Pour mieux comprendre l'impact de l'effondrement du tunnel
Les habitants des communes de la Grave et Villar-d’Arêne sont en grande détresse depuis plusieurs mois. En tant que skieurs obsédés par la neige qui s’inquiètent pour la saison d’hiver en plein mois d’août, nous avons voulu comprendre ce qu’il se passe du côté du lac du Chambon. Cette situation nous touche d’autant plus que la Grave est un spot mythique du freeride, tandis que la RD1091 est un des principaux accès aux stations du nord des Hautes-Alpes.
Le 10 avril dernier le tunnel du Chambon a été fermé car la voute s’enfonçait. Des travaux ont commencé mais la date de ré-ouverture a été successivement décalée, de mi-juin à mi-juillet, puis fin juillet, et désormais il n’y a plus vraiment de date programmée car les travaux ont cessé : vers le 20 juin, on s’est rendu compte que c’était tout un pan de montagne qui s’effondrait et qui risquait de tomber dans le lac.
A la fin du mois de juillet, l’effondrement s’est accéléré et environ deux tiers de la masse en mouvement sont tombés dans le Chambon, mais il en reste encore un bon tiers qui glisse désormais plus doucement. L’état de catastrophe naturelle a été déclaré.
L'effondrement le 28 juillet, à droite l'entrée du tunnel du Chambon, côté La Grave (photo de David Le Guen)
Les plus touchés sont ceux qui habitent d'un côté du lac et travaillent de l'autre, qu'ils soient adultes ou enfants scolarisés en Oisans. Pour le moment des hélicoptères font la navette chaque jour car les bateaux ne sont plus autorisés à naviguer à cause du risque d’effondrement. Un sentier qui permet de passer à pieds vient d'être ré-ouvert (il avait été fermé lorsque la falaise menaçait de tomber), mais il prend tout de même une quarantaine de minutes. Plus indirectement, la conséquence de la coupure de la route est une forte baisse de la fréquentation dans tout le nord des Hautes-Alpes, et surtout à la Grave et Villar-d’Arêne.
Le tunnel et le lac du Chambon, Grenoble et Bourg d'Oisans sont à gauche et La Grave et les Hautes-Alpes à droite
A l'heure actuelle, pour se rendre à la Grave ou dans le Briançonnais depuis Grenoble, Lyon, etc, il faut faire un détour par la vallée de la Maurienne puis le col du Galibier (trajet en bleu), ou par le tunnel du Fréjus (trajet en gris, mais au passage payant) ; l'étoile jaune situant le tunnel du Chambon :
Au lieu des 80km habituels entre Grenoble et la Grave, il y a 169km au minimum, voire 225km par le tunnel du Fréjus. Si la situation se prolonge jusqu'à l'hiver, le col du Galibier va fermer à cause de la neige : il faudra donc soit passer par le Fréjus l’hiver prochain, soit faire le tour des Ecrins par Gap si aucune solution efficace n’est trouvée.
La coupure du tunnel isole la partie nord des Hautes-Alpes, pas seulement la Grave. Pour vous donner une idée du problème que pose cette coupure, quelques statistiques : Le Briançonnais, une des dernières zones montagnardes où il n’y a pas d’autoroute, c’est près de 90000 lits touristiques (dont 6000 à la Grave/Villar-d’Arêne), environ le quart des Hautes-Alpes. La plupart des touristes viennent en voiture, et 73% d’entre eux viennent d’une autre région que la région PACA, essentiellement Languedoc-Roussillon, Rhônes-Alpes, et Ile-de-France. Les touristes venant de ces deux dernières devront faire un détour si aucune solution n’est trouvée, la principale route d'accès étant la RD1091. On s’attend à de grosses baisses de fréquentation dans le nord du 05, surtout pour les activités dépendantes du tourisme.
L'Oisans et les Deux Alpes ressentent également la baisse de passage, devenus eux aussi un fond de vallée en attendant la ré-ouverture. La clientèle italienne met beaucoup plus de temps pour venir...
