" celle-ci, d’ordinaire assez peu demonstrative, me prend dans ses bras et me souhaite « lycka till » avec un regard semblable a ceux qu’on lance aux condamnes a mort, comme si elle me disait au revoir avant ma derniere heure…"
« It’s the season Grand Opening » !!
Pour la premiere course de la saison, je me suis inscrite sur un 75kms
de nuit a Stockholm, l’Ursvik Ultra. C’est une distance raisonnable pour une
premiere, surtout que c’est quand meme tot dans la saison et sans trop de
denivele puisque sans entrainement a cette epoque. En realite, je n’aime pas
quand c’est trop plat et trop court parce que ca va bien trop vite, mais il n’y
avait pas beaucoup d’autre choix et de plus, pour la premiere fois, je n’ai pas
choisi cette course par reelle envie mais plutot parce que cela m’a ete
conseille et parce qu’effectivement cela peut-etre tres bien pour mon graal et
aboutissement aoutien. A voir si cela fait une difference sur la ligne !
J-7, trouble starts !! Tout d’abord, a l’instar de beaucoup de
pays europeens, la Suede connaît son plus rude hiver depuis 1987 et quoique le
20 mars, la neige est encore bel et bien presente, preservee par des
temperatures encore negatives… Je passe ma semaine sur Weather Channel a
guetter les conditions et elles ne sont vraiment pas tres rejouissantes, a coup
de pluie, de neige, de froid, etc. Et cela ne s’arrange pas avec le mail de
l’organisation annoncant que la presque totalite du terrain est « snow
covered », soit molle soit gelee mais que de toute facon, « quelque
soit les conditions, la course aura lieu ! ». Qui a dit que les suedois n’avaient pas d’humour?? « Des
barbares ! » me lancera maman !
J-2, depart pour Stockholm ou je suis logee chez mon amie Clara. Une
fois dans le train, je crois avoir decouvert la machine a remonter le temps… A
mesure que nous avancons, la neige recouvre de plus en plus les champs et
paysages traverses. Ce n’est pas possible, je me suis trompee, je suis montee
dans une DeLorean !! Doctor Brown, are you there ?? C’est Retour Vers
Le Futur dans le passe, on est mi-janvier maintenant !! Alors que les
temperatures a Goteborg ont depasse le O depuis quelques jours, la neige a
consecutivement bien fondu et la glace recouvrant les lacs alentours a pris une
couleur grisatre, signe qu’elle perd de l’epaisseur et disparaît petit a petit.
Je decouvre a mon arrivee avec un sentiment melange de stupeur, enervement et
perplexite que Stockholm est en revanche encore etouffee sous la neige et et
ses lacs sont toujours prisonniers des glaces.
H-18, commence alors l’une des journees les plus longues de ma vie,
avec pour seule attraction, bouffer.
Entre temps, je tache de faire quelques siestes mais quoique le corps veuille, mon
cerveau fait ses gammes pour ce soir et prepare ses ressources pour me motiver
tout du long. Je le laisse faire augurant que j’en aurai bien besoin. Un remede
cependant pour ne pas trop cogiter (et ne pas regarder la pluie qui tombe ni
les previsions meteos) et poser le cerveau : Will Ferrel et le tres tres
bon « The Ballad of Ricky Bobby ».
H-2, en route… Les parents de Clara avaient gentiement proposer de
nous emmener, eux qui ne m’avaient jamais rencontree auparavant et qui etaient un
peu « interloques » par cette francaise faisant des courses un peu
bizarres, et notamment le demi-tour du Mont Blanc en 21 et 24h, ce qu’ils
avaient eux realise en 3-4 jours. Peut-etre etait-ce egalement afin de voir si
ce n’etait pas des salades et si on ne partait en fait pas dans une rave ou
soiree du genre, avec mes bandes reflechissantes sur mes affaires et ma lampe
frontale sur la tete!
Sur la route, nous passons devant de nombreux arrets de bus ou sont
amasses nombre de jeunes gens de notre age, tous gais avec leurs bieres a la
main. On devine ou ils vont en ce samedi soir 22h30… L’adage « on est tous differents » ne me parait pas mieux
approprie qu’a cet instant precis !
