nant Blanc, c’est une descente qui est déjà très très raide. Et il faut y arriver déjà au sommet de l’Aiguille Verte ! Tu n’arrives pas frais comme en sortant du téléphérique. Ensuite, tu rentres dans une face immense d’alpinisme qui fait 1200m de hauteur. Dans ce versant il y a plein de voies d’alpinisme, dont de très difficiles. En tant qu’alpiniste, cette montagne et cette face restent une entreprise difficile.
Pour moi, tout simplement, c’est surement la chose la plus difficile que j’ai skié de ma vie. Le ski est dur, mais tout le cheminement et les manipulations de cordes dans la face sont également très difficiles. Il y a de l’engagement tout le long, il y a un énorme sérac au-dessus, il y a quelques chutes de pierres, ça met directement en tension. Et on reste tendu tout le long ! Nous sommes restés environ 4h dans la face pour tout descendre. Ca fait une grosse journée !
- Qu'est-ce qui vous pousse à pratiquer ce genre de ski ?
- Hélias : Tout d'abord la passion de la montagne, il faut avoir envie de faire de l'alpinisme. J'aime beaucoup le ski en montagne car la sensation est excellente mais aussi en terme pratique, ça permet de se déplacer plus rapidement, c'est plus agréable de descendre en ski ! De plus, de partager ces moments avec des amis, ça permet de tisser des liens profonds.
- Alex : Oui, on est pas obligé de partir à l'autre bout du monde pour vivre des choses pareilles, on peut rester ici. Ces choses, on ne peut pas les faire avec n'importe qui : il faut un lien assez fort avec ceux avec qui tu t'engages, c'est une relation de confiance qui se construit au fil des sorties.
- Tony : Simplement le fait de vivre des aventures, en montagne, en 2016.
19 Commentaires
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Quand vous dites 'ils l'avaient tentés sans succès", comment on peut abandonner dans un truc pareil ? Impossible de faire demi tour non ?
autrement dit quand tu peux plus skier tu passes en mode alpi (crampons/piolet/corde), et soit tu remontes, soit tu descends (rappels etc). C'est là où tu vois que ces skieurs sont de vrais alpinistes d'ailleurs, à ce niveau-là c'est indissociable
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Allez LAU tu sors les guardian et tu leur montres un peu..#expand your guardian in the powpow; #noskiddiing; #shorturn forbidden
Bon sinon je pensai y aller jeudi avec mes soul 7 qui viens?
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Très très belle et exceptionnelle descente dans tout les cas!!!
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