Une belle illustration du problème, avec un tunnel et un lac situés dans l'Isère, et les communes les plus impactées situées dans les Hautes-Alpes
Nous avons contacté Bruno Florit, le père de Dylan, qui possède le magasin Ski Extreme à la Grave, pour nous parler de la situation : « Le mois d’avril a été dur, nous avons raté toute la période d’après-derby, toute la fin de saison qui va jusqu’à début mai. La station tournait à vide, ou presque. Ensuite pour moi, les mois de mai et juin n’ont pas été trop difficile mais pour les hôteliers et restaurateurs c’était plus compliqué, il y avait vraiment très peu de passage. En juillet je m’en sors bien par rapport à la situation car de nombreux clients de l’hiver sont venus par solidarité. Il y a eu de nombreux achats solidaires qui m’ont permis de faire un chiffre proche de celui de juillet 2014, ce qui est à relativiser car c’était un très mauvais été à cause de la météo, mais disons que ça a permis de sauver les meubles. Pour l’hébergement aussi, une fois que les vacances ont commencé il y a eu des personnes qui sont venues. Mais en tout cas la clientèle de passage n’est plus là, j’ai un ami restaurateur et cet été ils ne sont plus que deux à travailler au lieu de quatre habituellement… »
La Grave et son Office du Tourisme misent sur cette nouvelle tranquillité imposée pour faire venir des gens. Ils revoient leur communication en tant que nouveau fond de vallée plutôt que village de passage : les gens doivent y aller, et non plus simplement s’y arrêter. Le reste du département leur vient en aide, comme l'Office du Tourisme de Serre-Chevalier qui a organisé une journée de découverte de la Grave.
Les locaux, travailleurs et enfants ou collégiens, sont actuellement transportés par hélicoptère matin et soir en attendant le rétablissement des navettes lacustres (la navigation étant encore trop dangereuse à cause du risque d’effondrement). Une étude concernant le rétablissement de ces navettes est en cours, le sentier lui, a déjà été ré-ouvert.
Une piste forestière qui passe sur l'autre rive du lac est en train d'être aménagée en vue d'être goudronnée, pour faire une route de secours en attendant une solution plus durable. Cette route n'aura qu'une voie, avec des garages tous les 150m permettant aux véhicules de se croiser. Ce côté du lac est très sensible aux éboulements et avalanches, il devra être sécurisé tout l'hiver. L'ouverture de cette route de substitution est prévue pour fin octobre, et en principe elle sera ouverte à tous. Cela risque cependant d'être difficile à gérer lors des périodes de gros passages, que ce soit pendant les transhumances, les weekends ou les vacances... Entre ceux qui doivent descendre travailler et ceux qui veulent monter skier par exemple.
Le trajet de la piste forestière à aménager, avec une zone à construire intégralement (CG 38)
Une partie du tunnel s'est complètement effondrée en juin à la suite d'un micro-minage. Pour le moment la solution envisagée est celle d'un tunnel de dérivation évitant cette portion endommagée. La longueur de cette dérivation est encore à l'étude, et le début des travaux dépend également de la chute du reste de la falaise (environ un tiers de celle-ci doit encore tomber). La durée des travaux est estimée à 12 mois, on parle d'une ouverture du nouveau tunnel pour l'hiver 2016-2017, au minimum ! Et surtout, ceci dépendra du résultat des études qui sont en cours et du moment où les travaux pourront débuter.
Beaucoup de personnes se demandent pourquoi est-ce qu'on ne provoque pas l'effondrement, et cette solution a été étudiée plusieurs fois mais elle semble trop compliquée à mettre en place, comme l'explique le site du Conseil Général de l'Isère :
« Le glissement de terrain qui affecte le versant pourrait-il être déclenché artificiellement de sorte à stopper les désordres subis par le tunnel ?
Ce n’est pas si simple. Provoquer un tel éboulement par minage du versant nécessiterait une charge explosive colossale. Une telle opération n’a jamais été réalisée selon les dires de tous les géologues consultés. De plus pour positionner les charges explosives dans le versant à la bonne profondeur, des travaux de forages très importants sont nécessaires ce qui serait très périlleux dans ce versant très incliné et en perpétuel mouvement. Dans ces conditions, la sécurité du personnel pourrait être impossible à assurer et les conséquences imprévisibles. De plus, rien ne garantit le succès de cette opération. »
Nous avons interrogé David Le Guen, conseiller municipal à Villar-d'Arêne et responsable commercial de la société des Téléphérique des Glaciers de la Meije, sur l'hiver à venir et le futur de l'exploitation.
- Le téléphérique est ouvert cet été, qu'est-ce que ça donne en terme de fréquentation ?
- Là en ce moment on est sur du -50%. Nous n'étions qu’à -30% jusqu’au 15 juillet, et le gros de la saison qui est pour nous du 15 juillet au 15 août, on est sur du moins 50%, par rapport à une moyenne sur les 5 dernières années, ce qui lisse un peu l’aléa météo. Si on compare à une saison à météo équivalente, c’est-à-dire plutôt belle et caniculaire, on est plutôt dans du -70%, et -50% sur les premières périodes.