Lorsque le GPS indique de tourner a droite parce que « du har
nått din destination » (vous etes arrives), un silence presqu’aussi glacant que la temperature exterieure
s’installe… Mais… il n’y a rien !!! Nous roulons alors a tout petit
pas, par peur qu’une banderole « surprise » surgisse ou par peur
peut-etre de deranger des gangsters armes… Apres quelques metres, malgre le
brouillard, nous distinguons une lumiere eclairant un oriflamme « runner
store ». Well, looks like it’s there ! lance-je avec un
enthousiasme contenu mais desirant rassurer les parents. Ceux-ci se lancent un
regard qui se voulait discret mais je devine leur pensee. Moi qui avais fait le
maximum pendant tout le diner pour faire bonne figure et honorer mon education,
je pense qu’ils se posaient a present la question de savoir si j’etais vraiment
une jeune de bonne famille! De plus ils se demandaient surement comment ils
avaient pu aussi facilement se laisser embarquer dans les bas fonds de la
banlieue de Stockholm ! Maman ne m’a pas surnommee Sarah Bernhardt pendant
des annees ni n’ai-je joue l’ange principal de la piece du lycee pour
rien !!
La voiture s’arrete alors sur le parking, desert et sombre, a
part une merco rouge aux vitres cassees.
La vision de ce terrain vague
glauquissime couplee a cette pseudo ligne de depart etouffee par le brouillard
est absolument sur dimensionnelle. Ca ne peut-etre qu’une blague et
pourtant personne ne rit dans la voiture… J’ai moi-meme les yeux troubles. Nervosite,
desespoir, je ne sais que choisir… Peur de la mort peut-etre ! Avant de
sortir de la voiture, je jette un œil au thermometre au travers de mes yeux
embues : -2. Enfin je crois, mes yeux clignent tellement que peut-etre
ai-je mal vu.
Apres avoir decouvert par hasard les organisateurs et recupere mon
numero, ma douce Clara voulant certainement racheter l’organisation et
peut-etre meme son pays pour ces conditions me lance : « You’re gonna
do great but you are already my hero for just being here and taking the
start ! ». Sur ces bonnes paroles, nous nous rendons vers le gymnase
situe un peu plus loin, qui s’apparente plutot a un depot/Blockhaus abandonne. Apres s’etre assures que ce n’etait
pas un squat pour marginaux, Clara profite de la voiture de ses parents pour
partir rejoindre ses amis en boite plutot que de risquer une mauvaise rencontre
en se rendant a l’arret de bus apres mon depart. Et alors que ses parents sont
deja dans la voiture, celle-ci,
d’ordinaire assez peu demonstrative, me prend dans ses bras et me souhaite
« lycka till » avec un regard semblable a ceux qu’on lance aux
condamnes a mort, comme si elle me disait au revoir avant ma derniere heure…
Pendant l’heure qui suit, je tache donc de ne pas prendre froid dans
ce vestiaire non chauffe, des conditions sans doute voulues par l’organisation
pour ne pas risquer de choc thermique en sortant rejoindre la ligne ! Je m’occupe
en attendant et essaye de comprendre comment attacher ces pointes amovibles,
achetees a peine quelques jours plus tot. J’y perds quelques couches de peau
sur les doigts… Mais de toute facon, j’en perdrai surement un ou deux voire
plus de froid dans quelques heures alors autant commencer le travail des
maintenant !
M-15, je ferme toutes les ecoutilles et pars rejoindre la ligne de
depart. Et bien je ne revais pas, non non ce n’etait pas un syndrome
pre-stress, la vision est toujours la meme : un depart a peine eclaire, de
la neige partout, du brouillard et, ah non, attendez, un nouvel element !
Une douce et fraiche bruine s’est rajoutee au tableau !! N’est-ce pas
merveilleux ? It just keeps getting better ! A M-10, l’organisation
commence le briefing, surement pour tacher d’expliquer comment ne pas mourir
d’hypothermie mais mon suedois etant encore limite, je ne comprends qu’un ou
deux krissprolls par-ci par-la. Je me tourne alors vers l’un des quelques
sublimes apollons (ca a quand meme du bon de vivre en Suede) presents dans la
« foule » des quelques 60 a prendre le depart (6 filles) et lui
demande s’il y a quelque chose d’important que je devrais savoir. Il me repond
que non pas vraiment. Reponse polie mais pas locace ni de stress inutile, c’est
bien un suedois !
M-1, les jambes flageollent, le
cœur s’emballe, la tete tourne et je ne sais pas tres bien si c’est
l’excitation de prendre le depart (heu, non peut-etre pas), le stress ou tout
simplement mon corps qui tache d’avoir une crise cardiaque et mourir maintenant
plutot que de prendre le depart et mourir plus tard dans d’atroces
souffrances ! Minuit, allez, depart !!!
