Une petite bande d'énervés de la pente raide ont tenté l'aventure pyrénéenne l'hiver dernier pendant une dizaine de jours, avec comme but final l'ouverture d'une ligne sur le Pic Palas, 2974m. Il s'agit de Pierre Hourticq, Hélias Milleroux, Tristan Knoertzer, Pablo Mourasse et enfin Guillaume Arrieta à la production des images. Le film Palas O Therapy raconte ce trip aux conditions pas toujours évidentes... Tristan a pris sa plus belle plume pour nous raconter leurs aventures, le tout accompagné de belles photos de Guillaume.
Notre quête de répétitions ou ouvertures de lignes en ski de pente raide avec mes acolytes, Pierre Hourticq et Hélias Millerioux, nous a fait traîner nos spatules en mars dernier une quinzaine de jours entre le Pic d’Annie à la Pierre Saint Martin, le Couloir Swan au Petit Astazou dans le cirque de Gavarnie puis enfin au Pic Palas du côté du lac d’Artouste. Les Pyrénées Atlantiques furent, lors de cette quinzaine, le théâtre de nos combats et moments épiques à quelques heures de voiture de Chamonix, notre terre natale.
Pour vous remettre dans le contexte, il est 18h à Chamonix, nous sommes mi-janvier, il fait froid, vraiment froid. Tout le monde profite de l'happy hour dans un bistrot chamoniard. Pierre Hourticq, moniteur de ski et ambassadeur Salomon, Hélias Millerioux, guide de haute montagne, ambassadeur Scott et enfin moi-même, guide et chez Salomon également, sommes heureux de simplement boire une bière après un superbe Pas de Chèvre aux Grands Montets. L’ambiance bat son plein après cette bonne journée de ski, lorsque ce petit pyrénéen blond, Pierre, nous balance avec son accent à faire grincer les dents de nos bons vieux "Butchs" de la vallée :
« Et si on allait faire du ski de pente raide chez moi dans les Pyrénées ? »
A peine cette phrase lancée, tous les clients du bistrot se sont tus. Les regards tournés vers notre table. Silence sous les aiguilles. Même les mouches ne volaient plus… Elles s’étaient arrêtées et s’étaient retrouvées à même le sol sur ces vestiges de bières bien collantes. Mais ce silence nous plaît ! Banco ! Nous irons dans les Pyrénées pour notre voyage de pente raide annuel !
Il y a de ça quelques années, mon professeur de littérature m’a dit que pour bien attaquer une histoire, les premières lignes d’un texte ou d’un essai étaient les lignes les plus importantes. Elles dicteraient ensuite toute l’histoire et en donneraient le ton. Je pourrais dire à ce même professeur qu’en montagne c’est pareil. Les premières heures d’une aventure donnent le ton et permettent aux skieurs de trouver un sens de lecture pour la suite du périple. Dans notre cas, nous allons comprendre dès le début que le ski de pente raide dans les Pyrénées, c’est une vraie aventure avec un grand "A" !
Le 15 mars, nous sommes au sommet du Pic d’Anni. La descente de la face nord, qui n’a jamais été faite en ski, nous intéresse. Du bas de la face quelques heures plutôt, je suis impressionné par cette ligne potentielle avec des pentes de 50° et des barres de 500m sous la ligne que nous convoitons. Seulement voilà, après le premier rappel depuis le sommet afin d’accéder à la partie skiable, je pose mes spatules dans une neige complètement plaquée, avec de grosses accumulations. Mes capteurs s’éveillent. Je ne le sens pas. Si une plaque se déclenche sous nos pieds, c’est la glissade mortelle pour nous trois avec comme petits détails dans la glissade, des barres immenses à sauter avant d’arriver en bas. D’un commun accord, nous optons pour la décision la plus sage : renoncer à cette première descente. Cette première journée se termine donc avec un premier échec ou "but" comme on dit dans le jargon. Et non, les Pyrénées ne se laissent pas dompter facilement. La preuve en est, durant la semaine qui suivit cette première journée, le mauvais temps s’installe et nous oblige à passer quelques jours à Gourette chez notre ami réalisateur et photographe de ce trip Guillaume Arrieta.
Après les bières et quelques virages entre poudre et pluie, nous mettons le cap vers le cirque de Gavarnie pour gagner de l’altitude et espérer trouver de la meilleure neige. Seulement voilà, nous sommes le 24 mars, il est 6h du matin sur le parking de Gavarnie et il pleut. Mais nous gardons espoir avec la météo. Après deux heures de montée humide, nous arrivons à un petit replat sous le couloir Swan au petit Astazou et le soleil perce enfin les nuages. La fameuse Brèche de Rolland se dévoile enfin.
« Elle est quand même belle cette brèche... »
Nous attaquons à remonter le couloir avec un magnifique arc-en-ciel derrière nous. Quand bien même cet arc-en-ciel est de toute beauté, il est tout de même signe d’humidité dans l’air. Et il nous fait vite comprendre pourquoi la neige du couloir Swan que nous remontons est recouverte par une couche assez épaisse de bonne veille "croute". Cette croute s’étant formée avec l’humidité de l’air et les rayons du soleil qui ont tapé dessus. C’est tout simplement inskiable ! Depuis le sommet nous redescendons sur l’autre versant de l’Astazou qui donne sur le Mont Perdu et nous faisons une longue boucle pour rentrer vers Gavarnie.