- Qu'en est-il de l'hiver prochain, vous comptez ouvrir ?
- Je ne suis pas trop inquiet là-dessus. Certes, on a un câble qui a atteint les critères de dépose que l'on doit changer avant l’hiver, le câble porteur de descente du deuxième tronçon. Avec ce mauvais été, on ne va pas avoir la trésorerie pour le financer. Il va falloir que l’on ait recourt à l’emprunt, et avec la situation actuelle les banques ne sont pas très ouvertes à prêter de l’argent alors que l’on a pas de route ! Donc ce qui est en train de se passer, c’est que les collectivités se portent garantes de l’emprunt bancaire. A priori une solution devrait être trouvée, au moins un accord de principe avec le département des Hautes-Alpes qui se porterait garant mais on ne sait juste pas encore par quel moyen technique ce sera possible. Mais je ne conçois pas que le téléphérique soit fermé cet hiver !
Un premier câble porteur avait été changé à l'automne 2014 (photo TGM)
Par contre, il faut être clair, si on a la route en rive gauche qui est ouverte, pour que le téléphérique soit ouvert il faudra que les touristes l’empruntent. La clientèle de séjour à la Grave sur le téléphérique ça représente entre 30 et 40% de notre chiffre d’affaire et de fréquentation. Et l’essentiel de notre fréquentation ce sont les bassins grenoblois, lyonnais mais aussi et heureusement marseillais qui sont capables de venir sur du court séjour. Mais c’est essentiellement Grenoble et Lyon, donc si on a pas cet accès là ça va être compliqué…
Les travaux de la route ont débuté en rive gauche (photo CG05)
Ceci dit, même avec seulement la piste ouverte la fréquentation va être en berne et il n’y aura jamais d’aussi bon ski à faire à la Grave ! Pour ceux qui ont le temps de faire le détour ou de supporter l’alternat (on ne sait pas vraiment comment ça va se passer sur une seule voie en cas de grosse affluence), ça va être LA saison pour venir skier ! Mais de notre côté, ce n’est pas dit qu’on arrive à faire un hiver où on rentre dans nos charges.
- Il parait qu'il va falloir trouver un repreneur en 2017 pour le téléphérique, peux-tu nous en dire plus là-dessus ?
- De manière très claire et factuelle, les Téléphériques des Glaciers de la Meije, la société exploitante dont je suis salarié, gère une Délégation de Service Public (DSP) comme l’eau, les transports, etc. En 1987 la société a eu une convention de concession pour 30 ans, qui se termine le 15 juin 2017. Le téléphérique en lui-même appartient à la commune de la Grave, car c'est un transfert de propriété et non une session. Ce qui est en cours, c’est de créer une nouvelle DSP qui irait de 2017 à une date indéfinie (tout dépend de ce qui sera dans le cahier des charges, des investissements demandés au futur concessionnaire pour qu’il ait le temps de rentabiliser, etc.). Le conflit qui existe en ce moment entre la commune et la société, c’est un désaccord sur le projet. Nous aurions souhaité une prolongation de la concession, chose que la commune ne peut pas faire : ils font un nouvel appel à concurrent, avec un nouveau cahier des charges, auquel notre société pourra répondre si elle le souhaite. Et là-dessus la coupure de la route complique tout...
La situation est donc plutôt difficile pour ceux qui vivent à la Grave et Villar-d'Arêne, ainsi que dans le Briançonnais. A l'image de la campagne des Hautes-Alpes, si vous appréciez la Grave et la Meije, si vous voulez continuer à vous évader là-haut, ne vous laissez pas abattre par un trajet plus long ou plus compliqué, venez simplement les aider à continuer de vivre !
Sources :
-Communes de la Grave et Villar-d'Arêne
-Préfecture de l'Isère
-Préfecture des Hautes-Alpes
-Collectif des Naufragés du Chambon
-Observatoire économique et touristique des Hautes-Alpes
25 Commentaires
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Merci
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
La nature reprend parfois ses droits... Mais espérons que la situation s'améliore et qu'une route puisse être ouverte.
La solidarité du département et des habitants fait chaud au coeur et non la Grave ne peut pas fermer.
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
On ira faire un ou deux tours à la Grave cet hiver en solidarité.
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire
Connectez-vous pour laisser un commentaire