En seulement quelques centaines de metres, mmmmm, je comprends tres
vite l’immmmmense erreur commise, erreur de jeunesse certainement, d’avoir pris
le depart. It’s gonna be hell hell hell !! L’enfer, le calvaire, la géhenne,
la route vers le pandemonium, un sejour dans les limbes (et non le palliatif)
si tant est que je sois sauvee… Mais il est trop tard, la machine est en route, je COURS a ma perte !
Apres seulement quelques centaines de metres, nous quittons le monde
des vivants (des gens normaux ?) pour entrer dans la penombre de la nuit
hivernale suedoise. Quoique ma frontale s’etait revelee etre un reel phare lors
de mes courses noctures precedentes, je peine a voir mes pieds, notamment genee
par les incroyables fanaux des autres concurrents qui m’eclairent par derriere
et projettent mon ombre au sol. Aussi, apres seulement 27 minutes (j’ai trouve
ca tellement rigolo que j’ai regarde ma montre !!), je sens le sol se
derober sous mes pieds et lorsque je realise, d’agressives piqûres se
saisissent de mes pieds : je viens de faire un sublime triple saut dans
une flaque d’eau on ne peut plus gelee, je ne sais meme pas comment elle ne
peut pas etre de glace a cette temperature et j’en ai le souffle coupe. Je
tache d’exterioriser le choc mais les sons venant du plus profond ma cage
thoracique s’arretent dans ma gorge et n’en sortent pas : pas fous les
bougres, il fait bien trop froid pour eux aussi !! Mon instinct de survie
me rappelle Mike Horn disant dans ses pages que pour ne pas mourir de froid, il
faut continuer a avancer. D’accord Monsieur. Je m’y attelle, je continue
d’avancer. J’en oublie mes pieds, peut-etre les ai-je perdus ? Ah, de
toute facon, avec cette lampe, je ne vois rien alors autant continuer !
Apres 1h de course, je suis enfin rechauffee,
je trouve enfin mon rythme. Mais ce n’est pas pour autant que le moral va bien.
Apres avoir commence par les sous bois, dont le terrain etait un melange de
ruisseau congeles a traverser, de neige humide et de quelques passages de neige
glacee dans les montees et descentes, je dois a present traverser des champs
entiers de neige gros sel montant jusqu'à mi-mollet. En seulement quelques
metres, j’ai a present perdu la sensation de vie dans mes chevilles, mon sang
ayant fui vers mes cuisses ou il fait peut-etre plus chaud. De plus, des bruits
etranges se produisent : des « pop » et des « clacs ».
Soudain, de vives douleurs dans mes epaules, mon dos, mes aducteurs. A courir dans cette neige, j’enchaine grand
ecart facial puis grand ecart lateral, parfois une tentative avortee de front
flip, mes pieds partent tout simplement dans tous les sens !! Je tente
tant bien que mal de minimiser ce bouffage d’energie, chose que je ne reussis
qu’a moitie puisque je me fatigue encore plus a essayer de rester debout sans
compter que je fais craquer d’avantage d’os a force de telles contorsions. A un
moment, j’ai meme presque pu embrasser
mes fesses tellement j’etais dans tous les sens. J’ai toujours voulu etre
une chouette contorsionniste, elles ont l’air si cool ! Le brouillard est
toujours bel et bien present et je ne peux voir la lune mais je parie qu’elle
est pleine, ca expliquerait ces phenomenes et cette ambience rocambolesque!
Apres avoir essaye de retrouver mon calme, j’atteinds une autre partie
du parcours, a l’instar des « mondes » a franchir dans les jeux
videos, celle du monde merveilleux de la boue. Il est vrai que j’etais encore
un peu trop propre… Et puis j’avais quand meme retrouve une temperature
corporelle un peu trop normale alors cela tombait bien que de nouvelles mares
arctiques se presentent a moi ! Je n’aurais pas deja pris le train vers le
passe la veille, je pourrais presque croire que je venais de le prendre et que
j’avais atteri au temps de la Grande Guerre. Le brouillard serait le gaz, les tranchees certaines parties du
parcours reliees par des boyaux de neige ou de glace, les bombardements
lointains mes os qui craquent, les trous d’obus ceux que je creuse en tombant, les
cris etouffes les miens, le rationnement ces quelques barres de cereales que je
tache de machouiller malgre mon visage congele, la propagande le photographe de
l’organisation qui me prendra en photo plus tard et pour lequel je me forcerai
de sourire… Verdun/Ursvik, ca se ressemble non ?? C’est surement
cela ! Qui a dit que les sportifs n’avaient pas de cerveaux ?? Une
imagination pareille, le mien est quand meme sacrement developpe pour analyser
tout ca, en meme temps que je ne tomb… cours !