Le mauvais temps reprend ses droits pendant quelques jours. Mais je décide alors d’appeler un jeune skieur Pyrénéen que je ne connais pas mais dont un ami landais , Fred Casenave, m’avait parlé quelques semaines plus tôt lors d’une session de surf hivernale. Ce jeune c’est Pablo Mourasse. Il est moniteur de ski l’hiver et aide-gardien au refuge de l’Arrémoulit l’été. Il avait en effet bien imaginé une descente possible sur le Pic Palas du côté du lac d’Artouste lors de ses étés au refuge. Pablo répond à notre appel et nous nous donnons rendez vous le lendemain pour monter à ce fameux pic.
Après une bonne première journée pour monter au refuge, nous nous retrouvons seuls au milieu de ces montagnes sauvages. Le refuge n’est pas gardé, c’est génial ! Par contre, nos téléphones ne passent pas. Les relais radios dans ce coin des Pyrénées ne marchent pas, la radio de secours du refuge ne marche pas non plus. En cas de pépins, nous serons seuls face à nos décisions. Qu’elles soient bonnes ou mauvaises. En tant qu’amoureux de la montagne mais pas des risques inconsidérés, je prends cet isolement et cette absence de secours très au sérieux. Je ne veux pas que l’un d’entre nous se blesse. Nous ne sommes pas dans les Alpes ou dans des parcs nationaux ultras contrôlés. Ici, la moindre erreur peut se payer cher. Au refuge, nous faisons du feu, nous faisons du thé, nous jouons aux cartes, nous parlons, nous nous taisons, puis nous refaisons du feu, nous refaisons du thé, nous rejouons aux cartes, nous reparlons, nous nous re-taisons et ainsi de suite pendant 24 heures.
Le lendemain matin, nous sommes le 31 mars, il est 6 heures du matin, nous sortons en pensant qu’il fera beau. Mais non… Il pleut ! La chance ne nous sourit toujours pas. Surprise et angoisse générale ! La météo se serait-elle encore foutue de notre gueule ? Nous rentrons, nous nous regardons. Silence.
« Oh rage ! Oh désespoir ! »
C’est le genre de moments que tous les amoureux d’activités en montagne connaissent, suspendu dans le temps, que l’on redoute car il faut prendre une décision. La bonne décision : Attendre encore ou partir avec la queue vraiment basse ?
Je crois que personne n’a vraiment pris de décision, nous avons simplement remis une bûche dans le poêle, puis nous nous sommes recouchés. Deux heures plus tard, Hélias, qui avait bu trop de thé et sentait une envie pressante, ressort dehors pour remédier à sa gêne urinaire. Et j’entends une voix ! Une grosse voix qui vous fait sortir de votre rêve si doux…
« Il fait beau les gars ! Grand beau ! Bougez vous le c… ! »
Pierre et moi sursautons et jetons un œil dehors. Oui c’est vrai, le Kurde a dit vrai : il fait beau ! On va tenter de la skier cette face. Nous la découvrons dans son intégralité pour la première fois : elle est massive, esthétique, habillée d’un beau granit parfois orangé, elle est belle, elle nous plaît ! Allons-nous pour autant lui plaire avec nos idées saugrenues de ski ? Cela reste à voir.
Trois heures plus tard, nous sommes au sommet, il fait beau et assez chaud. Lors de la montée nous avons été surpris de rencontrer des sections vraiment raides durant lesquelles nous n’avons pas vraiment voulu nous imaginer ce que cela allait donner avec les skis aux pieds. Avec des crampons et des piolets on surévalue souvent nos compétences et habilités de skieurs volatiles. Nous attendons jusqu’à 14 heures au sommet puis nous partons.
Pierre part en premier. C’est normal, c’est le local ! Pas de chance, au premier virage il perd sa caméra embarquée qui finira sa course plus bas, beaucoup plus bas... Guillaume Arrieta, qui nous filme d’en bas, essaie de trouver le meilleur angle de prise de vue mais ce n’est pas simple, le terrain est très vallonné entre la montagne et le refuge. Nous skions les 300 premiers mètres de dénivelé avec de la neige alternant entre neige transformée et neige encore dure. Ce n’est pas simple à skier.
Vu du haut, les deux cents derniers mètres ont l’air encore plus difficiles à skier et malheureusement la neige n’a pas encore transformé. Il nous faut sortir la corde sur 30 mètres pour passer au delà de cette partie ou la neige est franchement dure. Passé cette partie en glace nous terminons la descente avec des virages très courts en s’aidant parfois de notre piolet. La descente est sérieuse… Je ne m’attendais pas à des difficultés si soutenues.
Mais nous avons finalement réussi à ouvrir cette belle première descente en ski du Pic Palas grâce à l’idée de Pablo ! C'est avec plaisir que nous lui donnons l'honneur du choix du nom de cette première : « Les Echos d’Eneko » en référence au nom du fils des gardiens du refuge de l’Arrémoulit. Nous cotons cette descente 5.3 compte tenu des degrés de pentes importants rencontrés sur certaines parties de la face et E4 pour l’engagement car en cas d’accident dans cette face, il y a de fortes chances que les secours ne puissent pas arriver à temps. Il faut donc s’en remettre à ses propres moyens. De plus, la ligne surplombe des barres de granites de 200 mètres qui ne seraient pas sautables même aux plus téméraires du World Tour...
A la tombée de la nuit de ce 31 mars, je pose enfin ma carcasse fatiguée dans le siège de mon auto. Nous avons réussi à aller au bout de nos idées et désirs avec à la clé une belle ouverture de ski de pente raide dans les Pyrénées entre amis, dans un environnement semblable à l’Eden des skieurs. Nous sommes juste chanceux de pouvoir vivre des moments tels que ces derniers jours, et même si cela peut sonner classique, je me dis qu'encore une fois, l'important ce n’est pas la destination d’arrivée mais le voyage pour y arriver.
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