Apres 2h de course, j’apercois la lumiere au bout du tunnel. Je ne
suis pas morte – pas encore – mais les lumieres des lampadaires des 2 derniers
kilometres percent la brumaille et la sombreur. First lap completed. Ffff,
c’est comme si j’etais partie depuis des jours et des jours a travers
l’Amazonie comme ce grand Mike Horn apres tout ce que j’ai traverse ! Je
me rapproche alors de la table de bridgedes treteaux de ravitaillement et j’ai
beau eteindre/rallumer ma frontale pensant qu’elle ne marche vraiment plus bien
mais je decouvre le rationnement dont je parlais plus tot. Pour nourriture, il
nous est offert des « Kex », biscuits chocolates nationaux mais pas
vraiment faciles a manger, 2 bouts de bananes trempees et des « kanel bullar »,
patisserie typique suedoise. Non seulement je m’en suis tellement gavee les
premieres semaines de mon arrivee en Suede (mais oui, cela fait partie de
l’acculturation, il faut epouser les coutumes) mais en plus, ceux-la etant on
ne peut plus industriels, ils sont tous colles entre eux, notamment a cause de
l’humidite. J’arrive a en extirper un du lot. Je manque cependant de m’etouffer
sur la premiere bouchee me collant le palais a la langue… Oh, je ne vais pas
mourir si betement ! Pas etouffee ! J’ai de telles opportunites de
finir transie de froid, tombee de fatigue dans la neige au milieu des bois et
entamee par les loups ! J’attrape alors un vers de boisson, bleu violace,
surement l’effet de la penombre, mais non, c’est bien une soupe de myrtilles… Je
ne comprendrai jamais les suedois qui la boivent comme un remede miracle contre
tous leurs problemes, le rhume, les nausees, pourquoi pas la gangrene ?? J’essaie
alors de passer au verre suivant, soit-disant du Maxim (boisson energetique)
mais c’est tellement dilue qu’on ne sent presque rien. Je crois que je vais
rester a mon eau plate… Avec tout cela,
j’ai l’impression que ma langue porte un pull.
Apres autant d’evenements en 3-4 minutes de ravito qu’en 2h de
courses, je repars, avant que la pluie
qui commence a tomber ne mouille les quelques millimetres ici ou la qui sont
encore secs. Je suis triste a l’entree du bois quelques minutes plus tard car
cernee par les arbres, je vais avoir bien moins de chance d’avoir cette
delicieuse sensation des gouttes qui tombent juste entre le cou et le col et
qui se faufilent abilement dans mon dos… C’etait l’occasion de faire une bonne
action : rechauffer ces pauvres gouttes bien froides au contact de mon
corps encore chaud de quelques degres…
Le tour continue, pas de miracle, toujours la meme boue, la pluie, les
mares gelees… Apres 2h10 de ce deuxieme tour, alors que je vois a nouveau les
lumieres des lampadaires, une minute d’inattention et je refais une pirouette
dans cette melasse Camel Trophyesque, histoire de voir si je n’ai rien perdu de
mes qualites de femme elastique… Apres m’etre retablie, une intense douleur me
prend la partie gauche de mon cou. J’ai l’impression d’avoir un couteau plante.
Il m’est impossible de tenir ma tete sans douleur, aucune position ne me soulage.
Je suis meme obligee de la supporter comme je peux avec ma main. Arrivee au
ravito, toujours ces patures peu attrayantes ni mangeables. Je me force a
ingurgiter un kanelbullar, encore un peu plus visqueux et humide si cela est possible.
J’aimerais pouvoir me changer, mettre un
Tshirt sec, s’il l’est reste dans mon sac, mais il continue de bruiner et je ne
peux imaginer me mettre torse nue sans attraper une pneumonie dans la seconde.
J’enleve alors tant bien que mal mes gants trempes pour mettre une seconde
paire. Et je repars dans le demi-jour.
Ce troisieme ne connaît guere de changement : les tranchees se creusent apres le passage
repetitif des coureurs, la boue gagne du terrain, les pieces d’eau
s’elargissent, ne laissant aucune autre possibilite que de les traverser a deux
pieds sur plusieurs metres. Et je suis toujours seule. Seule dans ses bois
silencieux ou je ne peux imaginer qu’aucune bete ne vive. Je suis meme certaine
qu’il y a des trolls malefiques qui n’attendent que de me deguster, affames par
ce long hiver. Mes tribulations ne sont suspendues qu’un court instant
lorsqu’un coureur, soit de relais sur le grand tour soit engage sur le 45kms,
me depasse. Un reconfortant « hej » ou « lycka till » me
fait du bien mais n’enleve rien a l’amertume d’etre doublee si facilement et a
une telle vitesse. C’est comme si les
elements ne les tourneboulaient pas d’un fil. Il court sur cette neige comme
moi je skie, juste tout droit, sans se poser de questions, sautant d’une bonne
a l’autre.
J’atteinds le « ravitaillement » en 2h30 pour ce troisieme
tour. On ne distingue a present plus les Kanel bullar reduits en puree. Je me
rabats sur les Kex. Pourquoi pas du Toblerone ou des Kinder Bueno tant qu’on y
est ! J’enleve ensuite mes eponges qui me servent de gants pour enfiler ma
derniere paire de gant de rechange. Je retire egalement ma frontale maintenant
que le « jour » est apparement
la. Je respire un grand coup. En
rangeant ma lampe dans mon sac, j’apercois mon ecusson : « Pain and
cold are just information ». Un cadeau de mon frere pour le depart de
l’UTMB, un adage des parachutistes lors de la bataille de Bastogne. Je pose ma
main dessus, remets mes gants froids et trempes, respire encore, me releve, et
repars.
J’aimerais pouvoir mettre un peu de piment dans le recit mais c’est le
meme refrain : froid, boue, neige, glace, un peu plus de neige, de l’eau
paralysante. Mais je ne le remarque meme plus, a croire que mes pieds s’y sont
habitues voire tout mon corps. Dans les derniers kilometres de ce tour, je
rejoins ce que je crois etre dans un premier temps une hallucination mais qui
se revele etre bien vrai, c’est bel et
bien un sublime apollon. Non je n’ai pas
quitte le monde des vivants, je suis toujours en Suede. Enfin un peu de reconfort
dans ce monde de brutes. Nous n’echangeons pas beaucoup mais c’est assez d’etre
deux. Lui fait le 45 kms. Il fait son dernier tour. Comme je suis souvent
devant et que je relance comme je peux, il me dit qu’il y croit, que je vais
finir. Je le pense un peu aussi alors je le remercie. Je ne serais pas si
degoutante, je l’embrasserais ! Mais a mesure que l’heure avance mais pas forcement nous, le couperet des 9h
pour entamer le dernier tour s’abaisse petit a petit. Peut-etre maintenant
ai-je ete transportee a Fort Boyard, les trolls etant les tigres me menacant
alors que quelqu’un me crierait « Sors sors !! ». Je tache de mobiliser les forces qu’il peut
me rester. Combien en reste-t’il qui ne sont pas « mortes pour moi » ? Les survivantes
sont courageuses et dans une convulsion d’adrenaline, elles me portent jusqu'à
la table des ersatz de mangeaille. Mais je sais que j’ai pres de 30 minutes de
retard. Les 3 organisateurs sont la et m’applaudissent et me lacent un –ce qui
me semble- sincere « bra jobbat » (good job). Je suis emue,
qu’ils le pensent ou non. Moi je pense
que jusque la c’est pas mal. Mon Adonis, qui arrivent quelques secondes
plus tard, me congratulent a son tour et m’assure que je vais y arriver, qu’il
n’y a plus qu’un tour. L’organisatrice vient vers moi et me dis que compte tenu
des conditions, ils me laisseront repartir et que je peux finir si je le veux.
Je suis partagee. Plusieurs pensees traversent mon esprit :
- j’ai froid, j’ai vraiment tres froid et je n’ai plus de gants de
rechange
- au rythme auquel je vais, ce sont encore 2h30/40 d’effort qui
m’attendent et absolument seule
- il faut que je previenne ma Clara que j’aurais 1h30 de retard, avec
le risque que cela derange ses parents ou ses plans
- et puis surtout, le fait d’etre sans nul doute la derniere, je ne veux
pas avoir la pression en imaginant les organisateurs attendre cette (fichue) derniere
concurrente sans interet, 2h40 plus tard alors qu’ils pourraient plier et
rentrer au chaud.
Cela aurait ete un parcours « normal », j’aurais sans aucun
doute continuer. J’ai vecu l’intense chaleur d’une CCC, la boue gluante d’une
Saintelyon, la cheville foulee d’un
Annecime, l’orage a 2800m d’un TGV, je
pouvais supporter ces conditions un peu plus. Mais l’idee de repartir pour un
nouveau tour sans grand interet a certainement joue dans ma decision d’arreter.
Un de plus ou de moins, je ne voyais sincerement pas plus de satisfaction de
m’arreter la ou au tour suivant. J’ai donc rendu mon dossard a l’organisatrice
qui m’a dit « Malgre tout, c’est tres bien compte tenu des conditions et
tu as deja fait bien plus que beaucoup d’autres concurrents masculins qui n’ont
soit pas pris le depart soit arrete dans les premiers tours ». Je vois dans ses propos un petit peu de zele
mais qui partait d’une bonne intention.
Apres l’echec sur blessure a l’UTMB, je ne pouvais imaginer de
commencer ma saison par un echec. Mais quoique techniquement je n’aie pas fini
cette course, je ne veux pas considerer le resultat comme un echec :
- je savais que compte tenu de la courte distance et de la relative
platitude, cela irait vite et X sait que je n’aime pas cela. Mais je suis
contente d’avoir relativement bien relance quand je le pouvais.
- j’ai toujours deteste faire des circuits a l’entrainement et ces 5 tours
a faire etait quelque chose que je craignais deja a l’inscription. Aussi, le
fait que cette course ne fût pas vraiment une epreuve comme je les aime (jusqu'à
present… !) ou comme j’en ai l’habitude m’enleve mon sentiment de defaite.
Peut-etre est-ce de l’auto-persuasion mais je n’ai pas le sentiment de n’avoir
reellement fini quelque chose car je ne pense pas que j’aurai eus un sentiment
d’accomplissement accru d’avoir fini ce dernier tour
- enfin, a la facon dont je raconte cette aventure, j’ai malgre tout
pris du plaisir et je resignerais a nouveau, voire meme chercherai-je des
courses semblables !
- ce qui est certain c’est que je suis paree pour absolument toute
condition meteorologique a present, il me juste modifier mon materiel en
consequence !
Bien sur, l’ego (necessaire)
qui habite tout coureur me rappelle que je ne peux dire que j’ai fini la course
et de la decoule une deception couplee d’un leger sentiment de honte, c’est
certain. En plus de
l’intense joie, quelle fierte de pouvoir dire que l’on a fini une telle course.
Cependant, encore une fois, je suis contente des 4 tours accomplis et je me
satisfais voire me rejouis d’avoir ne serait-ce que pris le depart. Je n’avais jamais couru dans de telles conditions.
Arretee pres de 2 mois en fin d’annee pour cause medicale, je ne me suis
entrainee sur la neige fraiche et seche de Goteborg qu’une dizaine de fois et
pour pas plus de 2 heures. Les suedois eux sont genetiquement crees pour ces
conditions, quoique exceptionnelles tout de meme a ce point ! J’en veux
toujours plus et accepte tres mal l’echec mais aujourd’hui, j’accepte d’etre
francaise en Suede, de n’avoir que 24 ans et de forger mon experience. Je
n’oublie pas non plus que je suis une skieuse et descendeuse avant tout et que
l’age moyen de victoire dans cette discipline est la trentaine. Mon Luc avait
32 ans. De plus, comme l’a souligne mon ami Pierre B, que je n’avais a
l’origine pas l’intention de remercier dans ce recit comme je le fais souvent
puisque c’est lui qui m’a « decidee » a faire cette course ( !)
mais il s’est rattrappe en m’envoyant le message suivant :
« Entrainement difficile, course facile ». Et en effet mon but ultime
de cette saison est bel et bien l’UTMB, rien d’autre, et aujourd’hui n’etait
qu’une premiere de la saison et un entrainement. Epique certes, mais qui me
donne la chance encore une fois d’exercer ma passion de courir et surtout celle
de tusitala, les conteurs d’histoire
chez les samoans.
Aucun regret donc car pour une fois, less is more.
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